Le reconnaissance dans le miroir
Le nouveau-né dispose donc d’une mémoire fugitive. La vraie mémoire, celle qui va permettre d’enregistrer des souvenirs pour un temps plus long, ne viendra à l’enfant qu’à partir de l’âge où il aura franchi un seuil décisif : l’acquisition de la conscience de soi, ce qui ne se produit que vers dix-huit mois ou deux ans. Jusque là, l’enfant se soucie essentiellement du présent, et, dans une certaine mesure, d’un avenir très proche. Pour lui, l’immédiat succède le plus souvent à l’immédiat. Le passé lui importe peu, sauf si on le stimule à s’y intéresser par des exercices appropriés, ou si, comme on l’a vu, il le relie à des expériences intéressantes. Avant dix-huit mois, l’enfant ne se reconnaît pas dans l’image qu’il voit sur un miroir. Ce n’est qu’ensuite qu’il prendra conscience de son existence par rapport aux autres et par rapport au monde extérieur, et du même coup commencera à faire la différence entre le passé, le présent et le futur.
C’est donc à partir de ce moment décisif que se constituera peu à peu son sens du temps. On voit, alors, apparaître chez l’enfant les signes qui montrent qu’il fait la liaison entre des événements qui se succèdent, entre des séquences de temps. Par exemple, lorsqu’il comprend que les bruits de pas qu’il entend signalent l’arrivée de la mère. Ce changement est lié à l’établissement, dans le cerveau, d’un plus grand nombre de connexions entre les cellules nerveuses. A mesure que ces connexions se multiplient, s’étendent, elles vont sortir peu à peu l’enfant du présent immédiat, et lui faire prendre de plus en plus en considération le passé et le futur. Le développement du sens du temps et la construction du cerveau sont intimement liés.
Bien que les premières années de la vie soient marquées par une intense activité, nous n’avons généralement, une fois adultes, que peu de souvenirs datant d’avant l’âge de trois ans. Les neurologues expliquent cela par deux raisons. Tout d’abord, comme on l’a vu, à cet âge le cerveau n’est pas encore formé complètement, et il ne peut donc y exister de mémoire à long terme. Il est établi, en outre, que jusqu’à l’âge de trois ans, de nombreuses cellules nerveuses primitives disparaissent régulièrement, ce qui détruit du même coup les souvenirs qu’elles pouvaient porter.
La psychologie classique est donc en contradiction avec la psychanalyse, qui donne beaucoup d’importance à ces souvenirs de la petite enfance. Pour Freud, ils seraient conservés dans l’inconscient. Mais où se situe l’inconscient dans le cerveau, et qu’est-il réellement? Freud n’a pas inventé l’inconscient. On savait, avant lui, qu’il pouvait exister une pensée non consciente.
Mais il a donné une importance singulière à cette activité cérébrale, aussi mal connue aujourd’hui que de son temps. Freud a rendu l’inconscient célèbre, mais, en même temps, il en a donné une image déformée, en l’associant au refoulé, ce qui n’est nullement fondé selon les psychologues modernes. Faut-il, du reste, parler d’inconscient, ou de subconscient ? Le phénomène, quel que soit son nom, reste mystérieux, on ne comprend pas à quoi il correspond dans le fonctionnement neurologique du cerveau, ni où il serait localisé. C’est quelque chose qui, jusqu’à présent, reste étranger à la science – comme d’ailleurs la psychanalyse elle-même, ce qui ne lui retire rien de son intérêt, mais le déplace.