Le temps et le langage
Pour des spécialistes en linguistique, comme Gabrielle Konop- czynski, de l’université de Franche-Comté, le langage articulé se déroule dans le temps, ce qu’on peut observer chez le jeune enfant. Dès la naissance, dit-elle, le bébé bouge les pieds en synchronisation avec le rythme de la parole maternelle. Dès que la mère cesse de parler, ces mouvements se désynchronisent. Lorsque l’enfant commence à babiller, à quelques mois, ce babillage se fait avec des syllabes régulières, quelle que soit la langue des parents, cette régularité étant, de façon surprenante, plus grande que celle des adultes, où les syllabes ont des durées variables. Des chercheurs ont émis l’hypothèse que cette régularité des syllabes était donnée par une horloge interne. Puis l’enfant va perdre progressivement cette régularité, car son horloge biologique est perturbée par des contraintes liées à l’apprentissage de la langue maternelle. Les études comparatives montrent que ce phénomène ne se produit pas à la même vitesse dans toutes les langues : le rythme du français est acquis par l’enfant entre treize et seize mois, tandis que les bébés anglophones n’entrent dans le rythme de leur langue maternelle que vers vingt ou vingt-quatre mois, du fait que l’accent est mis, en anglais, de façon très différente suivant les mots et que cela réclame un apprentissage plus difficile. « Le langage humain apparaît donc soumis, comme d’autres phénomènes vitaux, à une horloge interne, conclut la linguiste. La régularité initiale des productions de parole est un phénomène inné, réglé biologiquement. Cette horloge interne n’est pas fonction du rythme respiratoire, même si ce dernier joue un rôle important dans le langage humain. »
Le langage, dit un autre psychologue, va permettre à l’enfant de mieux se situer dans son environnement, en évoquant les divers moments de son existence. Le langage va donner de la consistance et de l’assurance à sa représentation du temps, laquelle va s’enrichir à mesure que l’enfant comprendra le rôle des marqueurs de temps que sont ses repères, ce qu’il ressent lorsqu’il accomplit diverses activités quotidienne. Le langage joue aussi un rôle essentiel dans l’acquisition de la notion du temps chez l’enfant, remarque de son côté le psychologue Paul Fraisse, car il lui permet d’élargir ses perspectives temporelles par l’expérience des événements vécus et par les informations que vont lui apporter ses proches. Il faut avoir pu nommer les choses et les êtres pour qu’ils puissent appartenir aux souvenirs. « On ne retient que ce qui a été dramatisé par le langage », dit le philosophe Gaston Bachelard.