Qu'est-ce que la douleur?
Un signal d’alarme
Habituellement, la douleur est une information sensorielle désagréable associée à une lésion corporelle réelle ou potentielle. Elle agit comme signal d’alarme qui nous informe d’un risque de blessure, d’une blessure effective ou d’un mauvais fonctionnement de l’organisme. Généralement de courte durée, elle persiste jusqu’à ce que l’on supprime sa cause, en modifiant la posture ou en appliquant un traitement approprié. Il s’agit d’un phénomène pluridimensionnel où les aspects psychologiques occupent une place importante. Elle dépend d’un système de perception qui permet de localiser l’endroit concerné, d’analyser les caractéristiques de la sensation douloureuse (brûlure, piqûre, torsion, décharge électrique, élancement) et de sa durée (brève, intermittente ou prolongée). C’est son caractère pénible qui la différencie des autres sensations. Par exemple, si vous passez votre main au-dessus d’un élément chauffant, vous ressentirez une sensation de chaleur mais pas de douleur. Si vous touchez à la plaque brûlante, la douleur sera instantanée. La limite où la sensation se transforme en douleur constitue ce qu’on appelle le seuil de la douleur. Celui-ci est extrêmement variable d’un individu à l’autre, et peut aussi fluctuer chez un même individu sous l’influence de facteurs physiologiques, psychologiques ou culturels. C’est ainsi que les Latins sont habituellement plus enclins à se plaindre que les Asiatiques, qui supportent la douleur avec flegme. La perception de la douleur déclenche des comportements de protection : crier, pleurer, agiter le membre douloureux, le frictionner. Toute douleur entraîne une contraction musculaire réflexe qui vise– à éloigner le corps de la source de danger. Ce comportement ne demande aucune participation de la conscience puisqu’il se produit même pendant le sommeil si quelque chose déclenche la douleur.
Toute douleur qui se manifeste pour la première fois est automatiquement mémorisée. Le cerveau enregistre non seulement la sensation désagréable, mais également les circonstances de son apparition, l’objet ou la situation qui l’a provoquée. Par la suite, la seule vue de cet objet ou le fait de se retrouver dans une situation semblable déclenche la peur de la douleur et peut même provoquer le retour de celle-ci. J’ai déjà eu l’occasion de suivre un homme incommodé par une lombalgie qui s’était installée à la suite d’un accident de travail, mais qui s’était chronicisée à la faveur d’une trop longue période d’inactivité. Lorsque la douleur a été maîtrisée, il a réintégré son emploi et, à sa surprise, la douleur est réapparue sans raison apparente. En s’appuyant sur une douleur mémorisée, le cerveau peut aussi créer de la douleur à la faveur d’une fatigue ou d’un événement riche en émotions, même si celui-ci ne rappelle en rien la situation à l’origine de la douleur apprise. C’est ainsi qu’on peut comprendre pourquoi une douleur qui a été très présente à une époque de la vie a tendance à refaire surface à tout moment et de façon apparemment inexplicable sur le plan médical. Des phénomènes de mémoire sont aussi en jeu dans les variations du seuil de la douleur d’un individu.
Une expérience subjective
Contrairement à la pression artérielle ou à la température corporelle, qui sont des phénomènes quantifiables, la douleur est une sensation impossible à mesurer objectivement. Il s’agit d’une expérience individuelle, privée et subjective. En ce sens, elle s’apparente davantage à une émotion : seule la personne qui en est affectée peut en témoigner. Elle ne se manifeste pas nécessairement en concordance avec l’étendue de la lésion corporelle. En effet, une personne peut être grièvement blessée et ne ressentir aucune douleur, et, à l’inverse, quelqu’un peut se plaindre d’une douleur handicapante alors que les examens médicaux ne révèlent rien la justifiant. Cela n’implique en rien que cette douleur sans lésion soit le fruit de l’imagination. Le système de perception de la douleur est très complexe et peut être déclenché par de multiples causes. Les émotions et la mémoire jouent ici un rôle déterminant. C’est particulièrement vrai dans le cas des douleurs rebelles au traitement qui ne peuvent être expliquées de la même façon que la douleur signal d’alarme.
Des mécanismes complexes interviennent et doivent être envisagés dans leur ensemble si l’on veut comprendre ce qui est responsable de l’entretien de la douleur. Je vous propose de faire un détour par la psychophysiologie de la douleur, qui nous aidera à mieux saisir les cercles vicieux de la douleur chronique.