Le thermalisme dans les rhumatismes inflamatoires
Des programmes d’hydrothérapie et de physiothérapie sont proposés depuis de nombreuses années dans le cadre des rhumatismes inflammatoires chroniques, tels la polyarthrite rhumatoïde, la spondylarthrite ankylosante et le rhumatisme psoriasique. L’utilisation des cures thermales a été fondée sur une expérience empirique et l’évaluation objective de leur intérêt a longtemps manqué. Goldby [5], à partir d’une recherche Médecine, ne recense pas d’étude prospective randomisée; il mentionne deux études ouvertes sur des échantillons de 8 et 12 patients suggérant 1 intérêt de séances d exercices en piscine pour les muscles de patients atteints de polyarthrite rhumatoide (PR) [1,2], et préconise de développer la recherche clinique concernant l’hydrothérapie dans la polyarthrite rhumatoïde.
L’intérêt pour la crénothérapie dans les rhumatismes inflammatoires a été relancé par des études expérimentales démontrant des effets thermiques et chimiques des eaux : effet des variations de température sur l’inflammation, la microcirculation et certaines fonctions immunitaires des lymphocytes, effet dose-dépendant de bains d’eau enrichie en chlorure de sodium sur l’arthrite à l’adjuvant du rat [9].
Des essais thérapeutiques contrôlés ont été réalisés [ 10], et des efforts d’évaluation ont été menés [4]. La médecine thermale s’est intéressée à l’évaluation des effets indésirables, à des enquêtes épidémiologiques et à des travaux sur les instruments de mesure de la qualité de vie [6]. Aussi devient-il possible aujourd’hui de passer en revue les études, les indications et les contre-indications de la crénothérapie dans les rhumatismes inflammatoires chroniques.
Faits et niveaux de preuves
La thérapeutique doit être fondée sur des faits prouvés scientifiquement. Aussi est-il indispensable de savoir comment est démontrée l’utilité des cures thermales, c’est-à-dire quels sont ses avantages, ses bénéfices et ses risques dans les rhumatismes inflammatoires. Cette approche est difficile compte tenu de la diversité des atteintes dans ces affections, et des modes évolutifs hétérogènes rendant difficile la distinction entre une amélioration plus ou moins spontanée et un réel effet thérapeutique. De plus, le traitement thermal associe des moyens complémentaires l’eau thermales, boues, kinésithérapie, rééducation, travail d’éducation à la prise en charge de la maladie et il n’est pas simple d’apprécier la part de chacun de ces facteurs dans les effets obtenus.
Polyarthrite rhumatoïde
Sukenik et al. ont montré qu’une cure de 2 semaines de traitement d’eaux sulfurées ou d’enveloppements de boues, seuls ou associés, étaient efficaces dans le traitement de patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR) [ 10]. Quarante patients furent répartis de façon aléatoire en quatre groupes traités respectivement par des bains, des enveloppements de boues, une association des deux et le dernier groupe comportait des témoins séjournant sur le même lieu mais ne recevant pas de traitement. Une amélioration statistiquement significative fut notée dans les groupes traités pour le nombre d’articulations douloureuses jusqu’à 3 mois.
Les mêmes auteurs ont étudié l’intérêt des eaux salées de la mer Morte, dont la teneur en sel est de 32 %. L’essai fut réalisé sur 30 PR, en double aveugle, le groupe témoin recevant des bains de sel ordinaire, et se déroula en dehors de la région de la mer Morte de façon à neutraliser l’influence bénéfique des conditions originales [11]. Une amélioration fut notée sur le déverrouillage matinal, et le nombre d’articulations douloureuses jusqu’au 3e mois dans le groupe traité.
Une autre étude fut menée dans des conditions identiques avec des enveloppements de boue de la mer Morte pendant 2 semaines et démontra le même type d’effets cliniques [12],
Dans une étude encore en cours, l’effet d’une cure est testé sur la qualité de vie évaluée par le questionnaire EMIR et semble se démontrer sur 3 mois |8],
Spondylarthrite ankylosante
Les études publiées sur la spondylarthrite ankylosante (SA) sont ouvertes non contrôlées, et leurs résultats doivent être interprétés avec les réserves que l’on fait à ce type d’essais. Falkenbach et Gütl [3] ont étudié l’effet de 1 exposition à la chaleur humide riche en radon dans une mine sur 65 SA et rapporté une amélioration limitée à la douleur nocturne. Tishler et al. [14] ont constaté un effet bénéfique des bains et des boues chez 14 SA sur le dérouillage et l’appréciation des patients.
Un autre essai ouvert, sur 90 cas de SA, atteste d’une réduction des douleurs, du temps de dérouillage matinal et de la raideur rachidienne, après 3 semaines de soins thermaux [7],
Rhumatisme psoriasique
Le traitement du psoriasis cutané sur les bords de la mer Morte s’est avéré efficace. Une étude concernant le rhumatisme psoriasique s’est aussi révélée bénéfique [3] : le groupe traité reçut des bains soufrés et des enveloppements de boues, en plus de l’exposition solaire et des bains en mer Morte; les deux groupes s’améliorent pour le nombre d’articulations douloureuses mais le groupe ayant bénéficié de la balnéothérapie a une amélioration supérieure pour les douleurs rachidiennes. Cette étude a une valeur limitée : le groupe traité comprend 146 patients, le groupe témoin 20 patients et la durée des effets bénéfiques n’est pas précisée.
Il existe donc un certain nombre de preuves, d’arguments en faveur de l’intérêt des cuies thermales mais qui semblent d’une efficacité apparemment uniquement symptomatique, partielle et de durée limitée. Des études supplémentaires sont nécessaires, pour évaluer le thermalisme en tant qu’approche globale plui ¡disciplinaire. Des essais prospectifs contrôlés, menés avec une méthodologie du type de celle déjà utilisée dans les études réalisées en France dans I arthrose et les lombalgies, doivent être réalisés, avec un suivi à distance de la cure, s attachant à mieux décrire l’utilité des cures thermales en termes d’amélioration des possibilités fonctionnelles et de la qualité de vie. Il y a aussi place pour des travaux complémentaires fondamentaux et physiopatholo- giques étudiant les propriétés pharmacologiques des eaux sur l’inflammation.
Indications
La crénothérapie peut être proposée dans la polyarthrite rhumatoïde en
contrôle des douleurs et à un maintien des capacités fonctionnelles. Une cure peut être aussi préconisée dans les cas où une amélioration générale est souhaitable, et dans les cas où la prise en charge d’une pathologie intriquée paraît nécessaire autant pour ses conséquences directes que pour ses conséquences indirectes sur le rhumatisme inflammatoire (obésité par exemple). Certains auteurs mentionnent la cure comme un moyen de préparation à la mise en place d’une prothèse de hanche ou de genou |7|.
La crénothérapie peut être indiquée dans la spondylarthrite ankylosante. Les effets bénéfiques attendus, au plan rachidien plus qu’articulaire, tiennent moins à l’eau thermale qu’à la prise en charge kinésithérapique associée.
Le rhumatisme psoriasique peut être une indication de cure thermale, en cas de dermatose étendue, il est préférable de choisir une station ayant la double orientation dermatologique et rhumatologique.
Contre-indications
Les contre-indications sont celles de toutes les cures à visée rhumatologique :
-elles sont d’une part d’ordre général: pathologie cardiovasculaire évolutive, thromboses veineuses récentes, accident vasculaire cérébral récent, défaillance viscérale sévère, aplasie médullaire, infection en cours, dermatoses infectées, patients immunodéprimés ayant un risque majoré de surinfections nosocomiales ;
d’autre part, dans le cadre des rhumatismes inflammatoires, un état articulaire inflammatoire non contrôlé («poussée inflammatoire») est une contie- indication à une cure thermale. Il ne faut pas non plus adresser pour une cure thermale les PR ayant une atteinte cervicale évoluée et non stabilisée (luxation atlas-axis) ou une complication systémique évolutive (péricardite…).
L’efficacité de la balnéothérapie dans les rhumatismes inflammatoires chroniques est un sujet controversé. Les données actuelles montrent un intérêt symptomatique et de durée limitée sur des critères comme la douleur. Dans des conditions précises les cures thermales paraissent utiles. Mais cette utilité thérapeutique mérite d’être réévaluée par des essais contrôlés s’attachant à décrire objectivement les bénéfices en termes de gain fonctionnel et de qualité de vie.