La parole et le langage:Les troubles instrumentaux
En neuro-psychiatrie infantile, on range dans la catégorie des «troubles instrumen- l.iux» les perturbations dans la réalisation de fonctionnements, perturbations que l’on peut entendre comme autonomes; l’instrument y tient la place d’un agent entre le lonctionnement et le monde des objets, ou entre le fonctionnement et les divers objets île la pensée, en particulier de l’intelligence.
Ainsi la maladresse, les troubles praxiques, ceux du «schéma corporel», les perturbations sensorielles, en font partie, au même titre que les dyscalculies, les dyslexies, lu crampe des écrivains par exemple.
- Dysphasie, surdi-mutité, bégaiement et autres troubles instrumentaux, parce qui ils portent sur le langage et l’articulation de la parole saisis à partir de leurs troubles, à ce seul titre relèvent évidemment de la psychanalyse.
- C’est dans le cadre des Minimal Brain Damage ou des Minimal Brain Disfonc- llons, qu’ils sont situés par la plupart des auteurs actuels, qui cherchent ainsi à établir un lien direct entre la défaillance de l’instrument et la non-intégrité du système nerveux central.
- Pour nous, il semble nécessaire de faire intervenir un tiers terme, que nous appelons le fonctionnement. Nous comprenons le trouble instrumental comme un détachement de l’instrument, instrument détaché du fonctionnement qui le régit et en même temps le nécessite. L’instrument fait sécession du fonctionnement, qui ne peut le maintenir dans la loi phallique de la fonction.
C’est la restauration de cette dépendance que la rééducation vise, et obtient parfois, précisément en utilisant le fonctionnement pour rééduquer l’instrument.
Un exemple très précis de rééducation, à partir du fonctionnement qu’est la lecture, peut être présenté : la rééducation des enfants sourds profonds.
Problématique de l’enfant sourd profond
S’il est particulièrement difficile de faire accéder les enfants sourds profonds il lu parole, on constate, au moment de l’adolescence et à l’âge adulte, que le sourd profond qui parle, présente très souvent des difficultés à accéder à la position de sujet.
Les problèmes psychiques du sourd profond ne sont donc pas radicalement diflt’ rents de ceux qui parlent, mais la problématique capitale qui est la leur est celle-ci g comment accéder au sens, en dehors de la phonématique?
L’imitation chez l’enfant sourd
- Les trois types d’imitation
Très précoce, elle survient dans les premières heures de la vie : elle porte essentiel! lement sur les mouvements du visage, de la langue, de la bouche, des lèvres. Vcru l’âge de trois mois, elle devient une imitation aliénante, sans délai, et porte surtout sur la posture. Dans un troisième temps se succèdent l’imitation différée, et l’imitation« représentation en acte.
- Les anticipations et le miroir
Ainsi l’axe du corps, dans son activité tonique et motrice — la posture — est-il le lieu où se constituent les premières anticipations, préludant à la représentation. Ce sont donc les fluctuations du tonus — hypertonie liées au besoin et à l’insatisfaction et l’hypotonie liée à la satisfaction — qui permettent l’exploration et les vocalisii» tions qui sont les premiers balbutiements de la voix, qui viennent constituer le ch;ini|t des premières relations entre la mère et l’enfant. Et c’est dans la phase du mirai mise en évidence par Lacan, que le petit de l’homme, dans la prématurité de son appareil relationnel, va avoir l’intuition de sa globalité, va découvrir son corps dmm le corps de l’autre. Il s’agit là d’un moment essentiel à la survenue de la leetuï# labiale à laquelle le corps tout entier — et en particulier son image, ce que le corps h d’imaginaire — participe.
Le cri du sourd
- La réponse que l’appel anticipe
Le cri est un appel ; pour l’enfant entendant, le cri vient couper le silence, et s’il u ‘y Test pas répondu, c’est au silence qu’il retourne ; car c’est la réponse que l’appel anticipe , et ce n’est que de cette réponse que l’appel prend du sens. Mais chez l’enlanl sourd, cette réponse ne peut pas être de l’ordre phonématique : c’est le corps île lu mère, ses lèvres et tous ses organes phonatoires, son regard, sa caresse, qui répoiw dent : c’est dans le regard de l’enfant et dans son corps, qui reçoivent et qui imitent, que le message devient langagier. Le cri tient au corps par la phonation, et celle-ci om( d’abord du côté du souffle, de l’émission d’air, rythmée et ponctuée. Le cri, comme lu voix, est d’abord un organe : organe de la fonction respiratoire, sous-tendue par uim tension thoracique, un effort qui met en jeu l’extension des jambes, la flexion dru mains et des avant-bras.
La voix frappe le corps
La voix du sourd comme celle de l’entendant, par le cri, se sépare du corps, véritable objet représentant partiellement la fonction phonatoire, mais elle ne vient pas happer l’oreille, l’étonner; elle vient frapper le corps, qui fait ici véritable caisse de résonance, et créer les premières ébauches de ces vibrations que l’on utilisera plus lard pour permettre au sourd d’accéder à la parole. Ce qui crée ces vibrations qui vont n‘sonner dans le corps, c’est la partie de celui-ci qui est un orifice, le premier intéressé il la jouissance : la bouche. Et l’on comprend à quel point est décisif l’investissement île cette zone; et l’on connaît les séquelles du non-retour par la voie auditive du désir, i|iiand le cri n’entend rien de sa voix reconnue et prolongée dans la voix qui répond.La voix frappe le corps
Le corps, réceptacle
Le tonus, la motricité, surtout au niveau de l’axe du corps, constituent un véritable organe de réception des mouvements du corps de l’adulte à imiter, mais aussi de lotîtes les sensations internes, musculaires, profondes, viscérales. On en peut donner comme démonstration l’importance de l’hypertonie, de l’état d’alerte et de l’instabi- lilc posturale et motrice que l’on rencontre si souvent chez les enfants sourds |>rofonds. Tout ce que l’on cherche à susciter chez eux de vibrations suppose, pour l ire reconnu, une certaine compétence du corps en tant qu’il est un réceptacle.
La gestualité symbolique : langue des signes
C’est parce qu’elle est inhérente à la gestualité, qu’elle est entièrement engagée ilans l’image qui est donnée à voir du corps au regard de l’autre, que la langue des signes est toute imaginaire. Elle atteint la signification mais elle reste imaginaire.
La démutisation par oralisation se trouve, elle aussi, dans une impasse au niveau du sens; car elle est incapable de rendre compte de l’homophonie, de l’équivoque, et de toute les figures de rhétorique qui sont sous le règne du signifiant, car celui-ci ne vient émerger que d’une différence phonématique.
La mise en œuvre précoce de la lecture
Celle-ci semble jouer sur deux registres essentiels :
- Le premier est intimement lié à ce qui vient d’être évoqué du cri, de l’émission il air qui entraîne la voix : cette pulsion invoquante, incarnée dans la phonation, met Cil jeu l’organe de cette fonction, et suscite le plaisir investi qui s’y attache.
L’intégration non pas auditive mais toute corporelle, esthésique, de la pulsion invoquante et de la syllabe perçue par la vue dans le texte, paraît être véritablement comme une prise de parole, comme un acte inaugural par lequel le sujet est pris dans l’articulation même de ce qu’il lit.
- Le deuxième registre vient se nouer au précédent au lieu même de la lettre,
D’abord en ce qu’elle est une représentation, une image figurée à reconnaître, mais aussi dans la mesure où par son élision, sa chute, son effet de coupure, elle constitue n proprement parler la dimension symbolique, au sens de la différence signifiante qui lait non pas le mot, mais le sens qui ne lient que par elle. Dès lors, il ne s’agit pas seulement d’une parole plaquée, d’un langage par accumulation de mots exacts, ni de l’entrée dans la symbolique de la vérité du sujet.
Conclusion
Dans la mesure où le sourd profond peut dépasser la communication sans médiation, dans la mesure où il devient capable par l’intermédiaire de la lettre, d’uu langage, il peut parler de sa place, c’est-à-dire aussi dans sa dimension inconsciente.
Vidéo : La parole et le langage:Les troubles instrumentaux
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : La parole et le langage:Les troubles instrumentaux