La santé au bout des doigts : clinique médicale et ostéopathique
Lorsqu’un médecin parle de l’examen clinique, le profane reste en général perplexe. Cette part d’elle-même que la médecine revendique comme son bien le plus précieux a acquis ses lettres de noblesse lentement, avec le temps, façonnée, modelée par l’accumulation des observations. Rigueur scientifique, intuition et humanisme : tel est l’art du diagnostic. Un clinicien, éthique oblige, se doit de perpétuer fidèlement les règles instaurées par les anciens : recueillir le plus grand nombre d’informations passées et présentes, les plus objectives possible, en interrogeant son patient, en l’inspectant minutieusement, en le palpant astucieusement, en l’auscultant méthodiquement, puis classer, reconnaître la maladie avec ou sans l’aide des examens complémentaires, puis enfin proposer un traitement, une surveillance et une conduite à tenir. N’est-ce pas le sel de la médecine clinicienne ?
Un contrat moral est donc scellé entre le médecin et son patient : le médecin doit informer ce dernier sur l’acte thérapeutique, ses effets secondaires, et le bénéfice escompté, l’évolution et le suivi, et mettre à sa disposition les moyens de la science moderne afin de limiter la marge d’erreur. Comme l’a dit Jean Bernard : « La médecine doit rester à l’écart de l’agitation, de la bousculade, de la vie haletante. » Elle doit se tourner vers la prévention et la prédiction. Les changements culturels qui accompagnent les bouleversements de nos sociétés atomisées ont infléchi la demande de soins des populations vers la médecine de confort. Pourtant, soulager ne suffit plus : il faut guérir. Dire l’histoire de la maladie et son pronostic ne satisfait plus les patients ; lorsque l’histoire ne leur plaît pas, ils l’égarent et prêtent l’oreille à ceux qui leur racontent de belles histoires ! Les effets de mode desservent plus les patients qu’ils ne le pensent.
La thérapeutique a donc pris une place considérable… la théra¬pie manuelle aussi. Comme l’écrivait Lucien Israël : « Le médecin est un dépanneur, rien de plus mais rien de moins, le dépanneur d’une machine d’une complexité fantastique dont il ne possède pas les plans. » Toute démarche clinique consiste à détecter les indices les plus objectifs possible qui conduisent aux labyrinthes des organes, des appareils et des fonctions. Chaque médecin oriente ses investigations en fonction de la discipline qu’il pra¬tique, souvent à l’aide de moyens technologiques sophistiqués sans lesquels il ne peut poser scientifiquement son diagnostic et assurer le contrôle et le suivi de son traitement.
L’écoute de la plainte du patient est une chose, l’écoute du patient en est une autre. Quelques disciplines médicales, lorsque s’établit le colloque singulier, le moment magique, entre le méde¬cin et son patient, vont privilégier plus que d’autres l’écoute du patient, de son angoisse et de son espoir. Douleur et souffrances ne font qu’un, et pourtant il faudra bien les reconnaître. Ainsi la consultation se déroule-t-elle sans spectateur, sans voyeur, sans « parleur », sans dominateur, au risque de leur déplaire. Le demandeur et celui qui reçoit sa souffrance sauront trouver, dans un jeu subtil de questions et de réponses, le chemin de la confiance et la garantie du secret médical, ce qui n’est pas un luxe à notre époque. L’interrogatoire reste toujours le temps fort de la démarche médicale. Neutralité et bienveillance sont deux qualités qui doivent être dominantes chez un médecin.
L’examen clinique en médecine manuelle ostéopathique s’oriente vers trois pistes : la piste des pathologies mécaniques de l’appareil locomoteur ; la piste des troubles fonctionnels ; le hors- piste qui conduit au grand chapitre de la psychiatrie. Là se croi¬sent les vrais-faux malades avec leur cortège de troubles aigus factices qui ont conduit bien involontairement les médecins à multiplier les investigations et les traitements sans aucun résultat, si ce n’est le coût faramineux qu’éponge la collectivité.
Les pathologies mécaniques de l’appareil locomoteur doivent prouver qu’elles ne sont que mécaniques. La piste est incertaine.
Souvent plane le doute, l’hésitation. Pour tenter de l’effacer, il faut rebrousser chemin. Lorsque le panneau danger se dresse, mieux vaut ne pas le contourner. Tout commence avec « l’histoire de la maladie » centrée sur deux questions dont les réponses ne peuvent être différées : « Là, assis(e) face à moi, de quoi vous plaignez- vous ? Montrez-moi où… décrivez-moi votre douleur, ses caractères… depuis quand ? Peut-on la rattacher à un événement comme un traumatisme (chute, accident sur la voie publique), une maladie connue et traitée, un choc affectif (deuil, séparation) ? Est-elle calmée par le repos ? Vous empêche-t-elle de dormir ? Vous réveille- t-elle ? À quelle heure ? Les antécédents, les facteurs de risque familiaux, personnel), les habitudes de vie (tabac, alcool, drogues), l’examen du dossier médical du patient s’il existe (bilan biologique récent, imagerie), l’évolution, les différents traitements dont a pu bénéficier le patient avec leurs succès ou leurs échecs, sont notés avec soin.
Chaque mot, chaque qualificatif, chaque date, a son importance. Maladies et syndromes ne seront étiquetés « mécaniques » et bénins que plus tard, lorsque l’examen physique guidé par les réponses sera achevé et argumenté par les examens complémentaires nécessaires. L’urgence n’est souvent que l’urgence du confort, le pronostic vital étant rarement en cause. Les manipula¬tions à risque peuvent être différées, certains bilans d’imagerie aussi. Tableau aigu ou tableau chronique ? Pathologie articulaire inflammatoire (arthrite) touchant une ou plusieurs articulations ? Pathologie articulaire dégénérative (arthrose) ou secondaire à un événement traumatique ancien (arthrose) ou récent ? Pathologie non articulaire (ab- ou péri-articulaire) des tendons, des bourses protectrices, de l’os, pathologie avec des dépôts (goutte) ? Autant de pistes de « traverse » dont seules quelques-unes offriront une indication à certaines techniques ostéopathiques parmi les moins agressives. De toute façon, l’examen physique sera déterminant.
Éliminer le rhumatisme inflammatoire, dont le plus fréquent est la polyarthrite rhumatoïde, est une évidence. Il en existe bien d’autres qui peuvent apparaître plus fréquemment dans certaines tranches d’âge, chez certaines ethnies. Éliminer les maladies à pertes osseuses, les ostéopathies (c’est leur nom), qui sont soit dif-fuses (ostéoporose) ou localisées (tumeurs malignes ou non) ; se méfier des douleurs chroniques. La recherche du « syndrome biologique inflammatoire » indiqué par la présence dans le sang de certaines protéines, dites de l’inflammation, fait partie des données collectées par les cliniciens d’une manière conventionnelle. Les douleurs rhumatologiques se superposent fréquemment, surtout au rachis, au thorax, au bassin, à la tête, avec des maladies ou syndromes d’autres appareils (cardio-vasculaire, broncho-pulmo- naire, génito-urinaire, hématologique).
Les douleurs dites « projetées », doivent être séparées des dou-leurs mécaniques et rattachées aux investigations cliniques ou paracliniques. Elles sont aussi le témoin d’une dysfonction qui, par des voies très complexes, vient se calquer sur l’appareil locomoteur. Telle douleur intercostale antérieure aiguë, non liée à l’effort, d’apparition spontanée, n’est en fait que la manifestation d’une péricardite post-grippale diagnostiquée à l’aide du stéthoscope, chez un « arthrosique » connu et qui revendique son arthrose comme cause de sa douleur ; telle douleur au membre inférieur sans trajet clairement identifiable, mais étiquetée « sciatique » par le patient, se révèle être une maladie vasculaire artérielle grave, décelée par l’absence de pouls des artères périphé¬riques, authentique urgence thérapeutique. Le stéthoscope, le tensiomètre, le marteau à réflexe, restent les instruments du « culte ». Sur la piste surgissent les panneaux « examen cardiovasculaire », « examen neurologique », bilan hématologique, facteurs de risque, consultation d’un spécialiste.
Une fois écartées les causes inflammatoires, tumorales, infec-tieuses, l’examen va s’attacher à étudier les articulations périphériques en rapport avec la plainte du patient : « J’ai mal lorsque je lève le bras sur le côté… Mon genou gauche se bloque lorsque je monte les marches… » Quant au rachis, le moment venu, il faudra appliquer une méthodologie clinique qui combinera savoir, expérience et mémoire du toucher. Le clinicien devra reconnaître les syndromes fonctionnels : douleur associée à la difficulté d’exécuter les mouvements dans une amplitude normale, soit d’un membre, soit du tronc, de la tête et du cou. Tous ces syndromes portent des noms sur lesquels nous reviendrons. Cette étape est celle de l’observation attentive, de la palpation détaillée et précise des éléments anatomiques.
Comme le peintre ou le tireur d’élite qui adapte sa vision en fer-mant un oeil, l’ostéopathe possède son propre « visuel » dans lequel vont se projeter les lignes qui marquent une séparation morphologique, la forme en fuseau d’un muscle de la jambe, la saillie d’un tendon au pied, le galbe d’une épaule, le creux d’un thorax, le raccourcissement d’un muscle. Les asymétries du visage, l’axe du nez, la saillie des pommettes, la hauteur des oreilles, la fossette sternale, la hauteur des clavicules, les salières, la forme et le volume des seins, la position du nombril par rapport à l’angle costal et au bassin, l’orientation du pli interfessier, la place des deux fossettes lombaires, l’alignement des apophyses épineuses des vertèbres, l’orientation des pieds, etc., tout cela est intégré dans la mémoire pratique instantanée.
De face, de dos, de profil, rien ne doit échapper à l’œil du clini-cien. Cette observation statique peut se compléter utilement par le fil à plomb que l’on tend verticalement de dos et de profil, le podoscope qui permet de lire les empreintes du pied (forme et répartition du poids des appuis). D’autres systèmes plus sophistiqués couplés à l’informatique sont actuellement utilisés par certains praticiens. La recherche de l’objectivité clinique anime de plus en plus la médecine manuelle.
Ces observations effectuées sur la statique, patient de dos, sont intéressantes à plus d’un titre car elles permettent déjà de classer à part les troubles dus à un déséquilibre musculaire. Dans ce cas, la latéralisation domine le tableau avec une bascule du bassin (le plus souvent vers la gauche chez les droitiers), un abaissement de l’épaule (le plus souvent à droite chez les droitiers), un déplacement du tronc du côté de la bascule du bassin. Cette configuration est très fréquente, associée à la fameuse jambe courte et à l’organisation des chaînes musculaires selon les modes de compensation que chacun aura développés.
La position naturelle du patient, non corrigée, montre sur-le- champ les rotations-torsions qui s’échafaudent de bas en haut. Ce mécanisme est physiologique puisqu’il correspond à nos postures quotidiennes, aux gestes préférentiels, à la répétition d’efforts asy-métriques. Le plus souvent, la jambe courte est dite « fonctionnelle » ou « fausse jambe courte » par opposition à l’autre jambe courte, la vraie, où existe une inégalité mesurable. L’ensemble détermine un schéma compensatoire dans lequel des muscles des chaînes musculaires antérieures et postérieures vont augmenter leur tonus, d’autres le diminuer, d’autres constituer des nœuds ou des cordons durs et douloureux à la palpation. Le diagnostic « fausse-vraie jambe courte » ne présente aucune difficulté clinique. Il suffit de rassembler une somme d’informations fondées sur l’appréciation de la position de certains repères anatomiques, debout, assis, couché.
Les ostéopathes ont reconnu des tableaux de perturbations qu’ils ont baptisés organisations de syndromes fonctionnels ou « suites lésionnelles ». Elles concernent les manifestations musculaires et articulaires touchant les membres supérieurs et le rachis, les membres inférieurs et le rachis. Une tendinite du coude peut avoir une cause rachidienne par l’organisation d’une « suite lésionnelle ». Le « blocage » de vertèbres au niveau du cou peut être imputé à une ancienne chute sans gravité sur la main. Des articulations sont plus mobiles que d’autres, les repères morpholo¬giques sont brouillés, les courbes sont plus ou moins accentuées, les disques sont plus ou moins épais, plus ou moins pincés, les ligaments plus ou moins souples et résistants… jusqu’aux vertèbres lombaires, dont la forme est modifiée. Tout cela ne constitue pas vraiment une pathologie, sauf lorsque la compensation ne joue plus.
Les asymétries structurelles, par opposition aux fonctionnelles, regroupent les scolioses (déformation en S) qui peuvent présenter plusieurs courbures visibles ou parfois être si bien compensées qu’on ne les voit pas. L’examen dynamique, en flexion avant du tronc, les met en évidence aisément puisque apparaissent les bosses (gibbosités), les inflexions latérales de la colonne verté-In.ilc Inégalité des membres inférieurs, déformation de la cage ilioracique avec fermeture des côtes d’un côté et ouverture de I .mire, font partie de la description classique des scolioses. Le plus souvent indolores chez l’adolescent elles deviennent douloureuses, parfois très invalidantes, chez l’adulte.
Quant aux troubles statiques en rapport avec l’appui du pied, on (-connaît au pied plat et au pied creux un rôle considérable dans 1rs compensations. Le pied douloureux occupe une place à part «huis la chaîne compensatoire. Ainsi apparaissent de nombreux .yndromes fonctionnels rachidiens et périphériques liés au pied, dans lesquels la contracture douloureuse musculaire, l’inflamma- lion de certains tendons, l’irritation de racines ou de tronc nerveux, sont rassemblées ou isolées. Ces pathologies doivent être étudiées au plan anatomique, en temps utile, grâce à l’imagerie, en l( mction du contexte clinique et du geste technique proposé.
De profil, le regard s’attache instantanément à bâtir une projection verticale virtuelle de la tête aux pieds, une ligne. Cette ligne de gravité passe ou ne passe pas par des repères anatomiques visibles. Si elle passe par ces points, le patient est en état d’équilibre antéro-postérieur, auquel cas ces chaînes musculaires seront elles aussi en état de tonus équilibré, ainsi que ses ligaments et ses lascias. Ce « status » est la normalité, l’objectif à atteindre, si cela est encore possible. Le fil à plomb est encore plus précis, mais I expérience demeure irremplaçable dans la pratique médicale quotidienne : le coup d’œil et la « patte ».
Le plus souvent, l’ensemble du corps est en bascule vers l’avant (type antérieur), dos plat, ce qui entraîne des modifications des courbures vertébrales, de l’orientation des pièces pelviennes, de la position de la tête, des attaches des membres supérieurs et infé¬rieurs, comme si le tout s’agrippait vers l’arrière, à cette ligne de gravité, pour éviter de chuter vers l’avant ! Ou bien la position du corps est basculée vers l’arrière (type postérieur) et les changements dans les courbures sont différents, les pièces pelviennes présentent une autre orientation, comme si l’ensemble s’amarrait à l’avant pour lutter contre des forces qui l’attireraient constamment vers l’arrière.
Modifications des tensions et des forces intéressent les muscles, petits ou grands, au cou, au dos, aux fesses, aux mollets, aux pieds, aux hanches. A la longue surgissent des troubles de la circulation de retour veineuse et lymphatique qui peuvent perturber durablement le fonctionnement des appareils respiratoire, digestif, génito-urinaire, et retentir sur l’une des fonctions clés du foie. En prime, des réflexes touchant les systèmes sensoriels (oreille, œil), une partie de la distribution de la circulation artérielle, sont perturbés. Certains ont noté des perturbations des rythmes veille-som¬meil, des facultés cognitives (mémoire). Telles sont les conséquences possibles et prévisibles des désordres de la ligne de gravité.
Entre ces deux schémas types, on peut rencontrer de nombreux schémas intermédiaires qui seront mieux analysés à la phase suivante de l’examen, portant sur la mobilité active et passive. John Wemham, à qui nous devons cette approche clinique, l’analyse biomécanique, et les constatations pathologiques fonctionnelles qui en découlent, nous propose de chercher aussi les « foyers où nos mains devront méditer à la recherche de la dysfonction et des corrections nécessaires au retour à l’équilibre ».
La piste mécanique emprunte alors la voie qui analyse le mou-vement segmentaire et la dynamique du corps. Cette étape essentielle de l’examen clinique est une subtile alchimie de la main et du mouvement. Recevoir des sensations dans la main est une pra¬tique courante ; ainsi les pilotes de formules 1 sont-ils capables d’analyser toutes les sensations, les vibrations transmises par leur véhicule sur le volant et dans toutes les configurations de route. À chacun sa méthode ; à chacun son point de départ. On peut s’épargner les fausses routes en suivant une progression clinique logique. Il arrive que le contexte soit un peu plus délicat. Pour des motifs philosophiques, religieux ou idéologiques, le clinicien peut clic
détourné de la rigueur et de l’objectivité de l’examen ; ne pas déshabiller ou ne pas palper son patient est une faute clinique. Voir et toucher le corps en mouvement reste l’essentiel de la démarche diagnostique en médecine manuelle ostéopathique.
La première option commence par l’étude de la marche de face et de dos, le regard braqué sur le déplacement des plis, des bosses, des creux, sur les oscillations du tronc, sur le balancement des membres, l’appui au sol et les positions des pieds, les vrillages et contre-vrillages du tronc et du bassin. Il faudra porter une attention particulière à la combinaison des positions et des mouvements du couple tête-cou, du couple lombaires-bassin, de l’amplitude de la latéralisation de l’ensemble tête-cou-ceinture scapulaire cl de celui qui comprend lombaires-bassin-membres inférieurs. Tous ces renseignements précieux sur le système d’adaptation- compensation du patient sont intégrés au bilan final. Des moyens technologiques modernes combinant tapis roulant à inclinaison variable (marche avec montée ou descente) et informatique sont de plus en plus souvent utilisés par les praticiens.
L’analyse du mouvement global ou segmentaire actif, c’est-à- dire que le patient exécute sur commande, le praticien combinant l’observation et le toucher sur des points de repère conventionnels, est faite en position debout et assise. Ces différentes manœuvres font partie maintenant du patrimoine de la médecine manuelle ; elles portent des noms rattachés à ceux qui dans les divers pays ont contribué à créer cette discipline. Ce sont : le test des crêtes iliaques, le test des « pouces qui s’élèvent », etc. Il est ouvrent nécessaire de compléter cet examen par d’autres pratiqués ( oui animent en médecine physique, comme par exemple, le test de résistance.
L’analyse du mouvement passif, c’est-à-dire celui que le clinicien déclenche, oriente et contrôle, inclut des tests de mobilité segmentaire. Cette étape où les mouvements d’une articulation .ont comparés à ceux de l’articulation la plus proche s’enchaîne naturellement aux précédentes, pour comprendre en interrogeant avec la main.
C’est le mariage de la théorie, physiologie du mou-vement et biomécanique, et de la sensation praticienne ; c’est le moment pour le lecteur de se remettre en mémoire les chapitres précédents.
Les tests de mobilité passive furent longtemps la « signature ostéopathique ». Depuis le début du XXe siècle, les différents cou-rants de médecine manuelle, orthopédique, chiropraxique, ostéo-pathique, sans perdre pour autant leur identité, se sont inspirés des progrès cliniques des uns et des autres. Mais la fiabilité des tests de mobilité reste contestée, principalement au rachis, car ils sont jugés trop subjectifs et aléatoires. En effet, cet examen des mobili¬tés passives au rachis, aux côtes, est si incertain qu’il est source d’erreur pour le diagnostic de la dysfonction articulaire elle- même. Entre les mains du praticien chevronné, il reste tout de même un élément de diagnostic précis, puisqu’il s’appuie sur la position des pièces anatomiques (apophyse épineuse) l’une par rapport à l’autre, leur mobilité, le sens de la restriction de mobilité la plus évidente. Rien n’est facile : l’apprentissage de la main s’effectue au quotidien. Les tests portant sur l’évaluation de la mobi¬lité passive aux charnières tête-cou, cou-thorax, lombaires-bassin sont particulièrement prisés par les ostéopathes. Ils se pratiquent assis ou couché sur le dos, de préférence. La manipulation ostéo- articulaire ou ajustement comporte elle aussi un risque, quoique tempéré par l’expérience. De toute manière, le diagnostic de convergence reste l’étape obligée du clinicien. Le choix de la technique s’impose à lui.
La seconde option est particulièrement appliquée dans les pathologies chroniques. Elle fait suite à la classification des patients en type antérieur, postérieur et « équilibré ». La main, le mouvement, le « visuel » vont conjuguer leurs actions pour analyser, comprendre et traiter. Cette synthèse diagnostic-traitement s’opère avec la complicité du patient, qui doit être totalement relâché.
John Wernham a étudié les procédures d’évaluation des ten¬sions et des forces, de la gêne et du degré de liberté des articulations, de la qualité de la peau et des tissus sous-cutanés, de la recherche des points et des cordons musculaires douloureux. Ce traitement général ostéopathique (TGO) se pratique sur le patient d’abord couché sur le dos puis sur le ventre.
Cette succession de mouvements répétés et rythmés comporte des séquences aux membres inférieurs, aux membres supérieurs et à la colonne verté¬brale. Une attention plus particulière est accordée aux charnières tête-cou, cou-thorax, lombaires-bassin-hanche.
Les muscles stabilisateurs latéraux des segments cervicosca- pulo-thoracique (cou-épaule-dos) et lombopelvi-fémoral (région lombaire-bassin-hanche) sont étirés dans leur plan de fonction ; les muscles paravertébraux de la posture sont sollicités de la tête au bassin. Les bras de levier utilisés pour réaliser les tests de mobilité passive sont tout simplement les membres et le rachis lui- même. Une main induit le mouvement, le pouce ou l’index de l’autre main « médite ». Les foyers de dysfonction sont détectés, disséqués, rattachés par les signes à la congestion circulatoire locale, aux infiltrats cellulalgiques (cellulite douloureuse), aux petits muscles douloureux : le diagnostic de « lésion ostéopathique » peut être posé.
Les bénéfices de cette approche clinique et thérapeutique sont multiples. Particulièrement prisé par les patients, le TGO est une bonne entrée en matière. Il évacue les innombrables petites dysfonctions, il draine, il calme, il libère des tensions profondes, il inhibe des réflexes douloureux, il redresse, il neutralise pour quelque temps l’effet de la pesanteur. Plus encore, il permet au praticien d’effectuer le choix de la technique la mieux adaptée en tenant compte des contre-indications. Le TGO se suffit très souvent à lui-même. Il est proposé classiquement aux patients qui présentent des troubles fonctionnels en rapport avec le tonus sympathique ou parasympathique, avec la désynchronisation de certains rythmes (sommeil, palpitations). Son indication majeure reste la pathologie mécanique de l’appareil locomoteur en état de non-équilibre (perte de F adaptation-compensation). Il vise à lui restituer une normalité fonctionnelle.
La pathologie aiguë exige toujours la prudence. La réaction inflammatoire locale est le plus souvent une contre-indication à l’intervention locale. Le TGO ne fait pas exception à la règle. Des manœuvres à distance du foyer sont parfois tentées avec un certain succès, en rapport avec l’élément anatomique en cause. Dans d’autres circonstances, c’est un véritable brasier qui s’étend rapidement. Il vaut mieux être sûr de son diagnostic.
La piste des troubles fonctionnels s’emprunte dans deux sens opposés. Les patients qui présentent ces symptômes sont étiquetés « fonctionnels », car ils présentent des symptômes qui, classés, sont différents des tableaux de pathologie organique. Ils sont une entité médicale propre. Fonctionnel signifie que ces troubles sont l’expression d’une altération de la fonction (par exemple, un spasme du muscle lisse qui contrôle la vidange de la vésicule biliaire). Ils sont réversibles au sens physiologique du terme : si on traite le spasme, le retour à la fonction normale est possible. Par contre, toutes les perturbations de la fonction d’évacuation biliaire ne sont pas dues à des spasmes. Ainsi, toutes les fonctions sont susceptibles, un jour ou l’autre, de perdre une partie de leur champ d’activité. Notons au passage que ces définitions s’appli¬quent aussi à l’appareil locomoteur.
Les tableaux fonctionnels sont reconnus par les médecins mais, comme toujours en médecine, rien n’est simple : un train peut en cacher un d’autre. 70 % de la pathologie digestive est fonctionnelle (colites spasmodiques, constipation, etc.), 30 % seulement organique. De plus, de nombreux troubles fonctionnels évoluent avec le temps, avec les causes qui les entretiennent, vers l’organicité ; c’est le cas de certaines migraines, de palpitations, des essoufflements, des pseudo-vertiges, de douleurs pelviennes, de troubles des règles, de la gastrite du stress, de l’ulcère gastro-duo- dénal, de la rectocolite ulcéro-hémorragique.
A tout moment, un symptôme fonctionnel doit apporter la preuve qu’il n’est que fonctionnel : c’est le rôle du clinicien de rassembler les informations recueillies par l’interrogatoire, l’inspeu’lion (celle de l’appareil buccal, de l’oreille, des orifices génito- urinaires et anaux), la palpation abdomino-pelvienne (foie, rate, it in, utérus), la thyroïde, les aires ganglionnaires, etc., l’ausculta- lion, les examens complémentaires biologiques et d’imagerie. Les ronnaissances sur « l’homme total » permettent de mieux orienter les recherches.
Le grand pourvoyeur de troubles fonctionnels reste le stress. L enquête étiologique aboutit presque inexorablement à isoler les facteurs de stress et ceux liés aux désordres nutritionnels. Le stress se manifeste par des troubles de l’adaptation dont les critères sont reconnus par la communauté médicale. Les troubles apparaissent en général au cours des trois mois qui suivent la survenue du ou îles facteurs responsables. Ainsi s’établit un handicap qui touche le fonctionnement professionnel ou des activités et des relations sociales habituelles. À d’autres moments on constate une exagéra- lion de la réaction normale et prévisible en d’autres circonstances ;iu facteur de stress. Cette réaction dite « non adaptée » ne persiste pas au-delà de six mois ; il n’y a aucune confusion possible entre ces symptômes et d’autres reliés à des troubles mentaux spéci¬fiques. A côté, se développent tous les signes qui définissent le stress posttraumatique.
Le traumatisme peut être émotionnel, répétitif, impliquant le souvenir ou le rêve ; inhibiteur des affects et des motivations, nécessitant des efforts pour tenter d’éviter tout ce qui rappelle le facteur de stress. Ainsi, des symptômes persistants qui traduisent l’hyperactivité constante neurovégétative sont mis en lumière, leur absence antérieure au facteur de stress étant déterminante dans l’analyse. Difficultés d’endormissement ou interruption du sommeil, instabilité ou accès de colère, difficultés de concentration, réactions de sursaut exagérées, toutes les réactions physiologiques liées à des événements qui ressemblent au traumatisme responsable. L’état de stress posttraumatique apparaît avec un retard par rapport à l’événement initial : la névrose traumatique totalement autonome évoluera d’une manière durable, conduisant à des perturbations de la personnalité.
Chez les patients qui consultent un ostéopathe pour des troubles fonctionnels, la plainte n’est pas toujours associée à des douleurs de l’appareil locomoteur. Mais le praticien sait qu’il en est autre¬ment. Affirmer le lien fonction-structure revient à chercher, le plus souvent, une dysfonction cliniquement muette. Il faut faire parler le corps. Cette situation, inconfortable, conduit à traquer la « lésion primaire », la première « lésion ostéopathique ». Sa trace peut se retrouver grâce à l’interrogatoire orienté, à la palpation intelligente des différents tissus, des organes, à l’inspection attentive de la peau, de la circulation superficielle. Parmi les lésions primaires contemporaines, la plus fréquemment rencontrée est le stress !
C’est pourquoi, il est plus facile d’emprunter la direction inverse. Le trouble fonctionnel s’inscrit dans un trouble identi¬fiable le plus fréquemment situé au rachis, au thorax, aux deux extrémités, la tête et le bassin. Que le syndrome mécanique soit local, régional ou général, la dysfonction ostéo-articulaire domine le tableau. La « lésion primaire » n’est pas forcément directement liée à la dysfonction ostéo-articulaire diagnostiquée. En effet, l’adaptation-compensation, constante du raisonnement ostéopa¬thique fondé sur l’exploitation des informations fournies par l’examen postural, nous ramène souvent à des « lésions primaires » périphériques. Parfois posttraumatiques, postchirurgicales, en rapport avec des déformations ou des malformations, elles peuvent provoquer, à distance, en évoluant, des troubles qui affectent des zones sensibles de l’appareil locomoteur qui retentiront par voie réflexe sur d’autres fonctions.
Pour l’ostéopathe, ce ne sont que des applications du principe de l’organisation de l’homme selon un « tout ». C’est ainsi que nos confrères cardiologues connaissent bien le rôle de la première côte gauche, les ORL la charnière tête- cou, les chirurgiens-dentistes l’articulation temporo-mandibulaire, les gastro-entérologues le rachis dorsal moyen et lombaire, les urologues le coccyx et le plancher pelvien, les gynécologues la région lombaire et le sacrum. Le diagnostic des dysfonctions mécaniques de l’appareil locomoteur et les troubles mécaniques de l’appareil locomoteur et les troubles fonctionnels ne font qu’un : normaliser l’un, c’est soigner l’autre.
Le « hors-piste » est une expression imagée pour désigner un vaste espace non balisé où figurent l’inconscient, ses désordres, et la maladie. S’y aventurer est un risque, si l’on maîtrise mal ce domaine si complexe où le patient et le praticien peuvent se perdre. Surtout si. par vanité ou par ivresse, ils s’y risquent seuls. « La maladie psychiatrique » est tellement variée et si complexe qu’elle peut singer n’importe quelle maladie organique. Ce « mal à l’âme » est symbo¬lisé par les trois plaintes suivantes : « Je suis fatigué », « J’en peux plus », « Je pleure tout le temps ». Lorsque ces trois feux rouges sont allumés, il faut prêter une attention particulière aux patients. Il arrive que derrière les symptômes les plus connus se cachent des maladies structurées au sens psychiatrique du terme, nécessitant l’avis du spécialiste. Le maître symptôme, la fatigue, pour lequel de nombreux patients viennent consulter, peut être attribué à un état névrotique, une dépression, une conversion hystérique ou, le plus souvent, à une situation en rapport avec les difficultés de la vie.
Si tel est le cas, c’est toute la force et la subtilité de l’entretien qui permettront d’orienter la prise en charge. La dépression peut être masquée, mais le plus souvent les symptômes qui l’accompagnent sont nombreux : perturbations des conduites alimentaires (anorexie ou hyperphagie), troubles digestifs (diar¬rhée, constipation, gastralgie), insomnie (endormissement ou nuit courte, réveil nocturne), troubles sexuels (baisse de la libido, troubles de l’érection), troubles génito-urinaires, troubles cardiovasculaires (tachycardie, perturbations de la pression artérielle, bouffées de chaleur, etc.)… et puis des crampes, des vertiges, des douleurs rachidiennes, des tremblements, des céphalées, etc.
Dépister la dépression avec ses troubles de l’humeur, son ralen-tissement psychomoteur, c’est aussi tenter de séparer celles dont on peut considérer qu’elles seront moins lourdes, moins profondes que les autres. En effet, elles sont le plus souvent liées à la « toxi¬cité » de l’environnement, la responsabilité pouvant en être attribuée à d’autres personnes que le patient, et on peut identifier des facteurs déclenchants. Ces dépressions, appelées psychogènes ou réactionnelles par opposition au dépressions endogènes, sont accessibles aux traitements ostéopathiques. L’expérience prouve que les dépressions endogènes, les troubles de la personnalité (névrose phobique, d’angoisse, hystérique, obsessionnelle), les psychoses maniaco-dépressives sont peu sensibles aux techniques ostéopathiques. De toute façon, mieux vaut adopter la règle de la collaboration interdisciplinaire, car les risques de dérapage sont nombreux. Et les ostéopathes n’ont aucun moyen de les prévenir.
Vidéo : La santé au bout des doigts : clinique médicale et ostéopathique
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