L’invention de la physiologie : la croissance
Le rôle des cartilages de conjugaison dans la croissance de l’os en longueur:
En 1727, le Britannique Stephen Haies (1677-1761), physiologiste et chimiste, mais aussi inventeur du ventilateur, cherchait à savoir en quoi la croissance en longueur des os différait de celle des plantes. Chez un poussin, il perça, au milieu d’un os de la patte, deux trous espacés d’un demi- pouce (1,27 cm). Deux mois plus tard, il sacrifia l’oiseau et constata que la distance entre les deux trous était restée inchangée, alors même que l’os s’était allongé d’un pouce. Dans son ouvrage Statical essays: haemastaticks, publié en 1733, Haies en conclut que les os croissaient en longueur par leurs extrémités. Ces travaux demeurèrent relativement ignorés jusqu’au XIXe siècle, quand un médecin et physiologiste français, Pierre Flourens (1794-1867), reprit, chez le lapin, la technique de Haies. La renommée de Flourens, membre de l’Académie des Sciences, ne fut probablement pas étrangère à l’association de son nom à la découverte du rôle des cartilages de conjugaison dans la croissance en longueur des os longs.
L’expérience de Flourens (1861):
Pierre Flourens cherche tout d’abord à vérifier les observa¬tions fréquemment réalisées par les médecins au cours d’explorations anatomiques :
«[…] chacun des os a un surplus d’accroissement distinct, les uns s’accroissant plus par en haut (le tibia) et les autres plus par en bas (le fémur) […]. Chaque os, chaque extrémité d’os a donc son époque marquée de soudure et de fin de crue [croissance]. »
Pour cela, il utilise des tibias de jeunes lapins sur lesquels il plante de petits clous d’argent en différents endroits : dans l’épiphyse (extrémités de l’os), dans la diaphyse (axe longi-tudinal de l’os) et dans le « fibro-cartilage » (zone séparant diaphyse et épiphyse, aujourd’hui appelée cartilage de conjugaison). Deux mois plus tard, il mesure l’espacement entre les différents clous.
Flourens conclue :
«L’os [la diaphyse] ne s’étend pas, et voilà pourquoi les clous mis dans l’os ne s’éloignent pas l’un de l’autre; mais entre l’os [la diaphyse] et l’épiphyse, il s’interpose sans cesse de nouvelles couches […] et voilà pourquoi l’épiphyse s’éloigne sans cesse de la partie moyenne de l’os. »
Le rôle des cartilages de conjugaison est ainsi démontré: la croissance de l’os en longueur s’effectue à partir d’une région située entre l’épiphyse et la diaphyse.
Le rôle du périoste dans la croissance de l’os en épaisseur:
Au milieu du XVIe siècle, un médecin parisien passionné d’horticulture, Antoine Mizauld (1520-1578), fut le premier à remarquer les propriétés colorantes de la garance (Rubia tinctorum) sur les os. Deux cents ans plus tard, John Belchier (1706- 1785), un chirurgien de Londres, dont l’histoire raconte qu’il dînait chez un «teinturier en toiles peintes », s’aperçut que les os d’un morceau de porc qu’on lui avait servi étaient rouges. Cet animal avait été nourri avec du son chargé de l’infusion de garance employée pour la teinture des toiles peintes. En 1736, il mêla de la racine de garance en poudre à la ration alimentaire d’un coq. Au bout de seize jours, le coq mourut. Ses os étaient rouges, alors que les autres organes avaient conservé leur couleur ordinaire. Ces propriétés de la garance sur la croissance osseuse furent exploitées en 1741 par Henri-Louis Duhamel du Monceau (1700-1782). Cet homme de lettres et de sciences français, inspecteur général de la marine, avait réalisé pendant de nombreuses années des observations comparatives de la croissance des arbres, selon qu’ils étaient en haute futaie ou en taillis composés. Duhamel du Monceau chercha à savoir si la croissance des os longs en épaisseur s’opérait selon des modalités diffé¬rentes de celle des arbres.
Les expériences de Duhamel du Monceau (1739, 1741 et 1743):
Duhamel du Monceau vérifie tout d’abord les observations de John Belchier sur plusieurs espèces animales : poulet, pigeon, porc. Ces derniers s’avèrent supporter beau¬coup plus facilement que les autres le régime à base de garance. Ils vont devenir des modèles expérimentaux de choix.
Duhamel observe :
Cette démonstration du caractère réversible de la coloration des os, qui disparaît dès lors que la garance n’est plus présente dans l’alimentation, permit à Duhamel du Monceau de concevoir une autre expérience. Trois jeunes cochons âgés de deux mois sont nourris alternativement, pendant plusieurs semaines, de nourriture soit ordinaire, soit additionnée d’une once de garance (environ 30 g). Les animaux sont ensuite sacri¬fiés, leurs os prélevés et sciés transversalement. Les résultats sont représentés.
Les coupes transversales font apparaître une succession de couches concentriques, rouges lorsque l’alimentation contient de la garance et blanches lorsque les porcs reçoi¬vent une alimentation normale. Duhamel du Monceau déduit de cette expérience que la croissance de l’os en épaisseur se fait par « suraddition » ou « superposition » de couches externes. Le savant cherche alors à préciser les modalités de la croissance en épaisseur de l’os en appliquant le protocole expérimental suivant :
J’entourai l’os d’un pigeonneau vivant avec un anneau de fil d’argent qui était placé sous les tendons et sur le périoste ; je laissai là cet anneau pour recon¬naître ce qui arriverait aux couches osseuses déjà formées, supposé qu’elles vinssent à s’étendre, car je pensais que cet anneau était plus fort qu’il ne fallait pour résister à l’effort que ces lames osseuses feraient pour s’étendre […] ».
Quelques semaines, plus tard, après sacrifice du pigeon, l’os est prélevé. Le fil d’argent n’est plus visible. Une coupe transversale montre qu’il est localisé au niveau de l’os compact. L’expérience prouve donc que l’épaississement de l’os se fait à partir du périoste, où la croissance
D’autres étapes clés :
Le rôle du périoste dans la crois¬sance en épaisseur des os longs est confirmé en 1865 par les travaux de Léopold Ollier (1830-1900) sur le lapin et le coq. Ce chirurgien orthopédiste lyonnais décolle un lambeau de périoste puis l’enroule autour d’un muscle ou le transplante sur la peau du front. Dans les deux cas, une couche osseuse s’est formée à partir du lambeau de péri¬oste. Le rôle ostéoformateur de ce dernier est ainsi confirmé.
Le rôle de Pantéhypophyse sur la croissance osseuse:
Le pharaon égyptien Akhenaton (1372- 1354 av. J.-C.) était un homme de grande taille dont la face était très allongée, comme en témoigne son sarcophage ou les sculptures qui le représentent. Bien plus près de nous, Robert Wadlow (1918-1940), un Améri¬cain de l’Illinois, fut l’homme le plus grand jamais mesuré: il atteignait 2,72 mètres sous la toise! Le point commun entre ces deux hommes est qu’ils souffraient d’acromégalie, une affection dont le nom fait référence à la taille accrue des extrémités des membres. La première description scientifique de cette maladie – souvent observée au cours de l’his¬toire – fut réalisée en 1772, par le chirurgien français Nicolas Saucerotte (1741-1814) ‘sur des « géants » irlandais. L’établissement, chez des têtards, de corrélations entre gigantisme et tumeurs hypophysaires permit, au XIXe siècle, d’envisager le rôle de l’hypophyse dans le contrôle de la croissance osseuse. En 1909, un neurochirurgien américain, Harvey Williams Cushing (1869-1939), tenta pour la première fois le traitement chirurgical de l’acromégalie par ablation de l’hypophyse.
L’expérience de Cushing (1909):
En mars 1909, J. H., un fermier de 38 ans origi-naire du Dakota du Sud, est hospitalisé au Johns Hopkins Hospital de Baltimore. Le patient se plaint de maux de tête, de photophobie et de difficultés d’élocution. Il ne peut ouvrir la bouche que de 4 cm au maximum. Ses pieds et ses mains se sont considérablement agrandis au cours des années précédentes et il présente une projection importante du bord supérieur de l’orbite. J. H. précise que, plusieurs années auparavant, ses amis lui ont fait remarquer que sa mâchoire inférieure s’était accrue (prognathisme). Harvey Cushing, qui diagnostique une acromégalie, tente une ablation de l’hypophyse antérieure selon une technique qu’il vient de mettre au point. L’hypophysectomie partielle est pratiquée selon une approche trans-sphé¬noïdale, c’est-à-dire à travers l’os sphénoïde qui forme le plancher du crâne.
L’opération fait régresser les signes d’acromégalie : le prognathisme est atténué et le bourrelet sus-orbitaire a disparu. Le patient ne présente plus ni maux de tête, ni photophobie. Son élocution est redevenue normale.
Le succès de l’opération montre que les anomalies de croissance des os du crâne (os plats) associées à l’acromégalie sont, au moins en partie, réversibles. Il met également en lumière un rôle de l’hypophyse antérieure dans le contrôle de la croissance osseuse.
L’expérience d’Evans et Long (1921):
Une décennie après les travaux de Cushing, deux scientifiques américains, le médecin et biologiste Herbert Mac Lean Evans (1882-1971) et le zoologiste Joseph A. Long (1879-1953), réalisent chez l’animal une étude quantitative du rôle de l’hypophyse sur la croissance. Ils prélèvent des hypophyses bovines, dissèquent les lobes glandulaires et les broient. Le broyât est centrifugé et une petite fraction du surnageant (1 mL) injectée dans la cavité péritonéale de 38 jeunes rats mâles et femelles âgés de 15 jours. Un lot témoin est constitué avec des animaux des deux sexes issus des mêmes portées, qui reçoivent une injection péritonéale d’extraits hépatiques préparés dans les mêmes conditions. Chaque animal est pesé tous les 5 jours pendant 75 jours. Pour certains animaux, l’expé¬rience est poursuivie pendant 11 mois alors que, chez le rat normal, la croissance est terminée aux environs de 6 mois.
Evans et Long observent que les injections répétées d’extraits antéhypophysaires stimulent la croissance pondérale des rats. Ils démontrent expérimentalement que cette stimulation peut même, avec des injections répétées d’extraits hypophysaires, se prolonger au-delà de la période normale de croissance des animaux. Les deux scientifiques montrent ensuite que cette prise de poids n’est pas due à une accumulation de graisse, mais à une croissance accrue du squelette. Ils établissent ainsi que l’hypophyse antérieure sécrète une ou des hormones stimulant la croissance osseuse.
D’autres étapes clés:
En 1944, l’équipe d’Evans isole, à partir de l’hypophyse bovine, l’hormone de croissance: la GH {growth hormone). L’hormone de croissance humaine est isolée quelques années plus tard, en 1953, puis séquencée en 1971. La GH humaine est une protéine de 191 acides aminés.
Vidéo : L’invention de la physiologie : la croissance
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