Les troubles fonctionnels
La fibromyalgie, ou syndrome polyalgique diffus, est un syndrome douloureux chronique, maladie à la fois mi-rhumatologique et mi-psychosomatique. Elle est connue depuis plus de cent ans et c’est pourtant récemment, devant la demande croissante de patients qui en sont atteints, que le corps médical s’est penché sur cette entité originale. Cette pathologie touche les femmes dans 70 à 90 % des cas. La formulation de la plainte signe en elle-même le syndrome : « J’ai mal partout ». Les douleurs sont rythmées par la vie quotidienne, le plus souvent calmées par le repos, mais, surtout, elles ont des sièges très évocateurs. Les régions cervico- scapulaires, lombo-fessières sont en général concernées, parfois accompagnées de sensations de fourmillements ou de gonflements des extrémités. La fatigue fait partie du tableau, mais d’autres symptômes tels que des céphalées, des colites, des troubles du sommeil, apparaissent aussi lors de l’entretien. En fouillant un peu, on déterre un syndrome anxio-dépressif, un mal-être.
On a répertorié rien de moins que dix-huit points douloureux répartis dans les zones étalées entre l’occiput, les trapèzes, le rachis, et certaines insertions musculaires au membre inférieur. Il faut donc porter une attention particulière au recensement des dif¬férents points douloureux, les rechercher et les comptabiliser de façon à reconnaître le syndrome. Il n’est pas nécessaire pour autant d’additionner les dix-huit points pour étiqueter la fibro- myalgie. Cinq points suffisent, associés à d’autres symptômes pour affirmer le syndrome.
Comme tout syndrome douloureux chronique, il évolue avec des hauts et des bas, des périodes de rémission, des espoirs et de désespoirs, car les solutions thérapeutiques ne sont jamais satisfai-santes. Bien entendu, de nombreuses pathologies, comme toujours dans les troubles fonctionnels, peuvent singer le même tableau cli-nique. Le diagnostic différentiel sera conduit de façon à rassurer la patiente mais surtout en vue d’un traitement de longue haleine, car il n’y a pas de recette miracle.
Parmi toutes les causes possibles de ce syndrome, les ostéo¬pathes ont retenu celles pour lesquelles il semble y avoir une action significative : les troubles du rythme veille-sommeil et une désynchronisation du métabolisme musculaire. Les techniques crâniennes, les techniques de fascias, les techniques de Jones, les ajustements spécifiques à la charnière tête-cou, et le TGO sont indiqués, avec ni plus ni moins de succès définitif que les autres thérapeutiques, dont le renfort ne doit pas être négligé. Cette pathologie très fréquente doit être expliquée, comprise, acceptée. Il ne faut surtout pas empêcher les patientes de chercher des solu¬tions thérapeutiques adjuvantes. Au contraire, il faut les orienter pour éviter qu’elles ne tombent dans la trappe des charlatans. Les études démontrent que… le syndrome diminue d’intensité à partir de soixante ans et disparaît après soixante-dix ans !
La fatigue, l’insomnie, le vertige, la migraine, la sinusite, la constipation, la diarrhée, le mal au ventre, les palpitations, les pertes de libido, les pannes sexuelles constituent aujourd’hui la majorité des plaintes que reçoivent les médecins généralistes. Nos concitoyens souffrent de tous ces maux avec l’inquiétude en prime. Certains de ces symptômes proviennent de la toxicité de l’environnement que les patients nourrissent de leur propre anxiété. Ils subissent, avec ou sans rébellion, les conséquences physiques et psychologiques des situations dans lesquelles ils sont englués. On parle même d’un « management par la peur » dans les entreprises. Mais s’il s’agissait seulement, face à ce drame humain, de manier l’art divinatoire, la médecine serait dans de beaux draps !
Affirmer, comme pour conjurer le mauvais œil par un opti¬misme de façade qui masque l’ignorance, que « ce n’est rien ! que cela va passer tout seul », ou bien que l’intervention vaut guéri¬son, c’est faire courir un danger encore plus grand aux patients. Tous les acteurs de santé, informés de l’émergence de ce fléau, tentent de trouver des réponses ciblées. Ces symptômes ne sont que des feux allumés. Ils éclairent notre existence sur la réponse de notre organisme à des conditions pathogènes conscientes ou inconscientes.
Les problèmes socio-économiques, la précarité de l’emploi, l’exclusion, ont de fortes incidences en santé publique et en éco-nomie de la santé. L’épuisement psychique des patients est de plus en plus inquiétant. Il peut véhiculer des maladies modernes qui, bénignes au début, peuvent devenir lentement mais sûrement très graves. Le combat pour la vie doit accompagner le combat pour l’existence. Le rôle du médecin est de faire le tri, de classer et d’étiqueter les maladies, potentiellement dangereuses ou pas. Il doit tenir compte des variables, en rythme, en intensité, en fré¬quence, de tous ces syndromes.
L’insomnie d’endormissement n’est pas le réveil à trois heures du matin, ou celui de cinq heures du matin ; les palpitations noc¬turnes ne sont pas les palpitations diurnes ; les brûlures d’estomac au moment du repas ne sont pas celles qui surviennent quatre heures après ; le côlon irritable qui vous tord de douleur du côté
droit n’est pas celui du côté gauche. Dans les troubles fonction¬nels, additionner ou soustraire les symptômes les uns aux autres, les relier au vécu du patient, à son profil morpho-psychologique, revient le plus souvent à les classer en « troubles des rythmes, troubles de la synchronisation des tonus végétatifs » avec ou sans douleur rachidienne.
Reste le plus difficile, quel que soit le moment : donner un sens vertical à ce tableau, approfondir, fouiller, rechercher ce qui ne se voit pas, ce qui ne se sent pas, ce qui ne se dit pas. Un autre dia-gnostic, une autre conduite à tenir, dont il faudra apprécier le degré d’urgence, peuvent apparaître. Une migraine soudaine chez une personne âgée, une constipation chronique qui devient une diarrhée, une fatigue chronique du matin avec perte de l’appétit, une insomnie du milieu de la nuit avec des sueurs et des palpita¬tions, une oppression thoracique dans un contexte de stress qui devient nauséeuse et douloureuse sous le sternum, etc., sont autant de situations cliniques qu’il faut débrouiller sans perdre de temps.
Lorsque la voie est éclaircie, le patient doit adhérer au concept holistique, donc s’écarter de la tentation simpliste « un symptôme- un geste technique », du recours systématique aux psychotropes. Une bonne information et une bonne éducation font plus pour le succès d’un traitement. Il faut donc pointer du doigt le grand res-ponsable, le stress, tout en disséquant la dramaturgie existentielle des patients. Rappeler les fondements de la doctrine ostéopathique n’est jamais inutile en la matière. Alors seulement le clinicien pourra choisir les techniques ostéopathiques les mieux adaptées avec une chance de succès et motiver les patients pour qu’ils acceptent leur part de responsabilité dans le retour à l’équilibre. L’ostéopathe seul ne peut rien. L’ostéopathie n’est pas un rite vaudou.
L’ostéopathie peut être prise comme un calmant, un hypnotique, un laxatif, un anti-acide, un antalgique, un anti-inflammatoire, un antimigraineux, mais ce n’est pas sa vocation. Il n’y a pas de vidange vésicale miraculeuse, pas d’ajustement vertébral qui « booste » les épuisés, pas de « balancement des temporaux » qui
endort les insomniaques, pas de suppression du café ni du thé qui calme l’angoisse sans un suivi qui prévienne les récidives. Les fusibles des systèmes de vigilance et de protection physiologique ont sauté, les rythmes intérieurs qui facilitent la récupération sont désynchronisés. Le manque de connaissance de soi et une trop grande perméabilité de la personnalité sont reconnus comme fac-teurs d’aggravation par ceux qui étudient le stress et ses consé-quences médicales et sociales. La déstabilisation permanente entretient des facteurs d’aggravation de la maladie. Par exemple, chacun sait que la qualité du sommeil reflète l’état de stress. La récupération s’impose comme la première préoccupation thérapeutique, compte tenu de son impact social, familial et pro-fessionnel.
L’ostéopathe, parce qu’il manie cette doctrine de la « maladie conséquence », est bien placé pour éduquer. Il dispose aussi, pour traiter les désordres du sommeil, de techniques pour rétablir l’équilibre, parce qu’il a « une main pour comprendre ». Il est bien là où son époque a besoin de lui pour apporter un peu de confort, beaucoup de réconfort. Malheureusement, cela ne marche pas à tous les coups. Son action n’est pas toujours suffisante, car le stress est un énorme consommateur d’énergie qu’il est difficile de compenser. Calcium, magnésium, vitamines sont prescrits pendant qu’il en est encore temps, au même titre que l’aménagement des temps de repos, l’activité physique, l’équilibre nutritionnel. Concentrer les moyens, refuser la dispersion est la stratégie payante en attendant mieux.
Les douleurs pelviennes méritent une place à part. D’abord, parce que l’immense majorité des plaintes concernent la femme, que les symptômes des hommes sont différents car ils ne possè¬dent pas d’utérus. Cette femme qui souffre exprime son corps et sa personnalité. Ainsi se déclinent maladie et mal-être, maladie et «je souffre, donc je suis ». C’est toute la mystérieuse complexité qui enveloppe la femme « qui souffre de son ventre » qu’il faut essayer de décoder. Or le langage de la douleur, nous le savons, est lui-même très complexe. Contractions, tensions, sensations de
déchirure, de brûlures, élancements, crampes aux rythmes si parti-culiers, sont autant de caractères symptomatiques dont il faut pré-ciser le mode d’apparition, les récidives, le siège, afin de reconsti-tuer une histoire cohérente de la douleur, qu’il faudra relier à la personnalité de la patiente.
Le raisonnement des ostéopathes, qui se fonde sur l’interaction des trois liens, mécanique, fluidique, neurologique pour orienter leurs interventions manuelles, ne suffit pas. En première place figurent la psychologie de la patiente et son vécu. La relation médecin-malade doit être privilégiée. En quelques questions, il faut essayer de cerner la personnalité de la patiente, sa sexualité, son environnement affectif, familial et professionnel. Ces rensei-gnements précieux situent le niveau de souffrance dans la douleur. L’entretien précis et détaillé portant sur la douleur reste le temps fort de la consultation. Il se complète avec le passé gynécologique et obstétrical. Les douleurs gynécologiques d’origine organique, les tableaux cliniques qui évoquent des pathologies extra-géni¬tales, que ce soit de la sphère colique ou urinaire, n’ont pas d’indi¬cation ostéopathique.
Par contre, le lien mécanique fonctionne parfaitement dès qu’il s’agit d’arthroses, de pathologies discales, d’atteintes des articula-tions sacro-iliaques, de la symphyse pubienne et des organes pelviens. On connaît depuis longtemps le syndrome douloureux post-ménopausique aux causes moiphologiques, statiques, endo- crino-métaboliques. On peut lui rattacher l’ensemble de ces patho-logies qui peuvent « faire souffrir le ventre » chez la femme non ménopausée, si on y associe les conséquences morpho-typolo¬giques du déplacement des lignes de gravité rencontrées dans les types antérieurs et postérieurs.
Dans ces tableaux, les postures et chaînes musculaires sont les grands responsables des algies pelviennes. En effet, le bassin est un point de convergence des tensions et des forces ascendantes et descendantes. Le point d’équilibre se situe dans la région lom¬baire. Ainsi le raisonnement va-t-il plus loin que la simple énumé¬ration des articulations impliquées dans le complexe lombo-pelvi-
fémoral, qui peuvent avoir un retentissement gynécologique. L’orientation de l’anneau pelvien, ses distorsions, son inclinaison, les asymétries et le tonus des muscles stabilisateurs peuvent entraîner des conflits neurologiques ou des malpositions de l’uté¬rus et des annexes, modifier significativement le retour veineux. Les traumatismes loco-régionaux sont malheureusement fréquents : une vie de femme est aussi faite de cela.
Pathologie infectieuse de l’adolescence, traumatismes obstétri-caux de toute nature à l’âge adulte ou à l’adolescence (IVG, accouchement), chirurgie abdomino-pelvienne, sévices sexuels, maladies sexuellement transmissibles sont souvent responsables de modifications des rapports anatomiques des différents organes du petit bassin, d’adhérences, de distensions ligamentaires, de spasmes réflexes qui peuvent expliquer ces douleurs de caractère variable, non cycliques, non liées à l’acte sexuel. Pour les spécia¬listes, elles sont parfois responsables de périodes d’hypofertilité dont sont victimes de nombreuses femmes. Souvent ces algies pel¬viennes ne peuvent être rattachées à rien, si ce n’est à un terrain névrotique ou à un excès d’œstrogènes. Là, il suffit d’associer les symptômes, pour retrouver les schémas connus.
Les douleurs cycliques de l’ovulation, avant les règles, pendant les règles, immédiatement après les règles, sont très fréquentes. Le syndrome prémenstruel s’observe avec une fréquence croissante à partir de trente-cinq ans. Il est très inconfortable avec sa congestion des seins, sa congestion abdomino-pelvienne, la rétention d’eau (jusqu’à deux kilos), les manifestations nerveuses (agitation, irrita-bilité, crise de pleurs), les troubles digestifs et biliaires, parfois res-piratoires. Il est le reflet de la fragilité de la balance hormonale pro-gestérone-œstrogène. Les dysménorrhées sont des douleurs qui accompagnent les règles. Chez la jeune fille, on les appelle pri-maires et en général elles disparaissent au premier accouchement. À partir de vingt ans, elles sont très souvent secondaires à des évé-nements de la vie gynécologique (avortement, accouchement, inter-vention chirurgicale). Le traitement ostéopathique local ou général
est parfois efficace, alors que dans les algies pelviennes liées aux rapports sexuels, il n’a aucune efficacité.
Globalement, le traitement ostéopathique vise à obtenir une action de réparation anatomo-fonctionnelle locale justifiée si elle apporte un équilibre biomécanique général, une assise pelvienne stable. Le TGO, les ajustements locaux sur le rachis lombaire et le sacrum, les ajustements à distance au rachis dorsal et cervical, cher¬chent à déclencher des actions réflexes sur le système nerveux auto¬nome. C’est l’étape obligée qui précède le geste de correction bima- nuelle de l’utérus, qu’il faut tenter de « repositionner à l’équilibre anatomique », toujours par rapport à l’ensemble des organes pel-viens et de la colonne des pressions qui vient de la cavité abdomi-nale. Même si la normalisation de la posture est satisfaisante, rien ne garantit que les corrections se stabilisent. La technique cranio- sacrale, en orientant précisément son action sur l’os sphénoïde, son rôle dans la physiologie hormonale par l’intermédiaire de l’hypo-physe, sur le sacrum et le lien neurologique pelvien apporte son concours au rétablissement de l’équilibre neuro-endocrinien, auquel on reconnaît un rôle important dans toutes les algies pelviennes. Il est fort probable que ces techniques induisent des réactions « cal-mantes et apaisantes » bénéfiques à de nombreuses patientes. L’ostéopathe ne sait pas comment il cale l’horloge interne sur le cadran sédatif, ni sur celui qui affiche « coordination de la réponse hormonale », mais ça marche souvent ! Pour d’autres, il faudra associer psychothérapie, technique de relaxation, activité physique adaptée, traitement ostéopathique. À surveiller, sous peine d’échec retentissant, les « profils pathologiques » qui ne doivent pas guérir pour continuer à exister. Tutoyer la guérison peut les rendre très agressifs. Il ne faut surtout pas leur fermer les portes de la fuite.
Vidéo : Les troubles fonctionnels
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