Historique et évolution du concept : L'absentéisme scolaire naît par définition avec l'obligation d'aller à l'école
En France, ce sont les lois de Jules Ferry qui officialisent en 1 882 l’instruction laïque et obligatoire pour tous les enfants jusqu’à 14 ans. Ainsi, se singularisent les premiers enfants qui refusent ou « sèchent » l’école.
Ne pas aller à l’école, c’est a priori faire l’école buissonnière, c’est-à-dire s’accorder du bon temps, faire quelque chose d’interdit, c’est un comportement proche de la fugue.
Pendant de nombreuses années, l’école buissonnière a été considérée sous deux angles : soit comportement bénin, parfois même valorisé et vanté dans les romans ou chansons populaires (« Quitter la classe par plaisir… Qui n’a pas fait l’écol’buissonnière n’a pas connu le meilleur temps » Chanson de Charles Trenet), soit comportement de délinquance : les mauvais sujets sèchent l’école pour faire des bêtises et enfreindre la loi.
Dans les deux cas, l’école buissonnière ne paraissait pas du ressort de la médecine ni de la pédopsychiatrie.
La naissance du concept de phobie scolaire est datée par la publication en 1941 de l’article « School Phobia » dans !’American Journal of Orthopsychiatry, signé par Adelaide M. Johnson, El Falstein, S.A. Szurek.
En étudiant les caractéristi?ues d’un groupe d’enfants et d’adolescents qui refusent la scolarité, ces auteurs ont individualisé un sous-groupe dans lequel les enfants refusent l’école dans un contexte psychopathologique particulier, pour des motifs irrationnels et qui résistent avec des réactions d’anxiété très vive si on essaie de les forcer ? se rendre en classe. Au sein des refus d’école, ces auteurs distinguent bien, d’un coté les enfants qui ne peuvent pas aller ? l’école même s’ils aiment l’école et réussissent bien, ce sont les phobiques scolaires, et de l’autre ceux qui ne veulent pas y aller par manque d’intérêt.
Le terme de phobie scolaire est ainsi utilisé pour la première fois.
Auparavant pourtant, d’autres chercheurs avaient repéré des enfants qui avaient peur de l’école.
Alfred Binet en 1887, travaillant sur les peurs de l’enfant avait décrit le cas d’un enfant qui devenait mutique en arrivant à l’école le matin, qui refasait de travailler et qui était pressé de rentrer chez lui le soir.
Georges Heuyer, dans sa thèse de doctorat en médecine en1914 sur «Les enfants anormaux et délinquants », remarque des enfants particuliers qui manifestent des retards ou des absences scolaires, comme s’ils avaient peur de l’institution scolaire. La notion de peur, de phobie ne lui avait donc pas échappé. L’importance de l’anxiété dans ces manifestations avait attiré aussi l’attention de clément Launay qui s’appuie sur la notion d’anxiété pour différencier ces enfants des fugueurs.
De son coté,I.T. Broadwin en ? 932, émet l’hypothèse que l’absentéisme peut représenter une tentative pour l’enfant pour obtenir de l’amour ou s’évader de situations réelles aux-quel il lui est difficile de faire face. Il souligne que l’absentéisme ne résulte pas seulement d’un acte de défiance mais aussi de difficultés psychoaffectives.
Plus tard en 1956, l’équipe de A.M. Johnson impute l’étio- logie de la phobie scolaire, non à la peur de l’école mais à un trouble anxieux, l’angoisse de séparation. La phobie scolaire apparaîtrait dans le cadre d’une situation de dépendance mal résolue entre la mère et l’enfant, en coïncidence avec des facteurs précipitants qui provoquent une anxiété aiguë chez l’enfant. J. Rouart a, pour décrire la situation familiale de ces enfants qui ne veulent pas se séparer de leur mère, cette formulation percutante « mère écrasante-père effacé ».
L.A. Hersov décrit trois types de patterns familiaux quelque peu caricaturaux : mère sur-indulgente et père passif dominés par un enfant obstiné et demandant ; mère sévère dominante et père passif avec un enfant timide et craintif (susceptible de se rebeller à l’adolescence) ; père ferme et mère sur-indulgente attachés à un enfant obstiné et demandant.
Le profilage des parents d’enfants phobiques scolaires a intéressé d’autres auteurs comme Waldfogel qui, dans une revue systématique des phobies scolaires rencontrées, met l’accent sur le rôle pathologique et pathogène du couple parental : mère anxieuse et surprotectrice vivant une identification envahissante avec l’enfant, le maintenant dans une dépendance serrée. Le père, dans ce jeu relationnel, s’avère un partenaire peu sécurisant, anxieux tout autant que la mère, en compétition avec elle pour solliciter l’affection de l’enfant, en compétition aussi avec l’enfant pour retenir l’affection de la mère.
En 1964, Warnecke est optimiste pour l’évolution, alors que d’autres auteurs comme Coolidge et Eisenberg insistent sur la gravité de la phobie scolaire de l’adolescent.
Coolidge note que sur sa série de 49 phobiques scolaires, 47 ont repris une scolarité mais seuls 13 ont une vie normale ; 20 sont très limités dans leur réussite scolaire, leur vie sociale et personnelle ; quant aux 14 restants, ils sont caractérisés comme ayant une évolution psychotique, border Line ou caractérielle grave, avec une scolarité très fragile et un pronostic à long terme flou.
Pittman, en 1968, est aussi pessimiste, rapprochant les phobies scolaires des phobies du travail de l’adulte. Les phobies du travail ont souvent été précédées de phobies scolaires pendant l’enfance, avec une forte anxiété de séparation liée à une relation symbiotique avec une mère hyper protectrice et elle-même anxieuse.
En 1970, Weissen reprend les travaux sur les dix dernières années et propose une étude sur l’évolution de phobies scolaires hospitalisées suivies sur cinq à dix ans. Il revoit ainsi des adolescents ou jeunes adultes âgés de 14 à 23 ans. La scolarité est globalement satisfaisante, mais certains domaines restent très marqués par des difficultés : isolement social, absence de relations affectivosexuelles (refus dissimulé derrière le prétexte d’un travail trop important). Les relations familiales sont aussi perturbées : soit persistance de la dépendance à la famille, soit pour ceux qui ont réussi à s’éloigner et à fonder un foyer, leur vie est très casanière.
Ajuriaguerra, en 1974, réaffirme la définition de la phobie scolaire : enfants qui, pour des raisons irrationnelles, refusent d’aller à l’école et résistent avec des réactions très vives d’anxiété ou de panique, quand on essaie de les y forcer. Le phobique scolaire, insiste-t-il, désire aller en classe et a des ambitions scolaires (alors que celui qui fait l’école buissonnière n’aime pas l’école et préfère errer dans les rues). Pour lui, la phobie scolaire est plus fréquente chez l’enfant unique et chez la fille, et apparaît plus fréquemment chez les enfants d’intellectuels et chez des enfants de classe moyenne où le besoin d’élévation sociale est très manifeste.
Le tableau clinique qu’il en donne est le suivant : crise d’anxiété aiguë liée aux premières fréquentations scolaires avec rage, colère, opposition violente à la maison au moment de partir pour l’école ou au retour.
La somatisation de l’anxiété est décrite : céphalées, douleurs abdominales, vomissements, manifestations disparaissant si l’enfant ne va pas à l’école. Cette symptomatologie primaire peut être secondairement utilisée par l’enfant de manière plus ou moins consciente. La crise d’anxiété aiguë est liée le plus souvent au début de la scolarisation ; la somatisation survient à tous les âges, mais la véritable phobie scolaire apparaît pour lui entre 8 et 10 ans, moment où se mêlent : phobie de l’apprentissage, phobie de l’institution, phobie du maître, crainte de nouvelles relations avec les camarades.
Mais déjà, Ajuriaguerra critique le terme de phobie scolaire, évoquant la pluralité des organisations psychologiques ; ce n’est pas l’école qui est crainte mais la séparation qui déclenche des angoisses. Cet auteur a déjà perçu que certains refus de l’école répondent à des mécanismes plus complexes.
En 1977, M. Dugas et C. Cueriot rapportent une étude portant sur 68 cas de phobies scolaires chez des jeunes âgés de 7 à 16 ans ; le plus grand nombre a entre 9 et 13 ans. Antérieurement, ces enfants étaient bons élèves ou moyens dans 57 cas.
La relation mère-enfant est décrite comme complexe dans 40 cas : 33 cas d’anxiété maternelle et d’hyper protection, 7 cas d’ambivalence (la mère oscillant entre l’hyper protection et le rejet) ; les pères sont dans 33 cas absents (27 pères démissionnaires et 6 décès).
L’enfant tient une place particulière soit fils unique (20 cas), soit dernier (20).
Ces auteurs soulignaient, comme Ajuriaguerra, l’hétérogénéité des signes et l’absence d’une personnalité unique derrière le symptôme phobie scolaire. Si l’angoisse est présente dans 65 cas sur 68, ils remarquent aussi les symptômes d’agressivité et d’opposition dans 26 cas, et des signes dépressifs dans 13 cas.
Ce travail français important met le doigt sur la pluralité des pathologies qui peuvent se cacher derrière cette notion de phobie scolaire.
En effet, peu après, le terme de phobie scolaire est largement remis en cause d’autant que la phobie scolaire ne peut pas être assimilée à une phobie simple. Certains auteurs reprochent aussi à cette terminologie sa référence à un modèle conceptuel psychanalytique, sans recouvrir toutes les situations de refus scolaire avec détresse.
Dans les classifications internationales (CIM classification de l’OMS et DSM classification américaine), le terme de phobie scolaire n’apparaît pas. Elle entre comme élément constitutif des troubles anxieux, en particulier trouble anxiété de séparation et phobie sociale.
L’entité phobie scolaire apparaît néanmoins encore dans la classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA-R-2000) mais sa place est limitée.
Les critères diagnostiques de la phobie scolaire dans cette classification sont :
Manifestations d’angoisse majeure avec souvent un phénomène panique, liées à la fréquentation scolaire et interdisant sa poursuite sous ses formes habituelles. Cette catégorie exclut les manifestations par angoisse de séparation, et les manifestations phobiques localisées sur un objet ou une situation qui doivent être classées en troubles névrotiques. Nous voyons ainsi que le terme recouvre une part très limitée des refus scolaires. Cette classification est strictement française, sans reconnaissance internationale.
Après le temps de la phobie scolaire, vint le temps où le terme de refus scolaire anxieux a prévalu.
Les études essayaient de différencier deux sous-groupes : les sujets souffrant d’anxiété de séparation et les phobiques. Les phobiques semblaient plus âgés et avaient un refus plus global et plus sévères que les anxieux de séparation.
Les études comme celles de Last et Strauss (1990) à partir de la sémiologie de 63 enfants et adolescents âgés de 7 à
17 ans, ou celle de Martin (1999) sur 51 sujets âgés de 6 à18 ans ont montré que tous les troubles anxieux pouvaient être représentés dans le refus scolaire anxieux.
Au premier plan : l’anxiété de séparation, la phobie sociale et la phobie simple ; et moins fréquents l’anxiété généralisée, le trouble panique/agoraphobie, le syndrome de stress post- traumatique et le trouble obsessif compulsif. Il a surtout été remarqué que certains enfants souffraient de deux troubles anxieux associés ou plus.
En même temps, l’importante comorbidité avec des troubles dépressifs a conduit à décrire trois sous-groupes dans les refus scolaires avec détresse : le groupe anxieux pur, le groupe dépressif pur, et le groupe mixte (anxiodépressif).
Le concept de refus scolaire anxieux avait vécu, la notion de refus scolaire est apparue ; ce refus scolaire recouvrant de nombreuses situations de souffrance personnelle ou familiale.