J'écris pour être lu: Ecriture
Introduction : compétence et degré zéro de l’écriture
I n ce qui concerne l’écriture, partons d’un cas clinique. Un enfant écrivait son pu nom au tableau : ROMAIN — > RAIN. Il avait huit ans. Cet exemple introduit la Million de compétence en écriture. On pourrait imaginer qu’il n’était pas capable d’e ntendre les deux syllabes, ou de rendre compte du phonème OM (la lettre M est iunNictuelle et source d’erreurs; l’on souligne souvent la difficulté de la scansion et ilu rythme; enfin puisque c’était écrit en majuscules, on pouvait faire allusion à la liflio, à la recherche de la vitesse). Voilà son explication, très simple et logiquement mu .I.lisante : le O, c’est zéro et puisque M est à côté du O, ça compte pour rien.
L’exclusion
- Il faut bien laisser tomber des lettres
L’exemple est bon pour montrer que les enfants font des fautes d’être trop compétente. Cette exclusion à laquelle il procédait par la multiplication du zéro, est requise en lecture : pour lire correctement ce prénom, en français, on est obligé d’en exclure le A. La lecture phonétique de Romain suppose que le A soit exclu. Ce qui spécifie les m m lecteurs, c’est leur refus d’exclure des lettres à la lecture. Dans l’écriture, cet i niant exclut des lettres pour un motif de logique mathématique. Ce double mouvement entre la lecture et l’écriture nécessite de faire tomber des lettres pour accéder au sens, c’est-à-dire de la connaissance de la grammaire, de la syntaxe, du lexique.
La mathématique pour refouler
Pour la transcription, Romain est obligé de mettre au point un système mathématique pour refouler le M. Or, que devient la lettre dans la logique mathématique? Elle m icprésente plus qu’elle-même, elle n’a aucun sens, au sens de la connaissance de la signification, et elle devient un objet de la pensée mathématique. De sorte que dans I ¡n le d’écrire, nous devons tenir compte du dépassement de cette nécessité pour lire d’abandonner des lettres qui amènent à la connaissance, pour passer dans l’exigence qu’il n’en manque aucune. S’il en manque, c’est que le refoulement des lettres non écrites ne traduit rien d’autre que l’intrusion de l’inconscient dans l’écriture.
- Le corps engagé dans l’écriture
Le statut de la lettre pour celui qui écrit est différent du statut de la lettre pour celui qui lit. Si nous articulons cela au concept de corps engagé dans l’écriture, nous consolons que, dans la main, les lettres y sont toutes; le corps apporte un démenti au procédé par lequel l’oreille accède à la signification. Ici, l’impératif n’est pas du côté de la voix, il esl du côté de l’orthographe. Il n’est pas question de bien lire avec la voix. Il est question d’abandonner le bien lire pour le bien écrire. Tous les enfants sont-ils capables de ce sacrifice? Romain, lui, faisait le sacrifice du M initial du prénom de son frère. Est-ce le même corps qui est enjeu dans l’espace et dans l’écriture? Répondre à cette question n’est pas indifférent. Comment rabattre le corps l’espace à celui de l’écriture? Dans les difficultés de l’écriture de l’enfant, c’est nu des points les plus difficiles à résoudre.
- La crampe de l’écrivain
Du côté du symptôme, dans la crampe des écrivains par exemple, on se trouvi) dans le réel, devant une mise enjeu du fonctionnement moteur qui accompagne l’aett d’écrire, et qui se traduit par ceci que cet accompagnement se fige, se fixe douloureusement devant l’acte. Si le bras qui écrit était un instrument, si l’acte d’écrifl supposait que le corps soit un instrument, la crampe des écrivains manifesterai! précipitation dans le réel d’une maladresse, d’une impotence musculaire, d’une mi»0 en jeu de groupes musculaires fonctionnels: il s’agirait d’un handicap; ou au contraire, le mouvement figé n’aurait rien à voir avec l’écriture, et le patient regarde* rait sa crampe comme extérieure à lui-même, comme dans le cas de conversion hystérique. Rien de tout cela : qu’il s’agisse d’un écrivain ou d’un enfant de six un, le symptôme est le même dans les moindres détails. Ce qui est donné à voir est un image fixée une fois pour toutes. Romain annulait-il le M pour ne pas avoir crampe? La crampe serait-elle une autre manière de faire tomber toutes les lettres tout en les retenant dans le geste? La crampe est-elle un effet de contention des lettres, M cas où elles échapperaient? Y aurait-il trop de lettres? La lecture de ce qu’il de ce qu’il elle au-delà de l’effet de la lecture, qui consiste à perdre des lettres, pour accédei au sens? Un excès de lettres risquerait-il de dévoiler le savoir inconscient?
- La trace
En clinique, dans le discours de l’obsessionnel, la question se pose de la peur qu’on lui prenne la parole; dans l’écriture aussi nous rencontrons des tics de parole, de» phonèmes ajoutés à la suite des mots, et cela chez l’enfant est fréquent, par exemple sous la forme d’une lettre ajoutée ou d’une rature terminant le mot. C’est dans récriture un très bon exemple de ce que Lacan dit de la névrose, à savoir que le névrosé brou il le la trace du signifiant. Le brouillage du signifiant fait trace dans l’écriture, devient respirable ; mais du même coup, ce brouillage devient une faute. La rature, c’est ajouter mie trace pour marquer qu’il y a une faute et un raté ; et le mot de rature ne s’applique qu’il l’écriture, tandis que le mot de raté s’applique à l’acte, à l’objet, non à l’écriture. En ce qui concerne l’écriture, la rature masque ou répare ce qui est raté.
La perte et le refoulement
- Port-Royal
La perte du côté de la lecture, le refoulement du côté de l’écriture. Y a-t-il une inscription différente de la lettre dans la lecture et dans l’écriture? La logique proposi – tionnelle n’est pas l’abstraction. Ces Messieurs de Port-Royal, quand ils envisageai lu «Logique ou l’Art de penser», et qu’ils établissent un rapport très strict entre l’ell’ct de la syntaxe dans la pensée et la consistance du lien entre grammaire et logique, se situent bien du côté de la connaissance. Ce que cette logique propositionnelle a de radicalement autre que la logique spatiale, c’est qu’elle porte sur les mots et non sur ijçs actions. Le statut de la lettre attachée au corps, au faire, à l’action d’écrire, au mips près de l’action d’écrire, a à faire avec l’espace, c’est-à-dire avec l’imaginaire iln corps. Par contre, quand un geste corporel vient soutenir et représenter un ou deux phonèmes, ou quand la lecture nous oblige, pour accéder au sens, à abandonner une |imtie de cette phonématique accrochée au corps de l’écriture, cette perte est une perte mi niveau de l’oreille, et pas dans l’espace, car la lettre à ne pas prononcer est là. Il ne »’ngit pas d’un refoulement mais d’une perte, d’une exclusion. Pour passer de la des lettres de l’écriture à la classe des lettres de la lecture, il faut que j’exclue tli s lettres (de l’écriture). Cet emboîtement de deux classes se fait donc au prix d’une |ii’i te. Est-elle strictement logique dans le sens de la phonétique? Romain nous montre ii- contraire. Si elle était strictement logique, la lettre n’aurait aucune signification. I ‘exemple de Romain montre que la lettre est mathématisée en zéro dans le but (l’annuler le M qui, lui, est le signifiant de son frère. Quand Romain, en tant que sujet, luit disparaître le M, le M représente Romain pour son frère : là, il n’y a pas perte, il y a brouillage, rejet d’un signifiant.
- La lecture maternelle
En conséquence, lire, est-ce reconnaître? C’est ce que laisse supposer la manière dont les livres actuels de lecture sont faits, puisque le texte est associé à une image iraliste — ou bien lire, est-ce être confronté à la lettre? Entre l’enfant et la mère, dans lotit débat de leur coexistence, s’agirait-il d’une lecture ou d’une reconnaissance?
- Débordement, fonction, fonctionnement et anticipation
La mère apporte bien aux fonctions immatures de son enfant le fonctionnement ilmit elles se soutiennent : elle le soigne, le porte, le nourrit, et remplace ainsi les fonc- imns non encore venues à maturation; mais en même temps il faut qu’elle soit apte à si faire déborder par le fonctionnement de l’enfant, car tout ce qui a à faire avec I’anticipation de la part de l’enfant, anticipation visuo-auditive précocissime, le porte .1 tourner la tête vers un son, à regarder dans la direction du son quand il s’interrompt, eotnme s’il anticipait par le regard les éléments de l’audition qui viennent de lui être fBtirés. Sa mère doit être présente aux deux lieux à la fois : du côté de la fonction dont clic tient lieu, et d’un lieu où elle est capable d’être débordée. Cette capacité à être débordée met en jeu le savoir de la mère, savoir auquel elle doit peu à peu renoncer pour ne pas confondre les objets partiels de son enfant et les siens.
- Savoir de la mère et conte de fée
Dans cette position d’abandon du savoir, la place que marque la mort se trouve mise en jeu du côté de la mère, dans ses désirs de mort, vis-à-vis de son enfant. Dans tr savoir de la mère, la mise en place de la lettre se produit-elle en tant qu’elle est lisible, ou parce qu’elle est devinée, reconnue par la mère? Elle peut être devinée, luire l’objet d’une prophétie de la part de la mère elle-même : cette position de prophète que la mère doit abandonner quand elle regarde son enfant et qu’elle lui parle, les prophéties des médecins, des infirmières, de la famille, etc. sont du même ordre : c’est ce qu’on appelle les fées dans les contes. Si la mère devine au lieu de lire, prophétise au lieu de déchiffrer, imagine, invente, cette relation va se faire avec un statut de la lettre sans inscription du côté du symbolique. Devinée, la lettre peut aussi t ire reconnue : si l’enfant est l’objet d’une reconnaissance, celle-ci est dans le dit ou h- non-dit, dans le roman familial, anticipant ainsi un effet de miroir. De même si la mère ne se laisse pas déborder pour être absente à son enfant et pour que son enfant lui soit absent, le symbolique ne vient pas s’introduire entre enfant présent et absent en présence de la mère : elle l’a toujours devant les yeux. Elle anticipe elle( aussi, mais pour produire un effet de miroir purement spatial.
- Identification, trait unaire, débordement signifiant
L’identification peut subir le même effet, car il s’agit d’un trait unaire qui s’allm I à l’imaginaire du corps (telle ou telle ressemblance physique), et ne permet pas II | mère d’être débordée par les signifiants qui s’attachent au corps dans son discours corps de l’enfant reconnu mais non déchiffré ne l’est que cité de manière imaginaire— devise du blason.
Jusqu’ici, il n’est question que du regard, que de figuratif. Cette prééminent n accordée par la mère à la reconnaissance sur le déchiffrage, que serait-ce d’aiill# qu’une résistance à ne plus en croire ses yeux, à ne plus céder au sortilège trompeur «figuratif abusif». Mais son allié objectif, dans cette méconnaissance où son moi ml tout entier engagé, quel est-il, sinon l’enfant lui-même dans sa passion à faire lniiiM, non seulement pour sa mère mais aussi pour lui-même? Se pose aussi la question de lii fonction de l’autre, fraternel ou non, dans cette captation du leurre, l’image de l’auyfl venant s’approprier le rôle de leurre; de là l’éclat de l’agressivité latente ou patente, 1
Ainsi, au lieu d’un nouage entre le réel et le symbolique, c’est à un renvoi d’uni signification à une autre que l’on assisterait sans cesse, s’il s’agit d’une divination ou d’une reconnaissance, et non d’une lecture, d’un déchiffrage par le savoir de la nint* En d’autres termes, il faut que la mère ne recule pas devant la lettre, ce qui suppose de sa part qu’elle ne fasse pas seulement un roman imaginaire du corps de son enliml, mais qu’elle s’autorise à lui parler du réel des lettres de son savoir inconscient.
Conclusion
Le corps est engagé dans la lecture, précisément par la phonation qui met enjeu pal le trou du corps qu’est la bouche, quelque chose de l’ordre d’un son que nous perdolll en parlant, projeté hors du corps par le souffle, par la respiration, et intimement intriqué à un rythme, à des battements, à une mélodie, à une prosodie; temporuliltf essentiellement respiratoire prise dans la phonétique, et qui met en jeu les lèvres, lu cavité de la bouche, la langue, les dents. Ainsi dans l’articulation elle-même, se trou Vf constituée une filière fonctionnelle, liée à l’état des lieux réels (bec de lièvre, asthme, etc.) qui vient faire un traitement de cette invocation, de cette expulsion de la voix. Al même titre que les matières ou l’urine, la voix est un objet qui se sépare du corps. I lit ne s’en sépare pas sans faire écho à la voix des autres (l’accent de la mère, la voix père) ni sans perte. C’est dans cette mesure que, même dans la lecture, ça dicte, pin que cette lecture à haute voix situe cette haute voix dans le désir de celui qui fait lu ou qui enseigne à lire. C’est cette haute voix à entendre, par laquelle passe contrôle» du bon ou du mauvais lecteur : les qualités de la lecture sont d’abord noie sur celles de l’émission de la voix, c’est-à-dire de cet organe : elle est lente, hésitanl fluide. Autrement dit, le désir du maître a quelque chose à faire avec le fonctionne ment de l’organe, de la voix. Il en est de même pour l’écriture, encore que l’écrit, ave$j la trace qu’il laisse, avec le corps engagé dans la pression sur l’instrument et dans geste graphique, c’est lui qu’on note. Et cet écrit-là est à lire.
Vidéo : J’écris pour être: Ecriture
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