D’où viennent les lapsus
Si la mémoire sémantique est classée comme une bibliothèque, notamment par grands thèmes, nous avons vu que les mots sont également classés pour leur carrosserie dans une mémoire spéciale, la mémoire lexicale. Cette mémoire est un peu classée comme le fichier de la bibliothèque par ordre alphabétique mais de façon plus souple, en gros, par la première syllabe et par la rime. Ainsi, dans les recherches sur le phénomène du « mot sur le bout de la langue », on pose des définitions correspondant à des mots peu fréquents, qu’il faut trouver ; par exemple, comment s’appelle l’appareil que les navigateurs utilisaient pour se repérer avec les astres (le sextant). Chaque fois que le sujet de l’expérience ne trouve pas le bon mot, on lui demande s’il peut dire la première syllabe ou la rime du mot, et l’on s’aperçoit qu’une bonne proportion des individus avaient bien à l’esprit la bonne syllabe et la bonne rime. D’ailleurs, assez souvent le « mot sur le bout de langue » est produit par la compétition avec un autre mot qui lui ressemble. Les lapsus ou erreurs de mots présentent précisément ces erreurs phonétiques entre les mots et si Freud a popularisé l’idée que ces lapsus cachent des mots sexuels censurés, le cas est plutôt rare. Le cas général est une confusion avec un mot phonétiquement proche et plus courant, plus fort donc dans la mémoire de la personne ou de l’élève. Ces ressemblances phonétiques cau¬sent des déboires aux élèves qui font ainsi des grosses confusions comme d’appeler « dénominator » le dénominateur en le confondant avec le titre du film Terminator, ou de penser que « régicide » est un insecticide.
Ces phénomènes montrent que le classement de la mémoire lexicale est phonétique : les mots semblent être classés par la première syllabe, et secondairement par la rime. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la poésie, avant la popularisation des livres, était en rime, pour apprendre plus facilement les textes. La phonétique est la base des calembours, des jeux de mots, et dans ce cas nous faisons fonctionner la mémoire lexicale. Mise à part cette différence de classement avec la mémoire sémantique, classée par thème, la mémoire lexicale peut également être vue comme un vaste filet, où les mots sont associés par les mailles avec les mots qui ont les mêmes syllabes ou rime, d’où les mêmes phénomènes de préactivation. Les enfants aiment ainsi le jeu qui consiste à répéter à toute vitesse « bourchette, bourchette, bourchette » pour poser la question « avec quoi manges-tu ta soupe ? » et l’interlocuteur de répondre le plus souvent : « avec une fourchette », au lieu d’une cuillère. Le verlan, ou mettre les syllabes des mots à l’envers, amuse ainsi les enfants, même les grands, et correspond à un jeu d’exercice de la mémoire lexicale. La mémoire, ça pose des blempros mais c’est persu !