Les souvenirs du nouveau-né
Mais les faits sont là. Le fœtus entend et enregistre, non seulement ce qui se passe autour de lui, comme les mouvements rythmiques du placenta, mais aussi ce qui vient de l’extérieur, comme les battements du cœur de sa mère, ce qu’elle lui dit ou lui chante. Il sera capable de retenir ces bruits et ces sons. Des observations surprenantes, faites à Paris par le Pr Decasper, de l’université de Caroline du Nord, ont consisté à faire lire une comptine par la mère, chaque jour, pendant un mois. Puis elle cesse de le faire le mois suivant. On fait alors entendre au fœtus, à l’aide d’un haut-parleur placé au dessus du ventre de sa mère, deux comptines, dont celle qu’il a entendue le mois précédent : le rythme de son cœur montre clairement qu’il réagit uniquement à celle-ci, l’autre le laisse indifférent. Il est possible que ce soient le rythme et la voix de sa mère qui se soient ainsi enregistrés dans la mémoire rudimentaire du fœtus.
Il n’est donc pas surprenant que le nouveau-né se souvienne à sa naissance de la voix de sa mère, du son et du rythme des battements de son cœur, des chansons qu’elle lui fredonnait, de la musique qu’elle écoutait tandis qu’il était dans son ventre. D’entendre tout cela le calmera pendant sa petite enfance, lorsqu’il fera une colère. On a remarqué que les mères portent instinctivement leur enfant le plus souvent du côté gauche, et cela d’autant plus qu’il a des problèmes. Cela vient de ce qu’elles ont enregistré, parfois inconsciemment, qu’il entend ainsi mieux les battements de leur cœur, ce qui lui rappelle ce qu’il écoutait avant sa naissance, et cela le tranquillise.
On a également observé que, dès les premiers jours de sa vie, le nourrisson préfère les histoires que sa mère lui racontait déjà pendant les dernières semaines de sa grossesse. Son cœur bat alors plus vite. Les Tziganes disent depuis toujours que pour qu’un enfant joue bien du violon il faut lui en faire écouter lorsqu’il est dans le ventre de sa mère. On a remarqué aussi que le nouveau-né se souvient de certaines odeurs, celles qu’il avait perçu avant de naître, par exemple celles des aliments que mangeait sa mère. Il aura ensuite une préférence pour elles.
On sait donc maintenant que le nouveau-né a d’étonnantes possibilités, qu’on ne soupçonnait pas autrefois. Il reconnaît le visage de sa mère dès le deuxième jour de sa vie, et suit des yeux un objet coloré, brillant. Le psychologue américain Johnson affirme même qu’un nouveau-né de cinq minutes à qui l’on montre une figurine simplifiée, une sorte de caricature du visage, est capable de répondre par des mouvements des yeux et de la tête. D’autres observations montrent qu’un nouveau-né de vingt-quatre ou quarante-huit heures sait tourner sa tête du côté d’où vient le son d’un mot, si on l’a familiarisé avec ce mot répété plusieurs fois. Mais il se lasse vite de la répétition, et se met alors à tourner la tête de l’autre côté pour montrer qu’il en a assez. Il agrippe très vite le doigt qu’on met dans sa main. Tous les parents ont fait, sur l’indication de leur accoucheur, l’expérience de tenir debout un nouveau-né et se sont aperçus avec stupéfaction qu’il marchait. Il possède ainsi toute une série de réflexes, malheureusement il les perdra un mois plus tard. Entre six et huit semaines, il perdra aussi la possibilité de diriger la tête vers un son, ce qu’il récupérera vers trois mois.
Pour le psychologue Roger Lecuyer, le bébé est donc quasi immédiatement intelligent. « On naît humain, on ne le devient pas », dit de son côté Jacques Mehler, spécialiste du langage et l’un des ardents défenseurs de la compétence du nouveau-né. C’est lui qui, avec son équipe, a mis en évidence que le nouveau- né suce son pouce avec davantage d’énergie quand il entend la voix de sa mère, que lorsqu’il s’agit de celle d’autres personnes. Loin de s’en lasser, il écoute ensuite avec autant, sinon davantage d’attention : le temps joue déjà pour renforcer ce souvenir, dans son cerveau pourtant à peine formé. Il a une grande envie d’apprendre, mais cela lui donne du mal. Car si, à la naissance, le nourrisson possède déjà quelque dix milliards de cellules nerveuses, les liaisons ne sont pas encore complètement établies entre ces cellules : le cerveau est encore en état d’apprentissage, de formation.