Les émotions en souffrance
Quand l’incertitude est trop difficile à tolérer, on peut souhaiter en sortir rapidement. On s’active, on fait la sourde oreille à son malaise, ou encore on se braque en refusant le changement. Privée du sentiment et des images, la pensée ne parvient pas à créer un sens. Le déséquilibre persiste, le malaise s’amplifie et nous submerge, la souffrance s’installe en permanence et rétrécit tout le champ d’intérêt.
La souffrance provient d’une coupure au sein de l’être. Parce qu’on a ignoré un malaise, qu’on a repoussé une émotion, la réalité intérieure a été amputée d’une partie d’elle-même. Toute souffrance est donc, en soi, porteuse d’une histoire et recèle un sens caché qui n’arrive pas à surgir. Si on refuse de la prendre en compte, elle peut dégénérer en crise qui nous forcera à changer malgré nous. Lorsqu’elle s’installe, le recours à une psychothérapie peut être nécessaire pour récupérer ce qui a été perdu et sortir du mal être.
Comme le fait remarquer Christophe De jours, une souffrance purement morale n’existe pas. Le corps y est toujours engagé : elle se lit dans la posture, dans l’expression du visage, autant qu’elle se ressent psychiquement. La souffrance n’est pas une émotion. Sa présence signe plutôt l’échec du psychisme à métaboliser une ou des émotions qui engagent toute la physiologie. Elle est donc par essence un phénomène psychosomatique éprouvé globalement et qui absorbe la totalité de l’être. La souffrance est inhérente à la nature humaine, impossible à éviter et à éliminer. Nous sommes tous susceptibles de la connaître à un moment ou à un autre, mais ce qui en advient peut cependant différer d’une personne à l’autre, et chez une même personne selon le moment de sa vie où elle survient. Parfois, elle entraîne des remaniements profonds de l’être, elle ouvre sur la découverte d’aspects de soi inconnus jusqu’alors, ce qui, au bout du compte, se solde par un mieux-être. Dans ces cas, la crise est occasion de croissance. À d’autres moments, le temps ne fait que intensifier, la personne s’y enfonce et s’y enlise.
Certaines maladies physiques apparaissent sur un fond de souffrance qui ne trouve pas de résolution sur le plan psychique. Un perte mal assumée, un deuil impossible à faire peuvent être Ifcssentis comme une impasse. Le sentiment d’impuissance qui en découle conduit au désespoir, qui entrave le fonctionnement du e immunitaire. L’organisme fragilisé devient alors un nid ble à l’apparition de la maladie20. La souffrance engendrée la maladie physique ne se réduit pas à la seule douleur corpo- : elle porte souvent une dimension psychique qui témoigne par- du mal-être qui préexistait à la maladie et que celle-ci n’a pas
fait disparaître. Une cliente atteinte d’un cancer généralisé me consulte parce qu’elle sent le besoin de communiquer ce qui la ronge depuis longtemps. Elle me parle longuement de sa relation e couple marquée par l’incompréhension réciproque qui l’a minée peu à peu. Ses efforts répétés pour rétablir le lien ont été vains, elle s’est sentie de plus en plus seule et, devant son impuissance à se faire entendre, s’est mise à se dévaloriser. Elle s’est repliée sur elle-même et peu de temps après le cancer a fait son apparition. De son propre aveu, l’affection corporelle lui apparaît comme la seule issue à sa souffrance et elle envisage la mort comme une délivrance. Au moment où elle consulte, l’état avancé de la maladie ne lui laisse pas suffisamment de temps pour comprendre pourquoi elle a persisté aussi longtemps dans une situation intenable. Cependant, la consultation lui a permis de trouver une oreille attentive qui ne la condamne pas, et ainsi de mourir en retrouvant un certain bien-être intérieur.
Lorsque la souffrance nous envahit, les questions s’imposent d elles-mêmes. Pourquoi souffrir ainsi ? Pourquoi moi? Pourquoi maintenant? Que faire pour ne plus souffrir? La crise sonne
l’ alarme pour nous avertir qu’une part vitale de nous-mêmes a été négligée. Parce que les efforts faits pour écarter le malaise ne tiennent plus, la question du sens devient incontournable: tout l’être exige une reponse à l’énigme posée. La nécessité de comprendre ce qui nous arrive invite à un travail d’élaboration mentale et le destin positif ou négatif de la souffrance dépend du succès de cette opération de liaison psychique.