Les élèves ont-ils une mémoire visuelle ou auditive
Selon la même théorie populaire issue de la théorie de Charcot au xixe, certains individus auraient une mémoire sensorielle prédominante ; certains seraient visuels, d’autres auditifs, olfactifs, moteurs, etc. On disait que Balzac était un olfactif, que les peintres étaient des visuels et naturellement que les musiciens étaient des auditifs. Cette théorie est fausse dans cette forme simpliste et il suffit de se rappeler que Beethoven était sourd lorsqu’il composa ses dernières symphonies pour comprendre que la mémoire est plus abstraite que z cela. Les musiciens, par exemple, ont mis au point un langage des sons musicaux, le solfège, et c’est bien sûr cette I mémoire du solfège qui est essentielle. De même, on croyait que les joueurs d’échecs étaient des visuels mais de nombreuses expériences ont montré que les bons ou grands j joueurs n’ont une excellente mémoire que pour les pièces d’un échiquier et non pour des objets quelconques placés au hasard sur une table. Certains chercheurs ont fait mieux j encore et ont montré que des maîtres au jeu d’échec perdent leur mémoire fantastique si, au lieu de leur faire mémoriser les pièces (pions, roi, reine, fou, etc.) issues d’une partie normale, on met les pièces en désordre sur l’échiquier. Il ne faut pas oublier, là encore, le rôle de l’entraînement, certains maîtres s’étant entraînés pendant des milliers d’heures et possédant donc des centaines de parties en mémoire, de même qu’un historien a en mémoire des milliers de dates.
Les mémoires sensorielles ne constituent donc pas l’essentiel de notre mémoire de la vie de tous les jours et de la mémoire qui sert à l’école. Cependant ces mémoires existent bien, mais elles sont de courte durée. Par exemple, lorsque l’on compare, dans une expérience, l’efficacité de la mémorisation selon que des mots sont présentés visuellement ou auditivement, on s’aperçoit d’effets différents au cours du temps. Ainsi, lorsque le rappel est immédiat, les mots présentés auditivement sont mieux rappelés que les mots qui ont été donnés visuellement. On pourrait dire que nous sommes tous des auditifs à court terme ; ces expériences ont été réalisées de multiples manières, en utilisant des lettres, mots, ou textes, à la fois sur des étudiants de vingt ans et des enfants. Ce résultat n’est pas fait pour nous étonner si l’on se réfère à la question précédente où il apparaissait que la mémoire visuelle (iconique) ne dure qu’un quart de seconde. La mémoire auditive dure un peu plus, environ trois secondes, ce qui lui assure une supériorité relative. Mais attention, cette supériorité ne dure elle aussi que peu de temps, trois secondes. Dans la vie courante, cela laisse juste le temps de prendre de quoi écrire un numéro que l’on vient d’entendre mais l’avantage de la mémoire auditive est trop court pour avoir une application en pédagogie.
Comme je l’ai annoncé, les effets de la présentation visuelle et auditive sont différents dans le temps. Car, si à court terme (immédiatement ou dans un délai de trois secondes), la présentation auditive donne un meilleur rappel, ce n’est plus le cas après, par exemple dix secondes plus tard : le visuel et l’auditif donnent les mêmes résultats. Ce phénomène est à l’origine de la théorie moderne de la mémoire. La mémoire n’est pas unique, ce n’est pas un gre¬nier dans lequel seraient entassées des images visuelles ou auditives mais la mémoire ressemble plus à un ordinateur avec différents composants spécialisés, les modules. Pre¬nons l’exemple plus simple d’un immeuble.Au_rezr-de-chaussée se situent les entrées avec principalement l’entrée visuelle et l’entrée auditive. Les mots n’existent pas à cet étage mais sont simplement analysés comme des suites de caractères et forment un « colis » ; à ce stade, les mots connus ne sont pas différenciés des mots inconnus (par exemple écrits en anglais ou en russe) ; d’autres mots arrivent pas l’autre entrée de l’immeuble, l’auditif, et forment d’autres colis. Ensuite les colis sont acheminés à l’étage I supérieur, qui est très important, car là se situe une immense bibliothèque, celle de tous les mots appris dans l’existence. Chaque nouveau « colis-mot » va être compare 1 pour voir si ce mot existe déjà dans la bibliothèque. C’est; ; pour cela que nous avons l’impression d’un « déjà vu »j s lorsque nous voyons un mot comme « abeille », et non pour 1 un mot inconnu, comme « bulzomi ». Cette mémoire des mots est appelée « mémoire lexicale » du mot grec lexi qui signifie « mot ». C’est la mémoire lexicale qui est une de nos i principales mémoires, c’est elle qui nous permet d’apprendre les mots d’un texte, un poème par cœur, ou les noms qu’il faut mettre sur un visage ou une œuvre d’art. La bibliothèque de la mémoire lexicale contient des milliers de mots, et plusieurs dizaines de milliers chez l’adulte cultivé.