Les caractéristiques de l'enfant lunatique: enfant lunatique
Lunatique
La première caractéristique est celle dont je me suis servi pour nommer les enfants concernés. A l’opposé de l’hyperactif qui bouge tout le temps, le lunatique est tranquille, et même trop tranquille. Et surtout, il est souvent dans la lune. On décrit ces enfants en utilisant les termes «rêveurs», «perdus dans la brume». Ils paraissent absents, comme plongés dans leur monde intérieur. Ce qui les distrait provient donc habituellement de l’intérieur d’eux-mêmes.
Ce repli sur soi en fait des enfants réservés qui ne recherchent pas la compagnie des autres. Ils aiment la solitude par choix et non pas parce qu’ils sont rejetés par les autres. En général, au contraire, ils sont très bien acceptés par leur entourage. Ils ont peu d’amis, mais ce sont habituellement des amitiés solides.
Déficit de l’attention
Comme je l’ai dit au chapitre précédent, le problème des lunatiques concerne la focalisation de leur attention; ils ont de la difficulté à se concentrer sur leur travail. Cette difficulté est d’autant plus grande que le sujet sur lequel ils doivent se concentrer est abstrait. Autrement dit, si l’objet n’attire pas l’attention de l’enfant, il aura de la difficulté à faire porter lui-même son attention sur l’objet en question.
Voyons un exemple. Disons qu’hier, vous avez attendu au coin d’une rue entre midi et treize heures. Aujourd’hui, je vous demande de me dire de quelle couleur était la voiture qui était stationnée juste devant vous pendant cette heure-là. Il est probable que vous ne vous en souveniez pas, à moins que, pour quelque raison, elle ait attiré votre attention. Si c’était une limousine rose bonbon, par exemple.
Par contre, si je vous demande d’aller vous installer au coin de la même rue pendant une heure ce soir et de porter attention à l’automobile stationnée devant vous, il est probable que le lendemain vous pourrez m’en dire beaucoup à son sujet, même si cette automobile n’aurait pas normalement attiré votre attention.
L’enfant lunatique se souviendra facilement de ce qui a attiré son attention, mais aura énormément de difficulté à porter de lui- même son attention sur un sujet. Il se rappellera les choses concrètes qui ont éveillé son attention, mais si on lui demande de se concentrer lui-même sur des sujets abstraits, il aura beaucoup de difficulté. Un exemple fascinant: les tables de multiplication. Les tables de deux ou de trois peuvent être étudiées concrète¬ment, et l’enfant lunatique les apprend assez facilement. Si je lui demande de compter trois fois deux, il peut se servir de ses doigts ou de dessins, rendant ainsi concrète une question abstraite. Mais si je lui demande sept fois huit. cela devient plus difficile à concrétiser; il aura de la difficulté à trouver la réponse et à la retenir par la suite.
Problèmes de mémoire
Des problèmes de mémoire sont fréquemment notés chez les enfants lunatiques. A mon avis, ces problèmes sont des conséquences de leur difficulté de concentration. En effet, comme ils ne se concentrent pas suffisamment sur le sujet à étudier, ils ont peine à le mémoriser. C’est comme s’ils ne se concentraient pas assez pour que le sujet s’imprime dans leur mémoire.
Bref, les enfants lunatiques ne retiennent pas facilement les choses qui n’attirent pas l’attention. Par exemple, en français, ils auront beaucoup de difficulté à se rappeler les différences entre deux mots qui ne sont pas régis par une règle de grammaire. Ainsi en est-il des sons: le son «an» peut tout aussi bien s’écrire «a-n» que «e-n». Lorsque l’enfant entend le mot «rendre», il n’y a aucune règle qui va lui dire s’il doit l’écrire avec un e ou un a. Seule la concentration (et la mémoire) lorsqu’il lira ce mot pourra lui permettre de le savoir et de le retenir. Les enfants lunatiques commettent donc beaucoup de fautes de «mémoire» de ce genre dans leurs travaux. Par contre, si l’enfant veut savoir si, dans le mot «compte», la lettre qui précède le p est un n ou un m, il n’a qu’à se référer à la règle de grammaire qui dit que devant un p, c’est toujours un m.
À titre d’exemple de ce que j’appelle des fautes de mémoire, je vous soumets celui-ci, gracieusement fourni par un de mes patients, le jeune Marc. L’enseignant avait demandé à Marc de copier douze fois la phrase: «Je garde silence au vestiaire.» Comme on peut le lire sur la première ligne, il savait écrire correctement la phrase, ayant probable¬ment utilisé le modèle fourni par l’enseignant au dos de la feuille. Puis, à mesure qu’il continuait, il a écrit la phrase de mémoire, faisant des fautes qui ne contreviennent à aucune règle de grammaire et qui ne changent en rien la prononciation des mots. On ne peut pas l’accuser de paresse, car la phrase, écrite à sa façon, n’est pas plus courte. Ces problèmes de mémoire ne se manifestent que lorsque l’enfant est confronté à des choses abstraites. Pour les choses concrètes, ces enfants possèdent au contraire une excellente mémoire, souvent meilleure que la plupart des autres enfants, affirment leurs parents.
Lenteur
Les enfants lunatiques sont souvent décrits comme très lents; lents dans leur démarche, lents dans leur façon de travailler. Non seulement prennent-ils plus de temps, mais aussi leurs gestes, par exemple lorsqu’ils écrivent, sont plus lents. Ils sont aussi lents dans leur processus mental; bien que d’intelligence normale, ils mettent plus de temps que les autres à comprendre et à assimiler les renseignements.
Cette lenteur s’explique évidemment aisément par le fait que des zones cérébrales servant à la coordination travaillent au ralenti chez eux. Ils sont intelligents, certes, mais les renseignements se propagent plus lentement dans leur cerveau. Le médecin doit alors s’assurer qu’il n’est pas en présence de la lenteur qui caractérise les enfants souffrant d’une déficience intellectuelle. Une évaluation complète de leur capacité intellectuelle deviendra donc indispensable si l’on veut poser le bon diagnostic dans le but d’en arriver au bon traitement.
Anxiété
Les lunatiques sont relativement calmes et ne présentent pas les problèmes de comportement des hyperactifs. Et surtout, ils ne sont pas impulsifs. C’est un avantage en ce qui concerne leur vie sociale, mais le fait de ne pas s’exprimer facilement les rendra beaucoup plus sensibles à l’échec scolaire et les portera davantage à perdre confiance en eux. On les verra donc beaucoup plus souvent souffrir de problèmes émotifs, en particulier de l’anxiété. Ils auront aussi tendance à se dévaloriser, se sous- estimer.
Ainsi, même s’ils ne sont pas rejetés par les autres enfants, ils se tiennent souvent en retrait à cause de leur faible estime de soi. En outre, comme nous le verrons plus loin, leur peu d’habileté dans les sports contribue encore plus à diminuer leur confiance.
A l’adolescence, et parfois plus tôt, ils seront donc plus susceptibles de présenter des problèmes de dépression et d’avoir des idées suicidaires. Et cette tendance sera plus marquée s’ils accumulent les échecs tant à l’école que lors de tentatives de faire du sport de compétition.
Troubles spécifiques d’apprentissage
J’ai expliqué précédemment que près de 25 % des enfants hyperactifs présentent des problèmes spécifiques d’apprentis¬sage. On croit que les enfants lunatiques éprouvent encore plus souvent de telles difficultés, plus particulièrement en mathématiques. Cela se traduit, entre autres choses, par une incapacité à retenir leurs tables de multiplication. Comme je l’ai déjà souligné, leurs problèmes d’attention et, conséquemment de mémoire, ont un rôle à jouer dans la genèse de ces troubles.
Il est à prévoir que des recherches plus poussées établiront un lien encore plus étroit entre les lunatiques et les troubles spécifiques d’apprentissage scolaire. En effet, je soupçonne que l’atteinte cérébrale que l’on retrouve dans les cas de troubles spécifiques d’apprentissage se situe elle aussi au niveau de la coordination. Je suppose donc qu’il existe un lien étroit entre ces diverses entités. C’est pour cette raison qu’avant d’accepter le diagnostic de troubles spécifiques d’apprentissage sans troubles déficitaires de l’attention, je vérifie minutieusement. Je ne nie cependant pas cette possibilité; je connais d’ailleurs plusieurs cas.
Motricité
Les enfants lunatiques présentent souvent, probablement plus que les enfants hyperactifs, des problèmes de motricité fine. A l’école, cela se traduira par une écriture malhabile et par des dessins moins bien exécutés qu’on a de la difficulté à attribuer à des enfants aussi âgés. On remarque aussi plus souvent chez les lunatiques des problèmes de coordination et d’équilibre qui rendront l’enfant maladroit dans tous les sports ou jeux d’habileté. Ce phénomène embête particulièrement leur enseignant d’éducation physique.
Cette difficulté sera souvent mise en évidence lors de l’examen physique de l’enfant. Comme je l’ai décrit en parlant de l’hyperactif, on pourra aussi chez le lunatique retrouver certaines anomalies mineures à l’examen neurologique, plus particulièrement lors des tests visant à évaluer la coordination et l’équilibre. Entre autres choses, on décèle souvent des problèmes de latéralisation; ces enfants confondent longtemps leur gauche et leur droite et favorisent l’un ou l’autre côté selon la tâche demandée ou le membre employé. On retrouve aussi assez souvent des syncinésies, ces mouvements en miroir de l’autre côté, lorsqu’on demande à l’enfant de faire un mouvement d’un seul côté, qui sont bien involontaires et qui traduisent une immaturité neurologique. Ces signes s’atténuent avec le temps. Ils peuvent occasionnellement être assez graves pour nécessiter une investigation neurologique plus poussée.