De quand date la première méthode de la mémoire
La première méthode a été inventée par un poète grec du nom de Simonide de Céos, à qui il est arrivé un film-catastrophe, bref, une dramatique aventure. Le récit nous est conté de façon quelque peu légendaire par des avocats romains, Cicéron, qui vivait à l’époque de Jules César et Quintilien (ier siècle). Ceux-ci appuient leur histoire sur des livres grecs, perdus de nos jours, notamment brûlés lors des invasions barbares. Cette année-là, il y a cinq siècles avant notre ère, un athlète remportant le prix de pugilat peut-être Scopas de Thessalie, demande à Simonide de vanter sa force en écrivant un poème. Celui-ci s’exécute mais se perd en digressions sur les demi-dieux Castor et Pollux, si bien que le pugiliste ne lui paie que la moitié du prix convenu. Selon la légende, les demi-dieux lui auraient payé leur dette car, le soir, tout le monde se retrouve autour d’un grand festin dans une villa, que certains situent à Pharsale, comme Simonide le laisse entendre. Au cours du banquet, un serviteur s’approche de Simonide et lui apprend que deux cavaliers montés sur deux beaux chevaux blancs le demandent (tout le monde aura reconnu Castor et Pollux). Mais à peine Simonide sorti, le toit de la villa s’écroule écrasant les convives si bien que ceux-ci restent méconnaissables et impossibles à identifier. Les familles se tournent alors vers le seul rescapé, qui retrouve de mémoire l’emplacement des convives. Cette observation le conduisit à imaginer une méthode de mémoire qui consistait à mémoriser une liste d’objets (ou de personnages) sous forme d’images mentales et à placer chaque image selon les emplacements d’un itinéraire bien connu, par exemple les places d’une villa, les échoppes d’une rue, etc.
La légende a-t-elle un fondement historique ? Nul ne le sait et Quintilien croit plutôt à un conte mais il tient cette histoire de plusieurs auteurs grecs dont le célèbre savant Eratosthène qui déjà avait découvert que la terre était ronde et avait calculé sa circonférence. Une tablette de marbre a même été retrouvée dans l’île de Paros, citant des dates de découvertes, dont celle de la méthode de mémoire de Simonide. Conte ou histoire déformée par les siècles, la méthode des lieux connut un réel succès puisque des avocats romains la citent dans le chapitre sur la mémoire de leur livre. La méthode, sous différentes transformations, traversera d’ailleurs les siècles et on la retrouve encore dans des ouvrages de mnémotechnie du XVIIIe siècle. En revanche, le décor change et, au fil des époques, les lieux deviennent des parties d’une abbaye, d’une tour féodale, d’emplacements du paradis, les ailes d’un ange ou des gargouilles.
La méthode des lieux, récemment réétudiée, est réellement efficace comme l’ont montré différents chercheurs. Par exemple, on dessine au tableau une rue fictive avec des magasins fleuriste, pharmacie, boulangerie, et les sujets doivent imaginer une relation entre le magasin et des mots d’une liste qu’on leur dicte. Par exemple, supposons que le premier mot soit parapluie, on peut imaginer que le parapluie soit un bouquet de fleurs géant, si le deuxième mot est orange, on peut imaginer un pot de pilules en forme d’orange, etc. Au moment du rappel, il suffit de refaire les magasins un par un pour retrouver l’ordre des mots de la liste. Les sujets d’un groupe contrôle (c’est-à-dire sans méthode) qui devait apprendre la même liste de mots dans l’ordre, ont une bien moins bonne performance, jusqu’à cinq fois moins de mots rappelés dans l’ordre. Cependant, de nos jours, la méthode des lieux est bien désuète car nous avons des agendas, des petits mémos pour soulager notre mémoire. Mais il faut se rappeler que les gens de l’An¬tiquité jusqu’à la Renaissance ne savaient ni lire ni écrire pour la plupart, ce qui explique le succès de la méthode de Simonide.