La mémoire est-elle la faculté des imbéciles
Je ne sais plus qui a dit que la mémoire est la faculté des imbéciles mais on entend fré-quemment ce genre de propos qui me semble lointaine- ment provenir de la conception de Descartes. Celui-ci avait fustigé un charlatan de son époque, Lambert Schenkel, pour sa méthode absurde consistant à apprendre des milliers d’images pour avoir une bonne mémoire. Mais, faisant un amalgame et confondant la mémoire tout entière avec cette méthode absurde, Descartes privilégia la raison (le raisonnement) en déclarant que la mémoire ne servait à rien pour les connaissances et que la déduction permettait de reconstruire toute la connaissance. Dans toute l’œuvre de Descartes, on ne trouve cité le mot mémoire que très rarement. De ce grand savant date, selon moi, cette conception appauvrissante de la mémoire que l’on retrouve parfois. Certains pensent par exemple que les déficients mentaux, appelés autrefois imbéciles ou idiots, ont une très bonne mémoire. Cette croyance part d’une généralisation hâtive à partir de quelques cas. Ainsi Théodule Ribot, le père de la psychologie scientifique en France, citait dans son livre Les Maladies de la mémoire (1881) le cas d’un oligophrène (déficient profond) qui avait retenu depuis trente-cinq ans les dates de tous les enterrements de sa paroisse, le nom et l’âge de la personne décédée et le nom de toutes les personnes qui avaient participé à la cérémonie. Ce type d’observation est exact mais correspond à un tout petit nombre de cas chez les déficients mentaux qu’on nomme les « autistes savants ». Chez ces individus, tout se passe comme si une grande partie de leur cerveau était dévolue à une seule activité ; tel enfant, par exemple, excellera dans les nombres et sera capable d’apprendre le calendrier perpé¬tuel et des dates tandis que tel autre aura une mémoire visuelle fantastique qui lui permettra de redessiner de mémoire les façades de bâtiments complexes ; mais, à côté de ces prouesses, ces enfants ou adultes ont un langage très pauvre et ne parviennent pas à apprendre à lire. En dehors de ces phénomènes rarissimes, la grande majorité des enfants déficients souffre malheureusement d’une mémoire déficiente. D’ailleurs les tests mentaux, dits d’intelligence, qui mesurent les capacités mentales, comprennent différentes épreuves de mémoire. Par exemple, le test d’intelligence le plus utilisé et le plus traduit dans le monde comporte onze épreuves et plusieurs d’entre elles mesurent la mémoire à court terme (répéter la plus longue suite de chiffre possible), la mémoire du vocabulaire et la mémoire des connaissances ; le test contient par ailleurs une épreuve de calcul mental qui nécessite la mémoire des tables et par ailleurs une bonne mémoire à court terme. Au total, la déficience est attestée par une performance insuffisante dans plusieurs épreuves dont beaucoup mesurent différentes mémoires.
À l’inverse, les individus brillants se caractérisent par de très bons scores de mémoire et mes recherches ont montré que les élèves de collège ayant les meilleurs résultats sont aussi ceux qui, dans des tests, connaissent le plus de vocabulaire de manuels scolaires. Certaines performances fascinent par leur caractère extraordinaire ; des chefs d’orchestre, comme Toscanini ou Karajan, dirigeaient de mémoire des parutions aussi complexes que des opéras ou des symphonies. Parce qu’on les côtoient plus fréquemment, on banalise des performances tout aussi extraordinaires, celles de l’historien qui connaît des milliers de dates, du pharmacologue avec ses milliers de composés chi¬miques, du journaliste sportif, de l’écrivain qui a un vocabulaire de centaines de milliers de mots, de certains acteurs qui peuvent mémoriser des milliers de lignes d’un texte. Et que dire enfin de Rajan, ce professeur d’une université américaine qui possède une mémoire vertigineuse des chiffres et est inscrit dans le livre des records pour avoir été capable de réciter trente mille chiffres du nombre pi.
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