«Agir» l'émotion
Une autre façon de se débarrasser d’une émotion dérangeante consiste à l’évacuer par un «agir»: claquer une porte, donner un coup de poing, se battre. Lorsque le conflit éclate, M. Presto sent « la moutarde lui monter au nez ». L’émotion est si intense que tout s’embrouille dans sa tête : il n’arrive pas à réfléchir. Ses mâchoires se crispent, il tente de se contenir en serrant les dents et les poings, mais, au bout de quelques minutes, le geste lui échappe : il assène un coup de poing sur la table, laisse échapper un juron, se lève brusquement et quitte la salle en claquant la porte. Une fois à la maison, il déverse sa colère sur sa femme et ses enfants, peste contre tout et rien. Conscient de sa réaction déplacée, mais incapable de faire autrement, il s’isole et ne veut voir personne. Il marche de long en large, s’assoit, se relève et décide finalement d’aller faire du jogging. Après une heure de course où il se donne à fond, de retour à la maison, il se couche et s’endort immédiatement. Il dort profondément jusqu’au matin sans qu’aucun rêve ni cauchemar ne viennent troubler son sommeil. Au réveil, il se sent plus reposé et détendu.
Le passage à l’acte n’est pas à proprement parler un mécanisme de défense. Il signe plutôt l’échec des stratégies défensives du psychisme. Contrairement à ce qui se produit dans la répression, l’individu ressent l’émotion, mais l’inconfort est tel qu’il est incapable de la contenir pour lui laisser le temps d’imprégner les processus de pensée afin que des images mentales puissent se former. Contenir une émotion souffrante le temps nécessaire à l’apparition de représentations peut parfois s’avérer difficile, surtout si elle est très intense. L’agir impulsif offre une voie d’évacuation rapide, mais il court-circuite la création des images et, par conséquent, rend impossible tout travail psychique. C’est pourquoi on dit que le passage à l’acte est l’antithèse de la pensée .
Une tension très élevée ne disparaît pas au premier passage à l’acte. Pour venir à bout de la sienne, M. Presto a dû recourir à plusieurs « agirs » : le coup de poing sur la table, la porte claquée, je déversement de colère contre sa famille, les cent pas faits dans son bureau et finalement une heure de jogging. M. Roger Bontemps aussi s’est beaucoup activé, mais, contrairement à M. Presto, il n’avait nullement conscience de bouger parce qu’il était en colere. On ne peut donc pas parler d’agir, ici. Le passage à l’acte, bien qu’il permette une évacuation de la tension, ne peut être efficace qu’à court terme. Dès que M. Presto sera confronté à une situation semblable, il devra recourir de nouveau à toute une panoplie d’actes impulsifs pour rétablir son équilibre énergétique interne. Autrement dit, il ne parviendra jamais à tirer profit de ces expériences difficiles, parce qu’il ne peut apprendre d’elles grâce à un travail de pensée. De plus, parce que l’acte impulsif est impossible à retenir, il se produit la plupart du temps de façon inappropriée, ce qui complique les relations interpersonnelles de la personne qui y a recours.