Faut-il apprendre par cœur
« Mignionn allons voir si la rose » Il y a quelques décennies, la mémoire par cœur était valorisée dans le système pédagogique, avec les tables de multiplication et les poèmes. Depuis le grand chambardement de mai 1968, la mode a totalement changé et l’on pouvait entendre le slogan : « il suffit de comprendre pour apprendre. » A l’inverse, l’apprentissage par cœur est devenu synonyme de mémoire perroquet, de mémoire passive, cle mémoire bête. D’ailleurs, on entend souvent les écoliers ou étudiants dirent : « Ah, il faut que j’apprenne bêtement par cœur ! »
En fait, il est erroné de dévaloriser l’apprentissage par cœur qui, sauf dans l’exception que nous allons signaler, est un apprentissage noble qui met en œuvre des mécanismes assez complexes. Les chercheurs s’en sont aperçus lorsqu’ils ont étudié l’apprentissage en plusieurs essais d’une même liste. Afin d’éviter que les sujets de l’expérience ne se rappellent que les premiers et les derniers mots, la liste de mots, par exemple ving-quatre mots, est mélangée à chaque essai. Malgré ce mélange, les mots sont rappelés de plus en plus souvent dans le même ordre vers le moment où la liste est presque apprise par cœur. D’une liste contenant ces mots, tel sujet rappelle par exemple ensemble « ours, vélo, chapeau, cigare, tente » et, si on lui en demande la raison, il déclare qu’il a imaginé dans un cirque « un ours avec un chapeau qui fait du vélo sous la tente en fumant un cigare ». A l’inverse, tel autre sujet va rappeler ensemble (à supposer que ces mots soient dans la liste) « triangle, piano, costume » en imaginant une « rubrique musicale » avec le triangle, le piano et un musicien en costume. Bref, chaque sujet organise à sa façon les mots par groupes, une phrase, une image, une catégorie, et l’on retrouve donc en activité les mécanismes de groupements qui permettent de construire la mémorisation. L’apprentissage par cœur est donc ordinairement un cocktail de moyens d’organisation et est loin de se réduire à un apprentissage passif. Lorsque des mots complexes sont appris, l’apprentissage par cœur permet d’organiser, nous l’avons vu, les syllabes entre elles, en les rapprochant de mots connus, ce qui accélère leur mémorisation. Il faut donc revaloriser l’apprentissage par cœur.
Néanmoins, les recherches ont montré que la répétition n’était pas en elle-même le moteur de la mémorisation, c’est l’organisation des informations entre elles qui permet de grouper plusieurs informations. La répétition n’est qu’une occasion permettant de grouper ensemble les mots à organiser, ce qui nécessite un accès à la mémoire sémantique afin de trouver des phrases ou des catégories favorisant le rassemblement des mots. La répétition n’est en somme qu’une salle d’attente pendant que des bibliothécaires cherchent des moyens de mieux classer ces livres un peu spéciaux que sont les mots.
De la sorte, lorsqu’un élève répète sa leçon en pensant au jeu vidéo ou au film qu’il va choisir, la répétition est effectivement bête, puisque les processus nobles, sémantiques en particulier, sont occupés à sa réflexion sur les jeux ou les films. A partir de l’apprentissage de listes de mots, les chercheurs arrivent facilement à distinguer l’apprentissage perroquet de l’apprentissage organisé. D’un rappel sur l’autre, on décompte le nombre de mots rappelés dans deux essais consécutifs. Lorsque ce nombre, appelé « rappel inter-essai » augmente, c’est le signe que le sujet organise de plus en plus. Dans notre exemple précédent, le sujet rappelle « ours, tente » puis, à l’essai suivant, « ours, tente, cigare » et puis, d’essai en essai, il va agrandir le groupement auquel il a pensé : voici un bon exemple d’apprentissage organisé. A l’inverse, un sujet qui apprend comme un perroquet, va par exemple rappeler « ours, triangle » puis, à l’essai d’après, « ours, cigare », puis ensuite « cigare, costume », etc. Un tel sujet rappelle en général les tout derniers mots (mémoire à court terme) sans réfléchir à leurs éventuelles relations ; un tel sujet ne parvient pas à apprendre une liste de vingt-quatre mots ; en général, il plafonne en rappelant d’essai en essai environ sept mots. Cette analyse expérimentale explique pourquoi certains élèves, penchés sur leur bureau, répètent inlassablement mais sans avancer parce qu’il pensent à autre chose.
Il faut en conclusion valoriser l’apprentissage par cœur. Mais il faut bien veiller à ce que cet apprentissage soit un apprentissage organisé et non un apprentissage perroquet. Comment procéder ? Eh bien, en aidant l’élève à construire sur le papier des groupes significatifs dans sa leçon, notamment en faisant un plan avec des titres et sous-titres ou en faisant des schémas. S’il s’agit d’un poème, le faire réciter en lui faisant mimer la situation, pour vérifier que le sens est intégré ; s’il s’agit d’une table de multiplication, on lui fait apprendre par petits paquets successifs, en lui faisant remarquer les relations logiques ; par exemple, pour la table de cinq, il doit tomber une fois sur deux sur cinq ou un multiple de dix ; l’interroger à l’envers, ou lui poser des questions en désordre pour bien tester que la mémoire sémantique est bien sollicitée.Dans ces conditions, l’apprentissage par cœur est très efficace !
Vidéo : Faut-il apprendre par cœur
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