L’ostéopathie moderne : éléments de physiologie articulaire
Il serait fastidieux et sans doute de peu d’intérêt d’infliger au lecteur des descriptions anatomiques détaillées et complexes. Néanmoins, aussi bien l’anatomie macroscopique, celle que l’on voit à l’œil nu, que l’anatomie microscopique, celle que l’on voit au microscope et qui concerne les tissus et les cellules, restent essentielles pour qui prétend soigner. Pourquoi n’intéresseraient- elles pas le principal concerné, à savoir le patient ?
Leur proche cousine, l’anatomie fonctionnelle (l’anatomie en mouvement), moins connue du grand public, éclaire davantage la démarche de ce clinicien un peu original qu’est l’ostéopathe. Cette discipline est en pleine évolution car elle bénéficie de l’explosion de l’imagerie moderne qui permet, malgré des imprécisions, une lecture fine de l’anatomie.
Voici ce que sait votre osthéopathe, et que vous devez vous- même savoir pour mieux comprendre votre pathologie : la méca-nique articulaire humaine. Muscles, tendons, ligaments, interprè¬tent les rôles que les mouvements articulaires, segmentaires ou globaux leur font jouer. Afin de mieux visualiser dans l’espace certains mouvements complexes, des schémas explicatifs, des maquettes complètent l’ensemble des outils pédagogiques. Ces ouvrages restent les livres de chevet du praticien mais peuvent être aussi consultés par certains patients plus curieux que d’autres.
La passion des chercheurs pour l’anatomie fonctionnelle et la biomécanique n’est pas nouvelle. Nous ne pouvons pas citer dans le cadre de ce livre la longue liste de tous les travaux en biomécanique humaine, surtout au moment où la technologie moderne en imagerie permet d’étonnantes reconstitutions anatomiques en trois dimensions. L’ostéopathie possède aussi ses pionniers. On ne peut omettre de citer la « colonne flexible » du Dr Halladay, sur laquelle les ostéopathes américains ont fait leurs gammes entre les deux guerres. Les études sur les contraintes mécaniques que subit le corps humain permettent de mieux comprendre la pathologie du squelette, donc de mieux cerner les indications techniques et thérapeutiques.
Arrêtons-nous sur les notions élémentaires d’anatomie et de physiologie que l’on manie couramment dans le concept ostéo- pathique.
Le muscle
Le point de départ de l’organisation de l’appareil locomoteur se situe à deux niveaux : le cerveau et la périphérie. 11 s’agit de comprendre comment agit le muscle, seul élément actif capable d’effectuer des mouvements indépendants et de développer des forces puissantes qui peuvent très rapidement modifier leur inten-sité. Tout mouvement est contrôlé par un groupe musculaire qu’on appelle agoniste et par un autre groupe de muscles qui jouent le rôle de « résistants », appelé antagoniste. Ces changements de résistance musculaire sont susceptibles d’être perçus par une palpation très subtile mais surtout très entraînée.
Le contrôle de la force de contraction est assuré par le centre supérieur ; le degré de la force de contraction dépend en perma-nence du nombre d’influx qui cheminent le long des nerfs informations qui parviennent à la moelle épinière par l’intermédiaire des propriocepteurs. La machine est bien conçue, car tout changement physique qui intervient dans l’appareil locomoteur est perçu par :
- Les récepteurs intra-articulaires localisés dans les capsules et les ligaments qui informent sur les mouvements de l’articulation, sa position et sa force. L’information sur la posture et la locomotion est traitée directement par le cortex et le cervelet.
- Les récepteurs tendineux de Golgi placés dans le tendon musculaire, près de la jonction avec le muscle, avec un seuil d’étirement relativement élevé. Ils autorisent un certain degré de liberté de mouvement. Ils sont à l’origine d’une sorte « de boucle réflexe » qui freine l’activité musculaire. Autrement dit, plus on tire sur le tendon, plus le muscle résiste. Si le muscle se rétracte, le tendon ne transmet plus d’informations. Ces récepteurs de la tension du muscle (et non pas de sa longueur) jouent un rôle dans sa relaxation.
- Les fuseaux neuromusculaires, les plus importants des pro-priocepteurs, sont situés à l’intérieur du muscle, et leur orientation est parallèle aux fibres musculaires qui les entourent. Des fibres nerveuses différentes transmettent les informations qu’ils recueillent. Des fibres motrices particulières contrôlent le fuseau neuromusculaire.
Le système fonctionne selon un mécanisme de « rétroaction » en contrôlant en permanence le muscle strié. Après étirement du muscle, le message parvient au système nerveux central. Et, par voie réflexe, le muscle se contracte et résiste à cet étirement. On peut dire que, inversement, le raccourcissement du muscle diminue l’excitation et provoque la relaxation de celui-ci. Ces propriétés scientifiquement établies servent de base à certaines techniques de rééducation fonctionnelle, mais aussi à certaines techniques utilisées par les ostéopathes dès lors qu’il s’agit d’obtenir une action plus musculaire qu’articulaire sur la fonction locomotrice perturbée, ce qui est souvent le cas.
L’importance des fuseaux neuromusculaires dans le maintien de la posture a été démontrée. La gravité tend continuellement à nous affaisser et à faire fléchir notre corps. La mise sous tension perma-nente des fuseaux neuromusculaires des muscles extenseurs et élévateurs du corps se traduit par une augmentation du tonus de ses muscles. Cette contraction tonique chronique de ses muscles « anti-gravité » est inconsciente… elle permet de maintenir une position droite. En outre, chaque muscle possède son propre système automatique de contrôle de sa longueur. Lorsque celle-ci varie, même dans des mouvements extrêmes, l’ajustement se fait pour chaque muscle actif selon son rôle à chaque moment. Quel merveilleux outil !
Le rachis
Globalement, la colonne vertébrale sert d’axe de référence au corps. Soumise à l’action de la gravité, elle doit conjuguer en per-manence deux impératifs qui semblent à première vue contradic-toires : la rigidité et la souplesse. Un système de haubans consti¬tués de ligaments et de muscles maintient ce « mât vertical » solidement amarré à la tête et au bassin. Un deuxième système est tendu horizontalement dans la ceinture scapulaire et la ceinture pelvienne. La stabilité de l’ensemble est assurée lorsque les ten¬sions et les forces qui s’exercent sur le « mât » sont symétriques. Il faut donc que les appuis au sol soient eux aussi stables et symétriques. Cette position de station debout est peu fréquente.
Lors de la marche (déplacement avant-arrière), d’un déhanche-ment (déplacement latéral), le système de haubanage, s’il est suffi-samment solide et tonique, stabilise le déplacement latéral. Simul-tanément, le mât peut épouser les formes sinueuses nécessaires à la stabilité de l’ensemble. Il se produit les mêmes phénomènes lorsque le mouvement s’effectue dans la ceinture scapulaire et les membres supérieurs. Les tendeurs musculaires, seuls éléments actifs du système, vont, sous la « haute autorité du système nerveux central », ajuster automatiquement leur tension pour rétablir l’équilibre. Cet automatisme est le trait dominant du réflexe de posture : c’est une adaptation active. Nous en avons un besoin permanent.
Adaptation et compensation sont des propriétés nécessaires à l’état d’équilibre. La souplesse est donc une condition de l’adapta-tion. Ainsi, c’est l’addition et la superposition d’un grand nombre de pièces anatomiques qui vont permettre aux mouvements de flexion, d’extension, de latérofléxion, de torsion de s’effectuer de haut en bas et de bas en haut du rachis.
A côté de ses fonctions purement motrices, le rachis est aussi, par sa rigidité et l’organisation de ses courbures, un cadre « d’amarrage » pour nos viscères. Véritable pilier central du tronc, il ne peut assumer cette fonction que si les tensions musculaires sont suffisantes. Mais il est aussi, et ce n’est pas négligeable, le protecteur de l’axe nerveux. Une partie du tronc cérébral, la moelle épinière et les nerfs rachidiens bénéficient de cette « armure » avec parfois, malheureusement, lorsqu’elle celle-ci vieillit, des conflits douloureux. Peu d’entre nous sont épargnés.
Vue de profil, la colonne vertébrale présente des courbures. Tout le monde connaît les lordoses cervicales et lombaires, la cyphose dorsale sans oublier la courbure du sacrum (constituée de vertèbres soudées et d’une petite queue, le coccyx). Le rôle essentiel des courbures est d’amortir les tensions et les forces, mais surtout d’augmenter la résistance aux efforts de compression. Chaque courbure a ses propres caractéristiques physiques, sa propre phy-siologie, qui d’ailleurs varie en fonction des positions. Il existe par ailleurs d’autres courbes parfois présentes chez le sujet normal. Elles font partie des courbes dites d’adaptation normale. Elles n’ont pas de caractère pathologique. L’absence de courbure (colonne rectiligne ou dos plat), l’inversion de courbure ou l’aggravation de la flèche des courbures sont pathologiques. Plus simplement, plus nous avons de courbures, plus nous avons de résistance. Plus les courbures sont accentuées, plus nous avons de capacité à bouger… plus les courbures sont effacées, plus nous sommes statiques. Les ostéopathes ont leurs propres idées sur le sujet.
Notre passage de la position de quadrupède à celle de bipède s’est accompagné du redressement et de l’inversion de la courbe lombaire, qui s’est déformée en creux.
C’est pourquoi l’angle produit par la colonne lombaire et le bassin ne peut plus amortir nos changements de position. On accuse celui-ci d’être le responsable des fameuses « lombalgies », vieilles comme le monde, à juste titre. Si vous observez un petit enfant, il se déplace à quatre pattes. Sa courbure lombaire est l’inverse de celle de l’adulte ; puis elle devient rectiligne à partir du treizième mois (période de la marche). La courbure lombaire lordosée que vous connaissez s’installe progressivement et n’est définitive qu’à l’âge de dix ans. Le renforcement musculaire se fait lentement en même temps que la croissance osseuse. Ces arguments sur révolution et le développement de l’appareil locomoteur devraient faire réfléchir ceux qui veulent transformer nos bambins en « bébés champions » précoces.
Les vertèbres, de haut en bas du rachis, ont des morphologies différentes, et les éléments anatomiques qui les constituent sont tous adaptés à des fonctions particulières. Lorsqu’il y a des chan¬gements dans les courbes, ou lors des jonctions du rachis avec la tête et le bassin, leur orientation dans l’espace est modifiée : elles sont plus ou moins inclinées. À côté des vertèbres dites atypiques, atlas et axis, facilement reconnaissables par leur morphologie, on décrit une vertèbre dite « type ».
Fonctionnellement, la superposition des vertèbres solidarise le rachis selon un édifice comprenant un pilier antérieur (les corps vertébraux) et un pilier postérieur (la colonne des articulations) qui permet la mobilité. Si on tient compte des forces verticales (la pesanteur), on a observé qu’à côté d’un segment totalement passif, la vertèbre, existe un ensemble moteur qui comprend le disque intervertébral, le trou de conjugaison, les articulations entre les vertèbres, les moyens d’union que sont le ligament jaune et le ligament interépineux. Entre d’un côté un pilier statique et de l’autre un pilier dynamique, il y a une zone intermédiaire qui transmet la contrainte. C’est le rôle dévolu aux pédicules vertébraux. Nous verrons ce qui se passe lors de la rupture de ces pédi-cules en leurs points les plus faibles, les isthmes.
Les différentes pièces de la colonne vertébrale sont reliées entre elles par des structures composées de fibres et de ligaments. Les piliers antérieurs sont fermement maintenus par le ligament vertébral commun antérieur et le ligament vertébral commun postérieur. Tendus de la base du crâne jusqu’au sacrum, ils jouent un rôle considérable dans la stabilité antéropostérieure.
Le disque intervertébral, qui assure la continuité anatomique et fonctionnelle de l’ensemble, est en contact avec le ligament postérieur. Les arcs postérieurs sont maintenus par un maillage très serré de ligaments. Quant aux articulations des vertèbres entre elles, des ligaments renforcent leur manchon capsulaire. L’ensemble est très solide, mais les microtraumatismes répétés (étirements) ou des chocs tels qu’on en subit parfois au cours de l’existence peuvent définitivement allonger ces ligaments non élastiques. Le dommage est défi¬nitif. Beaucoup d’entre nous sont plus vulnérables que d’autres aux conséquences de cette laxité ligamentaire, qu’elle soit acquise au cours de l’existence ou malheureusement héréditaire.
Le disque
Les plateaux vertébraux sont recouverts d’une mince couche de cartilage : le disque intervertébral prend contact avec les deux ver-tèbres sus- et sous-jacentes et leur cartilage. Il comporte deux parties distinctes, l’une centrale et l’autre périphérique. La partie cen¬trale, le nucléus pulposus, gelée transparente qui contient 88 % d’eau, ne possède ni vaisseaux ni nerfs. Ce détail anatomique est important : un disque usé ne se sent pas et ne se régénère pas. Le nucléus pulposus a globalement la forme d’une sphère, sorte de « bille intercalée entre deux plans », qui autorise ainsi de nom¬breux mouvements mais de faible amplitude. La partie périphérique, V annulus fibrosus ou anneau fibreux, est constitué de fibres concentriques dont l’orientation varie mais qui sont tendues d’un plateau vertébral à l’autre. Le nucléus pulposus est ainsi enfermé dans une véritable niche, sous haute pression, et sous la protection de l’anneau fibreux.
La pression à l’intérieur du nucléus pulposus est due à ce qu’il est gonflé d’eau dans une longueur inextensible. Le système possède une originalité : l’eau contenue dans le nucléus pulposus peut s’infiltrer dans des pores microscopiques qui font communiquer celui-ci avec le tissu spongieux de la vertèbre. Cela explique pour-quoi la hauteur du disque diminue en position debout et retrouve sa dimension normale en position couchée. On appelle cet état physique la précontrainte. Elle permet au disque de mieux résister à la compression et à certains mouvements. La nature a tout de même bien fait les choses.
Des études ont prouvé que le nucléus pulposus supporte 75 % d’une charge et Yannulus pulposus 25 %. Moins le disque est horizontal, plus il transmet de charge à sa périphérie. C’est le cas du dernier disque L5-S1 qui est le plus incliné. Plus la surcharge augmente, plus les efforts sont considérables. Dans les cas extrêmes, la flexion du tronc et l’effort de redressement avec une charge lourde provoquent une rupture de l’anneau. C’est la hernie discale. Nous en reparlerons au chapitre des pathologies.
Avec l’âge, le nucléus pulposus perd une grande partie de ses propriétés hydrophiles et l’anneau fibreux ses propriétés élastiques : en cas d’efforts répétés ou de surcharge trop brutale, les fibres vont se détériorer progressivement. Ce phénomène se reproduit dans les mêmes conditions chez le sujet moins âgé, surtout si les efforts sont mal contrôlés, que ce soit lors des activités professionnelles ou de la pratique de sports traumatiques. L’écrasement du disque intervertébral retentit sur l’accrochage des vertèbres sus- et sous- jacentes, et les articulations perdent la congruence de leur surface : elles bâillent. L’arthrose s’installe, mais aussi d’autres anomalies qui touchent le manchon capsulaire. En pratique, on note là aussi des disparités liées aux différences morphologiques et ethniques, à l’hygiène de vie et aux profils psychologiques. À chacun sa douleur… À chacun son traitement.
La hauteur des disques vertébraux est proportionnelle à la hauteur des corps vertébraux et au degré de mobilité du rachis. Ces mesures sont connues et interprétées couramment lors de la lecture des clichés de radiographies standard. Par exemple, elles permettent de pronostiquer « l’avenir de vos lombaires ».
La position du nucléus pulposus par rapport au bord du disque varie aussi en fonction de l’étage. Il n’est pas situé au centre du disque. Au niveau du rachis cervical, il correspond parfaitement à l’axe de mobilité, donc vers la partie arrière. Au niveau du rachis dorsal, il est au milieu du disque. Au niveau du rachis lombaire, il est aussi plus près de l’arrière, là où se trouve l’axe de mobilité. Ce qui explique pourquoi la pathologie discale touche préféren- tiellement les régions cervicales et lombaires si l’intérêt pratique ou médico-légal est démontré.
Ajoutez que, lors des mouvements élémentaires qui sont notre quotidien, flexion du tronc, extension, rotation, latéro-flexion, le disque intervertébral subit toujours une augmentation de la pression interne du nucléus pulposus conjuguée à une augmentation de la tension des fibres de Yannulus pulposus.
Vidéo : L’ostéopathie moderne : éléments de physiologie articulaire
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : L’ostéopathie moderne : éléments de physiologie articulaire
https://www.youtube.com/embed/Vf5qo2v_iao