Le diagnostic
Dans le chapitre précédent, je me suis attardé à vous décrire l’enfant hyperactif. Or chaque enfant étant différent, on ne peut s’attendre à ce que toutes les victimes d’hyperactivité correspondent parfaitement à cette description. H importe donc de définir un moyen permettant d’établir un diagnostic qui soit le plus précis possible.
Comme l’hyperactivité a une cause organique indiscutable (voir le chapitre précédent pour plus de détails), il serait intéressant de pouvoir soumettre l’enfant à un examen biochimique ou radiologique qui confirmerait le diagnostic avec une grande précision et un risque d’erreur faible. Des tentatives en ce sens ont été faites par plusieurs chercheurs; ainsi l’électroencéphalogramme (E.E.G.) de ces enfants, les différentes formes de tomographies axiales (scan cérébral), et plus particulièrement la résonance magnétique, ont été étudiés attentivement. Mais pour le moment, le recours à ces examens reste inutile et les médecins sont obligés de s’en tenir à des critères cliniques.
En Amérique du Nord, la plupart des cliniciens se basent sur les critères définis par l’Association américaine de psychiatrie pour poser un diagnostic d’hyperactivité (voir le tableau 1). Ces critères ont été publiés en 1987 dans la troisième édition révisée du livre Diagnostic and statistical manual of mental disorder qu’on désigne généralement par le sigle DSM I1I-R. Pour qu’un des quatorze symptômes énumérés soit retenu, il doit se manifester beaucoup plus souvent que chez la majorité des enfants du même âge mental. Un questionnaire élaboré à partir de ces quatorze symptômes peut être rempli par les parents de l’enfant et par ses enseignants. On pourra aussi demander aux personnes qui ont à travailler avec l’enfant (par exemple, un professeur privé de musique, un entraîneur sportif, etc.) d’y répondre.
Il est évident que pour que le diagnostic soit retenu, il n’est pas nécessaire que l’enfant présente les symptômes lors de toutes ses activités. Cependant, la connaissance du degré de ces symptômes dans chaque situation aidera grandement à prendre des décisions quant à l’utilisation des différents moyens thérapeutiques. La plupart du temps, c’est à l’école, pendant ses exercices scolaires, que l’enfant montrera le plus de symptômes; l’évaluation des enseignants est donc très importante. Un enfant qui ne présenterait des symptô¬mes qu’à la maison devrait être évalué plus à fond avant qu’un diagnostic d’hyperactivité soit porté.
Dans son livre publié en 1990, le Dr Russel A. Barkley suggère certaines modifications ou améliorations aux critères de l’Association américaine de psychiatrie que je trouve très intéressantes. Il propose d’abord de corriger le nombre de critères nécessaires au diagnostic selon l’âge. On sait en effet que les symptômes de l’hyperactivité s’atténuent avec l’âge et que l’on risque de faire une erreur de diagnostic, en particulier pour ce qui est des adolescents, si l’on s’en tient strictement au critère de huit réponses positives sur quatorze. En ce qui concerne des enfants plus jeunes, un diagnostic d’hyperactivité pourrait être posé à tort. Il suggère donc d’augmenter à dix le nombre de critères qui doivent être présents chez les moins de six ans, et de diminuer à six ce même nombre chez les plus de douze ans. Quant aux enfants entre six et douze ans, le nombre de huit critères resterait.
Il recommande aussi de ramener l’âge du début des symptômes à moins de six ans, ce qui est très logique, car la majorité des enfants présentent les premiers symptômes vers quatre ou cinq ans. Il suggère aussi que l’on porte à douze mois la durée minimale des symptômes, ce qui semble une suggestion pertinente, compte tenu que l’hyperactivité est un problème chronique et qu’il faut éviter de poser le diagnostic trop hâtivement. D’après mon expérience, ces deux exigences ne posent aucun problème; elles sont généralement présentes. C’est parfois plus délicat si je pose le diagnostic lorsque l’enfant a l’âge de fréquenter la maternelle, donc avant que les symptômes aient eu le temps de durer douze mois. H arrivera, quand l’enfant est particulièrement agité et inattentif, que je doive prescrire des médicaments alors que les symptômes ne durent pas depuis douze mois. C’est là une situation exceptionnelle qui demande une surveillance accrue.
Le Dr Barkley conseille aussi d’être très prudent dans l’évaluation des enfants qui souffrent de retard mental. Ces enfants présentent en effet une immaturité qui peut, dans certains cas, conduire à poser un diagnostic d’hyperactivité à tort. H suggère donc que dans les cas où le quotient intellectuel de l’enfant est de moins de 85, les critères de diagnostic soient évalués en comparant l’enfant avec des enfants normaux du même âge mental et non pas du même âge chro¬nologique.
H faut être ici très prudent. On sait que les enfants hyperactifs sont souvent sous-évalués lors des tests de mesure du quotient intellectuel. En effet, les symptômes qu’ils présentent, surtout l’hyperactivité et l’impulsivité, risquent de nuire à leur capacité de passer les tests; plu¬sieurs obtiennent donc des résultats de quotient intellectuel qui ne reflètent pas leur capacité réelle. Les chiffres de quotient intellectuel de ces enfants ne doivent donc être considérés que comme un mini¬mum et non pas comme une représentation parfaite de la réalité. En fait, je n’ai rencontré que rarement des cas où la performance d’un enfant normal ait été si faible que le diagnostic de retard mental ait été porté. Lorsqu’un enfant hyperactif a un quotient mesuré inférieur à 85, j’applique les principes du Dr Barkley, tout en me réservant le droit de demander une deuxième évaluation dans les cas douteux.
Il est certain que tous ces critères de diagnostic sont des aides précieuses; ils ne remplacent pourtant pas une évaluation clinique scrupuleuse. Il faut du temps pour obtenir cette évaluation, mais elle est indispensable au diagnostic. Il peut arriver qu’un clinicien expérimenté, après une évaluation exhaustive, porte un diagnostic d’hyperactivité sans que les critères soient entièrement respectés; parfois, aussi, un enfant qui répondait aux critères, après évaluation, sera exclu pour plusieurs raisons tout aussi valables. L’expérience et le temps consacré ne se remplacent pas dans l’évaluation des enfants hyperactifs.
Par exemple, on a vu des enfants souffrant de troubles spécifiques d’apprentissage sans difficultés d’attention, ou encore des enfants ayant de sérieux problèmes émotifs, présenter des symptômes assez semblables à ceux de l’hyperactivité. Seule une éva-luation longue et complète, incluant un questionnaire auprès des parents et des enseignants ainsi qu’un examen de l’enfant et des tests particuliers, pourra assurer un diagnostic fiable. Et malgré ces précautions, il arrivera qu’une période d’observation soit nécessaire pour confirmer le diagnostic.
Ce que je trouve particulièrement difficile dans l’évaluation d’un enfant hyperactif, c’est que je ne peux pas toujours vérifier moi-même la présence des symptômes chez l’enfant. Certains enfants manifesteront, au cours d’une entrevue de deux heures, leur hyperactivité et leur impulsivité. Il reste que, très souvent, le comportement de l’enfant au bureau ne reflète pas son comportement ordinaire, et je dois me fier à l’évaluation d’autres person-nes, surtout à celle des parents et des enseignants. Il serait certes intéressant de pouvoir mesurer, lors de l’examen, la capacité d’attention et les autres symptômes des enfants, au moyen d’un appareil standardisé, d’autant plus qu’il serait alors possible de vérifier la réponse au traitement par une nouvelle mesure.
Justement, le Dr Michael Gordon et son équipe ont mis au point, en 1983, un appareil qu’ils ont baptisé le «Gordon Diagnostic System». Son rôle est de permettre de mesurer objectivement la capacité d’attention d’un enfant ainsi que son impulsivité. Il s’agit d’un ordinateur portatif grâce auquel on peut faire passer à l’enfant quelques tests qui mesurent sa capacité d’attention et son impulsivité. Depuis sa création, le système Gordon a été essayé par de nombreux spécialistes et plusieurs études publiées en 1989 et en 1990 ont confirmé son efficacité. Il semble que le risque de faux positifs (enfants qui sont hyperactifs selon le test, mais qui ne le sont pas dans la réalité) soit presque nul. Par contre, le risque de faux négatifs (enfants qui ne sont pas hyperactifs selon le test, mais qui le sont dans la réalité) est plus élevé, soit environ 25 %.
Je n’ai pas encore eu la chance de l’éprouver suffisamment, mais l’usage de cet appareil m’apparaît très prometteur. Il est évident que le praticien ne peut s’appuyer que sur le système Gordon pour poser des diagnostics; néanmoins, il peut l’aider à compléter l’évaluation et à assurer un suivi. De plus, il semble, selon les experts, qu’il peut aider à distinguer, quand il y a un doute, entre un hyperactif et un enfant agité pour des raisons psychologiques.
Selon le Dr Gordon, tout spécialiste intéressé par l’évaluation des enfants en difficulté d’apprentissage peut faire passer ce test; il est très simple et ne dure que neuf minutes. Il recommande cependant que le spécialiste l’administre lui-même. L’annexe 5, à la page 147, donne une description plus complète de cet appareil et de son utilisation.
Idéalement, selon moi, un enfant en difficulté d’apprentissage devrait être évalué, par un médecin, un psychologue et un orthopédagogue travaillant en collaboration. Le médecin verra à évaluer l’enfant du point de vue de sa santé physique et des symptômes qu’il présente. Il s’assurera principalement que l’enfant n’ait pas de problèmes neurologiques évolutifs ou autres et qu’il ne présente pas de symptômes suggestifs d’un problème psychiatrique. Ce médecin pourra être psychiatre, neurologue ou pédiatre. Il devra surtout être informé sur le sujet et s’y intéresser.
De son côté, le psychologue pourrait évaluer les capacités intellectuelles de l’enfant, le fameux Q.I., et s’assurer que l’enfant ne souffre pas de troubles du comportement autres que l’hyperactivité.
Quant à l’orthopédagogue, il évaluera l’enfant du point de vue de ses apprentissages et vérifiera si l’enfant présente ou non des troubles spécifiques à cet égard. Il s’assurera entre autres que l’enfant ne souffre pas de dyslexie.
Pour les adolescents et même pour les plus jeunes, et chaque fois que cela semble nécessaire, on devrait ajouter l’évaluation du milieu familial par un travailleur social qui pourra participer ensuite au traitement.
D est certain qu’un engagement profond de tous les intervenants et une action concertée sont souhaitables pour permettre à l’enfant de bénéficier du traitement le plus efficace possible. Les cliniques multidisciplinaires spécialisées sont évidemment la formule idéale.