L'alimentation au secours du cerveau
Parce que le fonctionnement du cerveau conditionne le comportement humain, cet organe est souvent perçu comme relativement indépendant du reste de l’organisme et moins tributaire des facteurs environnementaux que les autres tissus. Sa position hiérarchique de chef d’orchestre le soustrairait à des influences nutritionnelles relativement triviales. Cependant, on sait que les carences majeures en vitamines B et E se traduisent par des signes neurologiques particuliers, et il est possible qu’avec certains régimes les apports alimentaires puissent être limitant pour le fonctionnement optimal du cerveau.
Par ailleurs, la spécificité de l’homme est de développer une activité intellectuelle, et il semble bien qu’il puisse l’assurer même dans des conditions de vie extrêmes. Le développement des maladies mentales relève d’un déterminisme particulier souvent fort éloigné de quelconques problèmes nutritionnels. Néanmoins, la qualité de l’alimentation est-elle si étrangère à la bonne marche du cerveau ? On peut en douter, le fonctionnement de l’organisme dans son ensemble ne peut être réduit à la somme des organes qui le composent, il résulte d’une dynamique interactive entre les organes, et le cerveau n’échappe pas à ces interrelations et ainsi aux diverses influences environnementales.
L’organisme humain possède la capacité de réparer les dommages subis par certains tissus. En revanche, les tissus tels que le tissu cérébral, la rétine, le cristallin ne peuvent pas être régénérés à la suite d’une lésion, ce qui conduit à une perte irréversible de leurs fonctions. Néanmoins, il a été montré récemment que certains neurones du cerveau conservaient une capacité de division, ce qui pourrait expliquer quelques processus de régénération ou de maintien cérébral. Surtout, il y a dans le cerveau humain une très grande densité de cellules, nommées les astrocytes, chargées de protéger les neurones et sur lesquelles il est sans doute possible d’agir par la nutrition. Malgré ces cellules protectrices et une certaine plasticité cérébrale, divers processus de vieillissement peuvent altérer plus ou moins irrémédiablement des fonctions du cerveau. Ainsi, l’augmentation de la longévité entraîne une élévation de la prévalence des maladies neurodégénératives (maladie d’Alzheimer, de Parkinson, dégénérescence maculaire). Ces pathologies provoquent des troubles intellectuels, visuels ou cognitifs qui sont à l’origine d’incapacités de communication, de locomotion, voire de démence. Elles constituent de lourds handicaps pour la qualité de vie de ceux qui en sont affectés et de leur entourage.
Une nourriture bonne pour le cœur est-elle bonne pour le cerveau ? Cela semble plus que souhaitable, et il s’agit en fait d’une réalité physiologique remarquable. La modification des habitudes alimentaires vers une consommation accrue de fruits et légumes, un meilleur apport d’acides gras polyinsaturés de type oméga-3, accompagnée d’une hygiène de vie générale, pourrait aider à prévenir ou à retarder l’apparition des pathologies dégénératives comme celle des maladies cardio-vasculaires.
Le vieillissement de l’individu et de son cerveau s’accompagne de modifications du comportement psychique, intellectuel et moteur dont il est parfois difficile de préciser si elles résultent d’une évolution naturelle liée à l’âge ou de maladies neurodégéneratives intercurrentes telles qu’une démence de type Alzheimer ou une maladie de Parkinson.
La maladie d’Alzheimer est la forme de démence la plus répandue, elle est caractérisée par des lésions histologiques particulières du cerveau. Au départ, des troubles de mémoire ou d’autres altérations intellectuelles propres au vieillissement sont difficiles à différencier des symptômes de cette pathologie qui affecte progressivement la mémoire, le langage, les capacités de reconnaissance, la coordination des mouvements et qui induit des troubles graves du comportement. Évidemment, on aimerait bien connaître les causes psychophysiologiques d’un tel naufrage pour essayer de le prévenir. On attribue à l’heure actuelle un rôle majeur à l’apport d’antioxydants pour la prévention de celte pathologie, ce qui pourrait expliquer une efficacité notable de (vilains extraits végétaux riches en polyphénols antioxydants de lype ginkgo biloba. Parmi les facteurs de risque, une absorption anormale d’aluminium (peut-être due aux instruments de cuisine ou à l’eau du robinet) a été évoquée sans preuve certaine. Bien sûr on est loin de connaître, avec la même précision que pour les maladies cardio-vasculaires, les mécanismes de la prévention de la maladie d’Alzheimer. Il est fort probable que la consommation régulière d’un régime alimentaire sain, comprenant une grande diversité de fruits, de légumes, de céréales, de poissons ou de produits animaux de qualité soit la meilleure source possible de facteurs de protection. Alors que la protection antioxydant est déterminante pour le maintien des tissus cérébraux, il est inutile d’espérer une prévention complète de cette pathologie par la seule administration d’antioxydants. Ce potentiel limité des antioxydants peut paraître paradoxal, cela ne fait que confirmer la complexité des facteurs de prévention et permet de mettre l’accent une fois de plus sur les risques liés à des apports d’énergie mal environnés par des composés non énergétiques.
La maladie de Parkinson affecte 1 % des personnes de plus de soixante-cinq ans, cette pathologie se caractérise par la destruction massive des neurones qui fonctionnent avec de la dopamine, entraînant une difficulté gestuelle, une rigidité, des tremblements. Les facteurs de risque n’ont pas encore été complètement définis ; la prédisposition génétique et la répétition de traumatismes cérébraux semblent avoir une incidence sur la survenue de cette pathologie. Des phénomènes inflammatoires au niveau cérébral et des contacts fréquents avec certains pesticides (paraquat et manèbe) semblent aussi influer sur la survenue de la maladie de Parkinson. Un excès de radicaux libres a été mis en évidence au niveau des neurones affectés, mais cela peut n’être que la conséquence d’un processus inflammatoire. L’implication du fer, grand catalyseur de la production de radicaux libres, dans cette pathologie semble probable et montre une possible participation du stress oxydant. Les études actuelles laissent donc supposer que la consommation d’une alimentation riche en molécules antioxydants (consommation de fruits, légumes, céréales complètes) pourrait freiner l’évolution de la maladie de Parkinson. Finalement, le régime alimentaire à recommander aux parkinsoniens ressemble étrangement aux mesures diététiques concernant la prévention nutritionnelle des maladies cardio-vasculaires. Ce régime devrait être pauvre en acides gras saturés et en viandes rouges (qui constituent une source de protéines limitant l’action de la L-dopa administrée aux malades), et riche en fruits, légumes et céréales entières qui fournissent les fibres alimentaires nécessaires au fonctionnement du transit intestinal, très affecté chez le parkinsonien.
Le développement de la cécité lié à la dégénérescence de la macula de l’œil est également une pathologie neurodégénérative fort répandue dans les pays industrialisés où elle représente à elle seule 50 % des cas de cécité après quarante-cinq ans. Cette dégénérescence maculaire est une affection multifactorielle dont les causes et les mécanismes ne sont pas totalement élucidés. On retrouve les mêmes facteurs de risque que pour les maladies cardio-vasculaires, auxquels il faut ajouter des facteurs spécifiques à la préservation de l’œil (couleur de l’iris, opacité du cristallin, exposition prolongée aux rayons de lumière bleus et ultraviolets). Les études épidémiologiques ont permis de montrer, plus clairement que pour les autres maladies neurodégénératives, le rôle protecteur des vitamines antioxydants et des caroténoïdes vis-à- vis de ce type de perte de vision. Les caroténoïdes composent d’ailleurs les pigments maculaires permettant d’améliorer la représentation visuelle en absorbant la lumière bleue et les ultraviolets, et en jouant un rôle direct d’antioxydant. Une alimentation riche en choux et en épinards, par exemple, permet d’accroître l’épaisseur du pigment maculaire, renforçant ainsi la protection de l’œil. De même, d’autres micronutriments tels que la vitamine E, le zinc ou des polyphénols peuvent freiner la détérioration de la macula ou améliorer la circulation microcapillaire.
Même si la nature des mécanismes de protection est loin d’être comprise, l’affaire semble entendue, il devient prudent et urgent de prévenir au maximum les pathologies neurodégénératives cérébrales et oculaires par une meilleure utilisation du potentiel protecteur inhérent au monde végétal. Cette logique de protection peut être prolongée en recommandant la consommation de produits animaux qui ont bénéficié également d’une alimentation végétale de qualité optimale pour disposer d’un
meilleur apport en acides gras essentiels (oméga-3) et en micronutriments.
Le fait que l’alimentation puisse avoir un effet favorable dans le retard ou l’atténuation des maladies liées au vieillissement est maintenant bien reconnu. Par contre les liens entre alimentation et fonctionnement du cerveau sont encore bien peu explorés. On oublie en effet que le plaisir de la prise alimentaire, souvent répété trois fois par jour, a un impact de régénération sur tout l’organisme ainsi que sur le cerveau. Cependant, l’homme est confronté au paradoxe de l’alimentation, d’un côté extrêmement bénéfique pour l’organisme (y compris le système nerveux) lorsqu’elle est bien adaptée à ses besoins, d’un autre côté source de perturbations métaboliques lorsque les apports d’énergie et de micronutriments sont déséquilibrés. Parfois même, des molécules alimentaires se retrouvent directement dans la circulation sanguine malgré le filtre intestinal, ce qui montre que l’intestin est loin d’exercer un effet barrière complet. Ainsi, il a été montré que des perturbations digestives ont des retentissements directs sur le fonctionnement du cerveau et sur l’état de bien-être.
La capacité de l’homme à se ressourcer infiniment par la nutrition participe sans doute efficacement au maintien de sa bonne santé mentale. Les chocs affectifs peuvent perturber profondément l’envie de vivre et de manger, et réciproquement la reprise d’une nourriture normale participe à la restauration d’une dynamique vitale. Sans que cela soit facile à apprécier et à détecter, une certaine difficulté de vivre peut avoir des répercussions sur l’envie de s’alimenter, et en retour le fait de moins bien se ressourcer par des bons repas contribue probablement à entretenir un certain mal-être. Il est difficile de savoir à quel point cela peut favoriser l’apparition de certaines névroses qui se développent par ailleurs à partir de causes bien étrangères à l’alimentation. La dépression est une maladie insidieuse qui frappe beaucoup d’hommes et de femmes, parfois de façon inattendue. De même que l’efficacité d’une aide extérieure médicamenteuse peut s’avérer utile pour atténuer les symptômes de la maladie, il ne faut absolument pas négliger le bénéfice d’un bon régime alimentaire, surtout s’il est source de convivialité. Or combien de personnes déprimées se retrouvent livrées à elles-mêmes, non seulement pour la préparation des repas, mais aussi pour leur partage ! Certains chercheurs attribuent des propriétés remarquables à l’administration d’oméga-3 dans le fonctionnement cérébral et préconisent ainsi de véritables cures de ces acides gras. Cela n’implique pas nécessairement que la déficience en oméga-3 soit un facteur de risque pour la dépression. Cependant des corrélations géographiques internationales montrent une relation inverse entre la consommation de poissons (une des sources les plus abondantes de ces acides gras) et l’incidence de la dépression majeure. Il serait logique que l’apport en oméga-3 soit le plus efficace chez les sujets dont l’alimentation est particulièrement déséquilibrée en acides gras essentiels depuis longtemps ; cependant ce type de preuve fait encore défaut. En l’absence d’une compréhension plus nette, l’intérêt d’un traitement à base d’oméga-3 demeure aléatoire, mais peut être tenté, vu son innocuité. Cependant, l’efficacité de la nutrition pour prévenir la dépression ne peut reposer à long terme que sur un comportement alimentaire équilibré, porteur d’un ensemble complexe de facteurs de protection.
Finalement, la vie est toujours un combat entre des forces d’usure et des possibilités de ressourcement, et il y a un risque, pour beaucoup de consommateurs emportés par le stress et le tourbillon de la vie moderne, de sous-estimer l’appui d’une alimentation protectrice ou le bénéfice de l’exercice physique au même titre que les autres activités humaines qui renforcent l’unité et le dynamisme d’une personne.