Panorama des médecines douces
On ne saura sans doute jamais qui a inventé le mot « médecines douces », expression heureuse qui regroupe, en une même famille, des pratiques parfois très anciennes, qui se trouvaient ainsi opposées à la médecine scientifique, du même coup qualifiée de « dure », Or, imaginons un malade, frappé par une affection mortelle ou douloureuse, si on lui demande : « Préférez-vous être soigné par une médecine douce ou une médecine dure ? » Que répondra-t-il ! Il peut être tenté de choisir le pendule plutôt que le bistouri. Dès lors, si sa maladie est un cancer, il risque fort de se voir condamné à une mort qui, elle, sera sans doute peu « douce ». Une fois encore, il faut savoir agir avec discernement et savoir s’informer pour pouvoir décider.
La tâche est d’autant moins facile que l’on ne sait jamais très bien de quoi l’on parle, la confusion étant savamment entretenue entre médecines douces, médecines parallèles, médecines différentes, médecines alternatives, médecines diversifiées… Il faut rejeter cette terminologie vague et donc trompeuse, pour s’en tenir à des pratiques clairement désignées.
D’abord, les techniques qui se rattachent à la médecine classique :
- la diététique. Se faire conseiller une ration alimentaire adaptée à l’âge et à la dépense énergétique, établir un équilibre entre les divers nutriments, c’est se soumettre à une éducation nutritionnelle et à une prévention fondées sur des bases scientifiques bien établies ;
- la phytothérapie, autrement dit, médecine par les plantes. Elle a parfaitement sa place dans la médecine stances contenues dans les plantes sont identiques à ceux qui ont fait leurs preuves pour les produits pharmaceutiques. Aujourd’hui, les spécialités d’origine végétale sont des médicaments à part entière, à condition d’être prescrites en fonction d’un diagnostic médical précis ;
- la mésothérapie, il s’agit de piqûres intradermiques (à travers la peau) permettant d’injecter certains produits spécifiques. Les médicaments ainsi inoculés dans l’organisme appartiennent tous à l’arsenal pharmaceutique classique. Cette technique est surtout appliquée dans le traitement des rhumatismes et des traumatismes sportifs ;
- l’acupuncture. Médecine traditionnelle chinoise basée sur un équilibre entre les énergies Yin (énergie femelle), et Yang (énergie mâle). Les 365 points d’acupuncture sont répartis sur le corps et reliés entre eux par des « méridiens » qui correspondent à des organes (cœur, foie, poumons…), ils peuvent être stimulés, à l’aide d’aiguilles, afin de disperser ou réorganiser les énergies. L’efficacité réelle de l’acupuncture est aujourd’hui admise, même si son mode d’action n’est toujours pas expliqué scientifiquement ;
- l’homéopathie. Créée à la fin du xvme siècle par un médecin allemand, le Dr Hahnemann, elle est fondée sur ce principe : les substances qui provoquent les symptômes
peuvent guérir la même maladie si elles sont absorbées à très petites doses. Comme l’acupuncture, l’homéopathie n’a toujours pas fait la démonstration scientifique de son efficacité. Elle a pourtant fait la preuve de ses vertus dans le traitement de plusieurs affections. Il est quand même prudent de ne pas y recourir dans les maladies graves ;
- les médecines manuelles. Il s’agit principalement des manipulations vertébrales et des techniques dérivées : chiropraxie, étiopathie. Selon ces disciplines, la plupart des maladies seraient provoquées par un déplacement de vertèbres qui coincerait les nerfs commandant le fonctionnement des organes. Ces pratiques ont été considérées comme dangereuses par l’Académie de médecine. Il ne faut pas les confondre avec l’ostéopathie qui est scientifiquement reconnue dans le traitement des douleurs vertébrales ;
- l’auriculothérapie est fondée sur l’idée que l’oreille serait l’image renversée du fœtus, dans le ventre de la mère, d’où l’établissement d’une « cartographie » du pavillon de l’oreille permettant de situer les points correspondant aux différents organes. Le traitement consiste à stimuler ces points avec une aiguille ou un aimant. Cette méthode, fortement controversée, n’est guère fondée que sur la foi de ceux qui la pratiquent, et de ceux qui s’y soumettent ;
- l’iridologie. Il est médicalement démontré que l’examen de l’iris peut révéler les symptômes de maladies neurologiques ou articulaires. Mais l’iridologie va beaucoup plus loin : elle suppose que les moindres modifications de l’iris sont capables de révéler des maladies concernant n’importe quel organe. Cette généralisation n’a jusqu’à présent fait l’objet d’aucune vérification scientifique.
Les partisans des « médecines différentes » s’estiment calomniés par les adeptes de la « médecine officielle ». Mais, curieusement, ils se livrent eux-mêmes à une critique féroce des professionnels qui, dans leurs rangs, ne sont pas passés par leurs propres filières de formation. Bref, les querelles d’écoles ne simplifient pas l’information des usagers. On est en droit d’éprouver un réel scepticisme à l’égard de la jungle des pratiques qui prétendent toutes s’inspirer de méthodes issues de « la plus haute antiquité », de préférence « orientale », pour guérir tous les maux de l’« homme total ».
trouve pêle-mêle l’organothérapie, la naturopathie, l’eutonie, l’eudiatologie, la biosynergie… qui s’appuient sur des théories exprimées dans un verbiage totalement ésotérique qui prête heureusement à sourire. Exemple la « médecine méter- gique » : « l’homme n’est plus animé de la seule énergie locale et temporelle mesurable en physique, mais d’une énergie alocale et atemporelle, caractérisée par les ondes de compression de l’énergie gravitationnelle, encore non mesurable, faute d’appareils assez sensibles. » Langage révélateur : moins la méthode est scientifique, plus elle se dissimule derrière un galimatias apparemment savant. Telle est l’éternelle image du charlatan que nous a transmise Molière.
Mais le succès grandissant de ces pratiques irrationnelles a certainement une explication. Il reflète un certain rejet de la médecine scientifique en raison de ses échecs face à des fléaux comme le cancer ou le sida, mais aussi le refus d’un pouvoir médical intolérant et sectaire. S’estimant de plus en plus mal « écoutés » par les médecins officiels, les patients s’impatientent, et s’adressent à des oreilles plus attentives. Ce constat est à l’origine des nouveaux comportements observés en cette fin du xxe siècle. Leurs excès les rendent parfois critiquables, mais ils ne doivent pas occulter les aspirations profondes qui souvent les motivent. Les gens se veulent maîtres de leur corps et de leur esprit. Ils ne veulent plus confier leur capital vital à n’importe qui. Ils ont pour ambition de se prendre eux-mêmes en charge afin de préserver, entretenir, épanouir leur « être ». Ainsi devrait évoluer le nouvel art de vivre au seuil du troisième millénaire.