Comment s'acquiert la conscience du temps
Le psychologue suisse Jacques Montangero, qui a repris, discuté et complété les célèbres études de Jean Piaget sur le développement de l’enfant, s’est posé la question, après bien d’autres, de savoir si la connaissance du temps est innée, chez le petit d’homme, ou si elle s’acquiert peu à peu, au rythme de l’apprentissage social, et de l’assimilation par l’enfant de nouvelles connaissances. « La notion de temps, dit-il, ne peut manquer de soulever l’intérêt de quiconque se penche sur les problèmes de la connaissance. » Il semble, au travers de multiples observations, que cela soit acquis lentement par l’enfant : il ne comprendra réellement ce qu’est le temps qu’à l’âge de sept à neuf ans. Jusque-là, ses facultés mentales ne lui permettent pas de comprendre des repères temporels qu’utilisent les adultes qui F entourent.
Pourtant, les premières références au temps apparaissent entre deux et quatre ans. L’enfant est conscient de ce que signifie « avant » et « après » et que les événements de sa vie quotidienne se succèdent dans un ordre donné. « Je vais jouer avant de manger », dit-il. Il ne confond plus simultanéité et succession, mais cela ne va guère plus loin.
Vers trois ans, il pourra se souvenir d’événements vieux d’un an, et les situer dans le temps comme dans l’espace. C’est l’époque où il commence à utiliser l’imparfait, observe le psychologue Paul Fraisse, ce qui traduit une orientation dans le temps .
C’est aussi l’âge où il indique ce qu’il pense faire le lendemain. Il comprend le sens des mots exprimant la succession des événements. Hier et demain deviennent autre chose qu’aujourd’hui, il utilise lui-même des mots comme « attendre », « longtemps ». Plus tard, l’enfant évoquera des événements marquants de son avenir, comme Noël. D’une façon générale, le futur jouera encore pour lui un rôle plus important que le passé. Le développement de sa mémoire se fera lentement, pas nécessairement de façon régulière, car le développement du cerveau varie beaucoup d’un sujet à l’autre et se fait de façon discontinue.
Vers quatre ou cinq ans, une notion nouvelle apparaît : l’enfant estime le temps en fonction du nombre de changements qu’il perçoit, dans ce qu’il fait par exemple. Il raisonne sur la succession des événements, mais pas encore sur les intervalles de temps qui les séparent. Il dissocie mal l’espace et le temps, considérant, par exemple, qu’un mobile qui a mis moins de temps qu’un autre à parcourir une distance a fait un chemin moins long, alors qu’il est le même pour les deux mobiles.
Entre cinq et huit ans il va, peu à peu, acquérir cette estimation de la durée, celle, par exemple, d’une lampe allumée, et comprendre comment cette durée s’articule avec la notion de succession. Mais les enfants de cinq ou six ans jugent encore le temps directement proportionnel à la vitesse, l’idée de vitesse comportant pour eux une plus grande quantité d’activité. Vers six ou sept ans, l’enfant commence à saisir qu’il existe un temps commun à deux événements différents. Il distingue le temps- écoulement, le temps-quantité, le temps-succession, lequel est compris le premier, avant celui d’intervalle. Il commence aussi, peu à peu, à dissocier l’espace et le temps, mais il continue à comparer les successions plutôt que les durées des événements. Les successions sont, en effet, discontinues, elles définissent des espaces, lesquels sont, pour lui, plus évidents, alors que les durées sont de l’ordre de la continuité, une notion plus difficile à intégrer dans le raisonnement de l’enfant. Il est un peu comme Einstein : pour lui, il n’y a pas de temps absolu, uniquement des intervalles relatifs.
Vers huit ans, il se produit un changement important : l’enfant va mettre en relation les données sur le temps, la vitesse et l’espace. Il parvient à concevoir un temps commun à plusieurs événements. Mais cela ne lui donne pas la possibilité de juger réellement de ce qu’est le temps, de l’évaluer, de le vivre. Le jeune enfant n’a souvent conscience du temps qui passe qu’au travers des obstacles qui se dressent entre ses désirs et leur satisfaction. Le temps lui apparaît comme ce qui s’interpose entre un état initial où s’élabore un plan d’action en vue du but à atteindre, et l’état final, où ce but est acquis : plus le nombre d’obstacles et d’actions pour les surmonter augmente entre ces deux états, plus l’enfant sera susceptible de prendre conscience du temps écoulé. Par exemple, si on demande à un enfant de huit ans qui a attendu le plus longtemps dans une file, il désignera la dernière personne, mais uniquement parce qu’elle est la plus éloignée du but.