Les traditions africaines
Comment se soigne-t-on en Afrique, aujourd’hui ? Si, dans la plupart des cas, les soins se donnent à l’intérieur du réseau familial et social du malade, sans recourir ni au guensseur, ni au marabout, ni au dispensaire, une personne malade, selon qu’elle habite la ville ou le village, selon l’ethnie à laquelle elle appartient, selon l’implantation plus ou moins importante du catholicisme ou de l’islam dans son pays, a la possibilité de recourir à toute une multiplicité de pratiques thérapeutiques.
Les recours à une médecine traditionnelle, à une médecine d’inspiration religieuse (au sens des grandes religions) où encore à une médecine «cosmopolite» et moderne ne sont pas, dans bien des cas, exclusives les unes des autres. Si l’accent est mis, dans ce chapitre, sur les médecines autres que modernes, il est important de garder à l’esprit que la médecine africaine ne comprend pas uniquement des guérisseurs, des marabouts ou des devins, mais aussi des infirmiers, des médecins, des cabinets privés, des hôpitaux.Il faut également se souvenir que l’Organisation Mondiale de la Santé a mis en œuvre des programmes de recherche visant à évaluer le travail des guérisseurs traditionnels (rebaptisés «praticiens» par cet organisme international) et que les propriétés pharmacologiques des plantes utilisées en Afrique font l’objet d’investigations par les industries du médicament.
Le sens du mal
En contraste avec la causalité strictement biologique de la médecine enseignée dans les facultés d’aujourd’hui, un Africain peu ou prou traditionaliste et frappé par la maladie s’interrogera sur la signification de cette maladie : pourquoi survient-elle maintenant ? Qui en est responsable ?Par exemple, la lèpre, maladie causée par un bacille, est interprétable, chez les Soninkés de la vallée du fleuve Sénégal, de différentes manières. Un Soninké peut voir dans la lèpre la conséquence soit de la transgression d’un interdit sexuel (les parents du lépreux ont eu des rapports sexuels pendant la période menstruelle), soit de la transgression d’un interdit alimentaire (le lépreux a mangé un certain poisson du fleuve), soit encore du mariage entre deux familles «incompatibles».
Le respect des ancêtres s’exprime sur des autels, sous la forme de prières, de dons ou de sacrifices : celui ou celle qui n’honore pas ses aïeux peut susciter la colère de leurs esprits sous forme de maladie. Les esprits «islamiques», les djinnés ou les seytannés, peuvent être également désignés comme étant à l’origine du mal causé par un individu doué de mauvaises intentions qui a manipulé des objets appartenant au malade ou proféré certaines paroles (maraboutage). Un devin peut voir dans un malade la cible d’un «sorcier anthropophage», doté du pouvoir de s’emparer de l’énergie vitale de sa victime.
Le recours au devin permet de reconnaître l’agresseur et de déterminer le remède ou la réparation qui conviennent au type de persécution. Par exemple, chez les Diolas de Casamance, en cas de stérilité, de fausses-couches à répétition ou de perte répétée des enfants en bas âge, situations exprimées par un terme identique (kafoorak), une explication est nécessairement recherchée, donc un remède. Le recours le plus fréquent est un rituel, accompli sur un autel villageois situé dans les bois, qui engage la femme dans un rôle de bouffonne rituelle pour une période de plusieurs années et qui peut être accompagné d’autres rituels moins exigeants. Ces rites sont effectués jusqu’à la réussite de l’un d’entre eux.
Hommes de savoir
Les personnes qui ont la possibilité de reconnaître, d’expliquer ou de traiter une maladie sont, par ailleurs, reconnues pour avoir une connaissance générale de la vie et du monde, bref des «hommes de savoir» comme les désignent, par exemple, les Wolofs, les Peuls, les Toucouleurs ou les Soninkés. Le soin n’est souvent, en Afrique, que l’une des activités des hommes de savoir. Dans la mesure où le Coran interdit l’usage des pouvoirs, y compris celui de guérir, à des fins nuisibles et où les pratiques soignantes traditionnelles évoquent la notion de forces maléfiques redoutées, une distinction est souvent faite, par les Africains eux- mêmes, entre les marabouts, hommes de savoir qui s’inspirent du Coran, et les guérisseurs, hommes de savoir qui s’inspirent des traditions pré-islamiques.
Les marabouts sont des mahométans pratiquants et respectés. Contrairement aux savoirs des guérisseurs traditionnels qui sont transmis oralement, les savoirs secrets des marabouts se transmettent par l’écrit. Comme soignants, ils nomment, expliquent et traitent la maladie.
Dans tous les cas, le traitement ne peut découler que de la divination. «Avec les quatre-vingt- dix-neuf noms de Dieu, on peut tout faire, tout guérir, tout obtenir», disent les marabouts. Le pouvoir surnaturel réside dans les noms de Dieu ainsi que dans les versets du Coran, qu’ils soient écrits ou prononcés. Plusieurs techniques à visée thérapeutique sont possibles. Les mots sacrés peuvent être écrits sur une feuille de papier placée dans un sachet en cuir : cette amulette pourra être portée ou accrochée dans la maison. Le marabout peut également écrire sur une planchette de bois qui sera lavée, l’eau chargée des pouvoirs du verbe étant recueillie pour être bue ou mise au contact de la surface du corps. Les mots magiques peuvent être prononcés à l’égard d’une plante, d’une racine ou d une poudre afin d’en augmenter le pouvoir. Les musulmans les plus orthodoxes préconisent des incantations directes à Dieu, sans support matériel. Enfin, le nom de Dieu peut être introduit dans la cure en additionnant la valeur numérique attribuée à chaque lettre, le total étant ainsi chargé d’un pouvoir magique.
Si l’islam est commun à tous les marabouts, les guérisseurs traditionnels n’ont pas de référence commune évidente, les coutumes variant entre les groupes ethniques et même localement, au sein de la même ethnie. Les guérisseurs traditionnels, devins, magiciens, herboristes, sont craints pour leurs pouvoirs et sont souvent consultés en secret. Si beaucoup de guérisseurs déclarent pouvoir soigner la plupart des maladies, certains se limitent à des troubles précis. Certains ne traitent, par exemple, que les fractures et les os déplacés ou encore certaines maladies de l’enfant.