Le retour du végetal
Dans une pyramide alimentaire équilibrée, les produits végétaux complexes sous forme de produits céréaliers (20 à 40 % de l’énergie), de légumes secs (2 à 5 %), de pommes de terre (5 à
15/ ) et de fruits et légumes divers (10 à 15%) doivent couvrir ‘^on 60 % des besoins énergétiques. Compte tenu de l’effica- e_té agronomique et nutritionnelle de la consommation directe des végétaux par l’homme, la maîtrise des aliments d’origine végétale est une priorité pour résoudre les problèmes d’alimentation à long terme. Comme ils exercent en plus des effets santé remarquables, il est probable que les produits végétaux garniront pleinement à l’avenir nos assiettes alors que les économistes prévoyaient principalement que l’augmentation du pouvoir d’achat favoriserait le développement des produits transformés et l’élévation de la consommation de produits animaux.
Le statut ambigu de la pomme de terre
Comme celle du pain, la consommation de pommes de terre a beaucoup diminué avec la sédentarisation et le changement des habitudes alimentaires en direction de produits transformés souvent trop riches en ingrédients purifiés (sucre, matière grasse, amidon…). En France, cet aliment fournirait ainsi environ 7 % de l’énergie (et beaucoup plus si on compte les matières grasses d’accompagnement). En fait, les caractéristiques nutritionnelles de la pomme de terre varient fortement en fonction des variétés utilisées et des modes de préparation.
La pomme de terre est une source très intéressante de glucides, et la consommation de cet aliment est souvent indispensable pour atteindre l’apport glucidique recommandé. Cependant, on a trop considéré la pomme de terre comme un féculent de peu d’intérêt nutritionnel alors que ce tubercule peut être également une source très intéressante de fibres, de minéraux et de micronutriments. D’ailleurs, la fraction non énergétique de certaines variétés de pommes de terre anciennes, voire récentes, est comparable à celle d’autres légumes. On sait qu’il existe un consensus sur l’intérêt nutritionnel des fruits et légumes dont la Plupart des enquêtes épidémiologiques ont permis de mettre en évidence le rôle essentiel dans la prévention des pathologies majeures. Avant que la sélection ne transforme la pomme de terre en un tubercule de chair blanche remarquable pour sa capacité à accumuler de l’amidon, cette dernière était présente en Amérique et surtout au Pérou sous forme d’une très grande
diversité de tubercules plus ou moins colorés (et donc riches en micronutriments) et plus ou moins volumineux. Les possibilités de favoriser l’utilisation de variétés de pommes de terre d’excellentes qualités organoleptiques et de bonne valeur nutritionnelle sont très fortes à condition justement de sélectionner cet aliment sur ces critères et de montrer ainsi que ce produit végétal peut être aussi protecteur que les autres légumes. Il faut noter la propension humaine assez ridicule à blanchir les aliments sélectionnés. Ce qui pouvait sembler futile, tant que le rôle des phy- tomicronutriments était ignoré, apparaît maintenant comme une erreur majeure, or il faut souvent une à plusieurs dizaines d’années pour sélectionner des plantes réunissant au mieux qualités agronomiques et nutritionnelles.
Même si sa composition n’est pas optimale en micronutriments, la pomme de terre est une source remarquable de glucides complexes sous forme d’amidon. Après cuisson, l’amidon de pomme de terre est très digestible. L’index glycémique de cet aliment peut cependant être amélioré par un mode de cuisson avec la peau ou un refroidissement prolongé. L’amidon d’une pomme de terre cuite et stockée au frigo peut même devenir très lentement digestible.
La pomme de terre a la particularité d’accumuler du potassium sous la forme de sels organiques (citrate principalement) et de ne pas être trop riche en phosphore, un élément trop abondant dans l’alimentation humaine. Dans la pratique alimentaire, il est très courant d’associer viande, charcuterie et pomme de terre, et cette association est plutôt bonne, ce qui ne signifie pas qu’il faille en faire la base de son alimentation et exclure les autres légumes. On a trop facilement associé l’impact de la pomme de terre aux conséquences négatives de certaines typologies alimentaires peu diversifiées et très tournées vers les matières grasses et les produits animaux.
Associés aux produits animaux, les sels organiques de la pomme de terre, transformés en bicarbonate de potassium dans l’organisme, exercent des effets alcalinisants susceptibles de combattre l’acidification provoquée par les protéines animales. Néanmoins, aucune étude n’a démontré quelles étaient les proportions de viandes et de pommes de terre qu’il faudrait consommer pour un équilibre acido-basique satisfaisant. Il serait intéres- de montrer que la consommation de pomme de terre joue un r^]e significatif dans la prévention de l’ostéoporose via la préservation de l’équilibre acido-basique comme cela a été prouvé pour les fruits et légumes. Autre intérêt de la pomme de terre, consommée nature avec des produits salés, elle pourrait participer à la lutte contre l’hypertension puisque le potassium qu’elle contient est un antidote remarquable du sodium.
Le rôle clé des radicaux libres dans les processus du vieillissement et dans la genèse de pathologies (maladies cardio-vasculaires, cancers…) justifie la nécessité d’apporter à l’organisme des antioxydants indispensables à la protection cellulaire. La pomme de terre est une bonne source de vitamine C, elle contient aussi de l’acide chlorogénique (un des nombreux polyphénols aux propriétés antioxydantes), mais la biodisponibilité de ce composé est sans doute faible. C’est par l’optimisation de sa teneur en micronutriments que la pomme de terre pourra bénéficier d’une image santé semblable à celle des autres légumes. Nous avons déjà des tubercules violets riches en anthocyanes, demain nous pourrions disposer de tubercules jaunes, plus riches en caroténoïdes, ce qui ne nous empêcherait pas de conserver nos pommes de terre actuelles pour bien des usages culinaires.
Cette diversité de couleurs et de micronutriments existe déjà dans un très grand nombre de racines et de tubercules des pays du Sud (patate douce, manioc, igname, taro). La patate douce, souvent riche en caroténoïdes, contient de l’inuline (aux vertus prébiotiques), comme le topinambour. Cette patate pourrait être cultivée aussi dans les régions tempérées et enrichir ainsi notre gamme de légumes. Le manioc est une source extraordinaire de glucides dans toutes les régions subtropicales ou tropicales du monde. En s’appuyant sur les capacités des plantes à accumuler des glucides, mais aussi des micronutri- ments protecteurs dans les fruits, les graines et le système raci- naire, l’humanité dispose d’un potentiel alimentaire extraordinaire et complémentaire qu’elle pourrait mieux exploiter sur le plan nutritionnel tout en développant une agriculture de qualité sur le plan écologique.
Valoriser les légumes secs pour leur effet santé
Les légumes secs sont les parents pauvres de notre alimentation ; ils sont pourtant parés des meilleurs atouts nutritionnels. Leur faible consommation est l’un des exemples d’une exploitation insuffisante des ressources alimentaires végétales. Ces graines produites par des légumineuses ne sont guère mises en valeur par la chaîne alimentaire comme par la recherche en nutrition. Pourtant leur qualité et leur intérêt nutritionnels sont reconnus, que ce soit pour la couverture des besoins en protéines, en fibres, mais aussi en minéraux et micronutriments. Ce sont les aliments qui ont le meilleur index glycémique et les effets hypocholestérolémiants les plus puissants ; ils pourraient ainsi jouer un rôle clé dans la prévention du diabète ou des maladies cardio-vasculaires.
La connaissance de leurs atouts nutritionnels est très insuffisante, et cette exploration pourrait favoriser la réhabilitation de ces aliments. À l’ère de la vogue des aliments fonctionnels, il est intéressant de souligner que les légumes secs présentent une multifonctionnalité remarquable par leurs effets digestifs pour stimuler fortement l’élimination du cholestérol, par leur effet de régularisation du métabolisme énergétique en assurant, après un repas, un apport étalé de glucose et d’acides aminés à l’organisme.
La richesse en minéraux des légumes secs est bien réelle, en magnésium, en calcium, en oligo-éléments, en fer (on trouve effectivement beaucoup de fer dans les lentilles), et la biodisponibilité de ces minéraux est satisfaisante lorsque la consommation des légumes secs est associée à d’autres fruits et légumes, et aux viandes.
Il importe d’identifier la nature des facteurs qui freinent leur consommation. En fait, pour augmenter leur utilisation, pour que celle-ci atteigne une part raisonnable de 5 % des besoins énergétiques (10% serait un niveau maximal), il faudrait améliorer grandement leur facilité d’usage par la recherche de variétés ou de préparations faciles d’emploi. Cependant c’est le manque de culture en matière de préparations culinaires qui freine le plus leur utilisation. Pour sortir de cette situation, le savoir-faire des
nies à travers le monde gagnerait à être recueilli, analysé, liaué, vulgarisé, soutenu au titre d’une politique de santé Clique. Un grand bénéfice pourrait être atteint avec un investissement bien modeste. Une énergie considérable est déployée en vue de persuader nos concitoyens de consommer trois produits laitiers par jour ; or les arguments en faveur des légumes secs sont tout aussi convaincants et pourtant si peu mis en valeur.
Il ne faut pas oublier qu’en dehors des pays riches la maîtrise de l’utilisation des légumes secs est le moyen le plus sûr et le moins onéreux d’assurer un approvisionnement en protéines pour nourrir l’humanité. Dans nos sociétés d’abondance, on a cru pouvoir se passer de cet aliment si facile à produire ; l’homme se prive ainsi de ses atouts santé remarquables, par exemple pour faire face à l’épidémie naissante de diabète.
Comme la lentille, le haricot, les divers pois, la fève ou le lupin, le soja appartient également à la famille des légumineuses, des plantes intéressantes par leur capacité à puiser leur source d’azote à partir de l’air grâce à une symbiose bactérienne au niveau des racines. À la différence des légumes secs traditionnels, le soja originaire d’Asie a connu un développement extraordinaire comme source de protéines pour l’alimentation animale mais aussi pour son utilisation en nutrition humaine. Les populations asiatiques consommaient principalement les produits du soja après fermentation, par exemple sous forme de tofu, une sorte de coagulat protéique d’aspect similaire à du fromage. Dans les pays occidentaux, les transformations du soja se sont extrêmement diversifiées, et ce produit, sous forme de lait, de yaourt, de biscuits ou d’ingrédients divers, entre dans la composition d’une multitude de produits transformés (favorisant ainsi la survenue de certaines allergies). Comme elles bénéficient d’un lobby puissant, nul ne peut ignorer que les préparations à base de protéines de soja ont des effets hypocholestérolémiants ou bien que cette graine contient des isoflavones, donc des phyto-œstrogènes intéressants pour la prévention du cancer du sein, de la prostate et de 1 ostéoporose. Les populations asiatiques semblent en effet mieux protégées de ces pathologies que les populations occidentales ; Cependant en Asie, d’autres facteurs environnementaux interviennent sans doute dans cette meilleure prévention. En France,
comme dans bien d’autres pays, un espoir est né de pouvoir inter- 1 venir efficacement dans la prévention de ce type de pathologies I par des préparations à base de phyto-œstrogènes, surtout depuis 1 que l’on sait que les traitements hormonaux substitutifs ne sont I pas sans risques pour les femmes. À l’évidence, les effets protec- I teurs du mode alimentaire asiatique ne pourront être reproduits ! par un micronutriment isolé, pas plus que la seule utilisation 1 d’huile d’olive ne peut reproduire les vertus du régime méditerra- I néen. Il pourrait même exister un risque de perturbation du 1 métabolisme hormonal chez des jeunes ou des femmes non I ménopausées exposés à des teneurs anormalement élevées de ces phyto-œstrogènes. Consommé à la mode asiatique, le soja peut I être un bon aliment pour l’homme, mais il serait logique de développer beaucoup mieux l’utilisation des autres légumes secs qui ont souvent un bien meilleur intérêt culinaire et des effets santé tout aussi remarquables que les produits actuels dérivés du soja.
Le paradis nutritionnel des potagers et des vergers
Parce que les fruits et les légumes sont riches en eau et pauvres en énergie, leur intérêt nutritionnel a longtemps été sous- estimé. Les enquêtes épidémiologiques des vingt dernières années ont permis de mettre en évidence que ces produits végétaux avaient un rôle remarquable dans la diminution des processus de vieillissement et la prévention des pathologies majeures. Leurs effets santé sont tels qu’ils font l’objet de recommandations consensuelles de la part des nutritionnistes.
En fait, il y a très longtemps que les effets bénéfiques des fruits et légumes avaient été pressentis, mais, en l’absence de théorie claire sur leurs mécanismes d’action, les nutritionnistes n’avaient pas focalisé leur attention sur ces aliments. Actuellement on leur attribue un rôle clé pour rétablir un équilibre nutritionnel dans un environnement alimentaire propice aux carences en fibres, minéraux et micronutriments du fait de l’abondance des produits transformés et de la forte utilisation d’ingrédients purifiés.
La découverte relativement récente de l’importance du stress oxydant et de la richesse en antioxydants de ces produits végétaux a permis aussi de s’appuyer sur une hypothèse intéressante impliquer leurs effets protecteurs. Autre observation intéressante la supplémentation isolée en micronutriments (tels que le fgtacarotène) ne permit pas de reproduire, loin de là, les effets bénéfiques des fruits et légumes.
Les possibilités de développement de la filière fruits et légumes dans une société moderne désireuse de protéger sa population sont considérables. En France, la consommation actuelle des légumes est d’environ 150 g par jour, et celle des fruits est un peu plus élevée, or il faudrait consommer au moins 3 à 600 g de fruits et 3 à 600 g de légumes (soit environ 10-20 % de nos apports énergétiques) pour disposer d’une bonne protection.
On pourrait donc escompter un doublement de la consommation de fruits et légumes à l’échelon de dix ans à condition que les consommateurs veuillent bien suivre les recommandations nutritionnelles. Il faudrait pour cela qu’il y ait une politique de forte incitation qui tempère les influences très fortes du secteur agroalimentaire en faveur de la consommation des produits transformés. Comment favoriser la consommation de fruits et légumes ?
Certainement en améliorant leur qualité organoleptique et nutritionnelle, en diversifiant l’offre et la facilité d’utilisation de ces produits. Souvent, le problème majeur est la grande méconnaissance, par le consommateur, de nombreux fruits et légumes, de leur intérêt nutritionnel et culinaire. Pour de nombreux amateurs de tomates, de poires, de pommes, de salades diverses, 1 offre actuelle est trop standardisée, peu goûteuse et elle constitue un frein réel à la consommation. Pour réduire le nombre trop élevé de petits consommateurs de fruits et légumes, il faudrait qu il y ait au moins une offre de base de bonne qualité et de prix compétitif. La difficulté est de faire adopter ces produits par les générations les plus jeunes, plutôt habituées aux produits transformés prêts à l’emploi. Parmi les nombreuses initiatives possibles, la création d’ateliers de découverte des fruits et légumes ou d autres aliments naturels dans les classes enfantines pourrait avoir un rôle formateur très positif. L’éducation nutritionnelle devrait se révéler à la longue très efficace et faire entrer ces aliments dans la modernité, dans la classe des produits dont on ne
peut se passer. Il faut donc que le discours nutritionnel soit très convaincant et suffisamment étayé pour que le public ressente le caractère essentiel de ces aliments et que ceux-ci cessent d et»- perçus comme des produits secondaires, parce que peu énergétiques, par une trop large majorité de consommateurs, plus particulièrement les jeunes ou les plus démunis. Souvent en effet c’est aussi leur coût élevé qui est dissuasif, or ce problème pourrait être résolu par une segmentation appropriée du marché et l’organisation de circuits de proximité.
Une attention scientifique salutaire
Il faudra donc à l’avenir disposer des données scientifiques les plus exhaustives possible pour asseoir le discours nutritionnel afin de préciser et de différencier les effets physiologiques et protecteurs des divers produits végétaux. Avec beaucoup d’aliments peu dotés d’intérêt nutritionnel, le secteur industriel parvient néanmoins à promouvoir ses produits par des arguments nutritionnels peu convaincants sur le plan scientifique mais très efficaces auprès des consommateurs. La communication sur les fruits et légumes est demeurée trop générique et n’a pas bénéficié des mêmes moyens de recherche et surtout de publicité que beaucoup de produits transformés.
La maîtrise de la composition des fruits et légumes, en particulier en micronutriments, constitue un champ de recherches d’une très grande actualité mais également d’une très grande portée pour l’avenir. En plus des vitamines, le monde des plantes comestibles comprend plusieurs milliers de microconstituants issus du métabolisme secondaire de la plante et largement spécifiques de chaque espèce ou variété.
Ces molécules n’ont pas toutes un impact avéré au sein de l’organisme lorsqu’elles ont une action significative, elles sont considérées comme des micronutriments. L’exploration de la biodisponibilité et des effets cellulaires et moléculaires de ces biomolécules sera longue mais très instructive pour la maîtrise des effets santé des végétaux. Encore faudrait-il connaître précisément leur composition et les facteurs de variation. Le champ d’exploration dans le domaine des produits végétaux est très vaste puisqu’il concerne toutes les étapes de la production
Il y a une urgence à bien maîtriser la nutritionnelle des produits sans aucun contrôle de com- QuaJ1
la sélection génétique, les techniques culturales peuvent liftier très fortement la teneur en micronutriments des fruits °1 légumes et réduire leur valeur santé. Il est facile de se rendre jjjpte que la recherche de certaines caractéristiques (couleur, forme facilité de production) a abouti à des produits peu savoureux est paradoxal et pourtant si souvent vérifié que des fruits ou même des légumes d’aspect extérieur flatteur se révèlent bien peu goûteux. Pour aboutir à des produits standard, de bonne présentation et de prix compétitifs, on a favorisé des variétés à fort rendement, des pratiques culturales intensives, des conditions de récolte et de conservation peu optimales quant à la densité nutritionnelle. Il y a donc une nécessité d’effectuer des recherches pour maîtriser l’ensemble des facteurs de variation de la qualité nutritionnelle ; créer à cette fin une culture commune entre nutritionnistes, agronomes et généticiens, mettre en commun un outil analytique performant. Certes, l’analyse exhaustive de la composition des fruits et légumes est très complexe et longue à réaliser, mais cela ne peut pas justifier le désert analytique actuel qui laisse les filières de production dans l’ignorance complète des conséquences de leur pratique et les consommateurs sans repères avérés.
La variabilité génétique de la teneur en micronutriments au sein d’une espèce peut être considérable, mais bien souvent seule une faible part de cette variabilité est exprimée dans les variétés cultivées. Ainsi, par exemple, la teneur en caroténoïdes varie du simple au double dans les variétés cultivées de tomates ou de carottes alors que, dans les variétés sauvages, les écarts de concentration sont encore plus élevés. Pour offrir au consommateur des aliments ayant les effets protecteurs attendus, il faut maîtriser cette variabilité de composition en informant tous les acteurs, y compris les consommateurs, des facteurs qui influencent la densité nutritionnelle des fruits et légumes.
L’analyse de la composition de ces aliments ne suffit pas entièrement à prédire leur valeur santé. Cela nécessite en particulier de connaître la biodisponibilité des micronutriments mais également l’action d’autres composés (fibres, acides organiques,minéraux). Le champ de recherche sur la biodisponibilité m] très vaste puisqu’il s’agit de comprendre le suivi des molécules! ingérées jusqu’à leur cible dans l’organisme. Les facteurs qql influencent ce cheminement physiologique sont de nature très diverse : nature de la matrice alimentaire, perméabilité intesti- nale, devenir métabolique, possibilité de stockage, efficacité des voies d’élimination. Les réponses les plus difficiles à donner concernent les interactions entre tous les micronutriments, la description de leurs effets physiologiques complémentaires ou synergiques.
En comparaison de beaucoup d’autres domaines de la biologie, l’effort de recherches consenti est bien faible dans ce secteur de la nutrition ; pourtant il serait capital de mieux comprendre la diversité des fruits et légumes qu’il faut consommer pour disposer d’une protection optimale. L’enjeu en termes de santé publique est considérable, nous avons la possibilité d’améliorer durablement la nutrition humaine, tout en valorisant un secteur agricole.
La préservation et la mise en valeur du potentiel de protection végétale
Un travail de fond pour améliorer l’impact des fruits et légumes suppose que l’on maîtrise leurs modalités d’utilisation lorsqu’ils ne peuvent être consommés à l’état naturel. Le développement de technologies douces qui respectent au maximum la complexité et les propriétés des aliments est particulièrement important pour les fruits et légumes. La composition de beaucoup de jus de fruits est souvent très éloignée des fruits d’origine. Les techniques culinaires sont parfois trop dénaturantes, et on manque encore d’informations précises sur le devenir de beaucoup de micronutriments dans les divers procédés de conservation et de transformation.
Même si l’utilisation raisonnée des fruits et légumes existants permet une amélioration considérable de l’état de santé de la population, il est évident que l’on peut encore bénéficier de nouvelles ressources végétales. Il est en effet possible d’acclimater une très grande diversité de fruits et légumes à partir des
et des variétés présentes dans de nombreuses régions du Or la qualité de la préservation de la santé par les fruits m° ^5 dépend sans doute des quantités consommées mais • de la diversité des espèces botaniques. En France, la aUSS* e des produits proposés dans la plupart des marchés est bien faible par rapport à certaines régions du monde, et nous avons beaucoup de légumes oubliés ou tombés en désuétude (roquette, cerfeuil tubéreux, cardon, crosne, panais, rutabaga, topinambour…). De plus, nous avons réduit à quelques dizaines le nombre de variétés de pommes ou de poires commercialisées alors qu’il en existait plus de deux mille variétés pour chacune des deux espèces. Même avec l’offre alimentaire actuelle, les enquêtes épidémiologiques montrent que la consommation de fruits et légumes est efficace pour réduire très sensiblement les grandes pathologies chroniques.
Malgré leur rôle essentiel dans la nutrition préventive, les fruits et légumes doivent être perçus aussi comme des aliments bons à manger. Longtemps l’effort de recherche en gastronomie s’est concentré autour de la préparation des viandes, or l’exploration du monde organoleptique des fruits et légumes est tout aussi voire plus complexe. Produits végétaux et viandes se marient à merveille, mais souvent une portion congrue est réservée aux fjruits et légumes. Pour certains consommateurs, il est nécessaire qu’une chaleur estivale s’installe pour qu’enfin des aliments peu énergétiques et rafraîchissants s’imposent, alors qu’ils pourraient en permanence être attirés par la naturalité de ces aliments aux propriétés physiologiques multiples.
La faible valeur calorique des fruits et légumes constitue leur atout et parfois leur faiblesse s’ils sont la principale ressource alimentaire. Une consommation élevée de fruits et léguées, d’au moins 600 g pour chaque type de produits, fournit seulement 20 % des apports caloriques d’un homme moyen ; ces aliments permettent donc de disposer d’une nourriture abondante et peu calorique. Les fruits et légumes sont pratiquement les seuls aliments dont on peut prescrire une consommation à volonté sans risque de déviations métaboliques. Par contre, il est nécessaire d’aboutir à un apport nutritionnel diversifié compte tenu de leur différence de composition.
L’intérêt physiologique des fruits et légumes
Malgré des moyens de recherche fort modestes de par iej monde, nos connaissances sur la diversité des effets physiologiques des fruits et légumes sont très encourageantes. La description exhaustive de leurs bienfaits équivaudrait à explorer toutes les facettes des relations entre alimentation et santé.
L’intérêt fondamental de ce type d’aliments est d’induire une certaine restriction énergétique sans doute très favorable au vieillissement sans par ailleurs priver l’organisme (au contraire) de micronutriments protecteurs. Le risque, bien sûr, lié à une consommation excessive de ces aliments est d’induire, chez certaines personnes, un état de maigreur prononcé tel qu’on le retrouve à la suite de certains comportements apparentés à l’anorexie.
Afin de lutter contre l’obésité, les nutritionnistes ont largement J exploré les possibilités de réduire les apports caloriques par la privation alimentaire et/ou par des régimes spéciaux très pauvres en 1 graisses et très riches en protéines. Le problème de ces mesures 1 diététiques provient du fait quelles sont difficilement supportables 1 par les patients et peu compatibles avec un bon état nutritionnel. 1 Longtemps, la validité d’une stratégie d’encouragement à consommer à volonté des fruits et légumes afin de lutter contre la surcharge pondérale a été mise en doute dans la mesure où les fruits sont riches en sucre et les légumes peuvent être préparés avec des matières grasses, ce qui est susceptible d’alourdir les bilans caloriques. En prenant quelques précautions diététiques, une consommation élevée de fruits et légumes est compatible et même très utile pour maîtriser les bilans énergétiques. La difficulté réside surtout dans la possibilité de faire adopter à certains consommateurs des régimes alimentaires riches en produits végétaux alors qu’ils sont fortement conditionnés à consommer des aliments prêts à l’emploi souvent peu équilibrés. Les données actuelles montrent qu’une stratégie d’encouragement à la consommation de fruits et légumes est très efficace dans la lutte contre la surcharge pondérale, même s’il existe une réelle difficulté de mise en œuvre.
Manger abondamment des fruits et légumes équivaut à assurer un fonctionnement normal du tube digestif, ce qui est une conditions indispensables à la régulation de la prise de comportement alimentaire permet également rï^fer les troubles fonctionnels digestifs, en assurant un rem- sage gastrique satisfaisant, en permettant le développement, niveau du gros intestin, de fermentations symbiotiques entièrement équilibrées (grâce à une disponibilité élevée de glu- ides fermentescibles accompagnés de micronutriments) et en régularisant le transit digestif par la présence d’une très grande diversité de fibres.
Consommer une grande quantité de fruits et légumes, c’est l’assurance de bien couvrir les apports nutritionnels recommandés en minéraux et en vitamines et de disposer en plus d’une très large gamme de micronutriments protecteurs. À titre d’exemple, une consommation de 300 g de fruits et de 300 g de légumes par jour fournit 40 % des besoins de potassium (sur une estimation des besoins à 4 g) et de fer et environ 20 % des besoins en calcium et magnésium ; et à quelques exceptions près, la biodisponibilité des minéraux dans les fruits et légumes est très satisfaisante. Beaucoup de consommateurs s’interrogent sur la manière de couvrir les besoins en calcium en dehors des produits laitiers. L’observation des comportements animaux comme celui des modes alimentaires les plus répandus sur la planète montre que le calcium peut aussi provenir des produits végétaux, à condition justement de les utiliser généreusement et non avec la parcimonie de beaucoup de consommateurs actuels.
Chez les omnivores que nous sommes, la consommation de produits animaux et végétaux revêt un caractère complémentaire remarquable pour la couverture des besoins en vitamines. Il faut souligner aussi l’extrême variabilité dans la teneur en vitamines des fruits et légumes selon les parties végétales consommées, les parties foliaires, les tiges ou les fleurs ayant dans l’ensemble une densité nutritionnelle plus importante en vitamines B que celle des racines, des tubercules ou des fruits. Le rôle des fruits et légumes dans l’apport d’acide folique, de vitamine K, de caroténoïdes précurseurs de vitamine A, de vitamine C ou des autres antioxydants est essentiel pour bénéficier d’un bon statut nutritionnel. D’ailleurs, lorsque l’on impose à des volontaires sains, à des fins expérimentales, une réduction
drastique de la consommation des fruits et légumes, on observJ une réduction nette des teneurs plasmatiques en vitamine C, en caroténoïdes et du pouvoir antioxydant au sein de l’organisme^J
De plus, les fruits et légumes de par leur différence bota. I nique ou variétale sont une source extraordinaire de composés bioactifs (polyphénols et caroténoïdes largement ubiquitaires, glucosinolates des crucifères tels que le chou, composés soufrés des alliacées, phyto-œstrogènes, terpènes), si bien qu’il est difficile de priver impunément l’organisme de cette protection à l’échelon d’une vie.
L’impact des fruits et légumes est particulièrement vaste puisqu’il concerne tous les territoires de l’organisme et des fonctions aussi diverses que le fonctionnement hépatique, circulatoire, rénal, oculaire. On leur reconnaît maintenant un effet dans la prévention de l’ostéoporose, un rôle probable dans la prévention des maladies neurodégénératives et même une efficacité cosmétique.
Même si les fruits et légumes doivent être appréciés en premier pour leur essence alimentaire, leur rôle dans la prévention des deux grandes pathologies majeures, maladies cardio-vasculaires et cancers, contribue à mettre en avant ces aliments dans les recommandations nutritionnelles actuelles. Pour la prévention des pathologies cardio-vasculaires, ces produits végétaux contribuent à diminuer quasiment tous les facteurs de risque : surcharge pondérale, hypercholestérolémie, résistance à l’insuline, hypertension, oxydation des lipoprotéines, tendance à une agrégation plaquettaire élevée. Depuis notre passé de chasseurs- cueilleurs, il est remarquable que des synergies alimentaires entre produits animaux et végétaux se soient fortement développées pour assurer un bon fonctionnement de l’organisme dans ce type d’environnement nutritionnel. Ainsi, l’élimination digestive du cholestérol en provenance des produits animaux est totalement tributaire d’un apport de produits végétaux et en particulier de fruits et légumes. Des singes auxquels on impose un régime riche en cholestérol sans produits végétaux complexes et sans fibres alimentaires développent rapidement une hypercholestérolémie et une pathologie cardio-vasculaire, et la consommation de fruits ou légumes suffit à assurer un retour à la normale. Dansles pays industrialisés, la consommation de produits animaux et saturées demeure élevée, mais surtout la composante Sale de l’alimentation est bien trop raffinée ou trop peu pourassurer un fonctionnement métabolique satisfaisant, ^^possibilités de prévention sont donc tout à fait intéressantes.
La question de la prévention des cancers est beaucoup plus mplexe, et les mécanismes de protection par les fruits et légumes moins bien élucidés, compte tenu de la complexité des événements cellulaires et moléculaires du processus cancéreux. Il n’empêche, dans des conditions de terrain loin d’être toujours très satisfaisantes, les enquêtes épidémiologiques permettent néanmoins d’observer une protection très significative vis-à-vis d’un très grand nombre de cancers ; jusqu’où pourrait aller cette protection si on maîtrisait mieux la gamme de fruits et légumes à consommer et leur qualité ?
L’exploration des effets santé des fruits et légumes nécessiterait à l’évidence une approche pluridisciplinaire, une étroite collaboration entre la recherche agronomique et médicale, la réalisation d’enquêtes épidémiologiques de grande ampleur ; or de tels programmes de recherche sont loin d’être sérieusement engagés.
Les fruits et légumes, un investissement pour la santé
Actuellement dans les pays occidentaux, la problématique de l’alimentation ne concerne pas seulement l’équilibre des apports caloriques mais le bon statut nutritionnel qui résulte d’un apport alimentaire diversifié et riche en fruits et légumes. On sait maintenant que ces aliments sont indispensables au maintien de la santé du fait de leur richesse en facteurs de protection et de leur forte densité nutritionnelle. Leur consommation, si elle est suffisamment élevée, permet de pallier les inconvénients de l’offre alimentaire actuelle trop concentrée en énergie.
Ce rôle de protection concerne évidemment autant l’homme que la femme, mais il semble que la femme ait une place privilégiée dans la perception et la gestion de ce message.
Au niveau de la santé publique, un réel effort doit être entrepris pour mettre davantage à profit les effets protecteurs des fruits et légumes. Pour aller dans ce sens, un grand nombre d’initiatives
devraient être prises, mais il ne fait aucun doute que leur su dépendra largement de la prise de conscience nutritionnelle de» femmes qui restent les prescripteurs de santé les plus écoutés pj leur famille et leur entourage. La restauration collective avec l’encouragement des pouvoirs publics et de ses usagers devrait avoir pour objectif principal de gérer au mieux la préparation et la distribution des fruits et légumes pour pallier le déficit récurrent 1 de leur consommation. Dans les restaurants privés, des formules de menu avec un prix forfaitaire incluant des fruits pourraient être proposées. Au restaurant comme chez soi, pourquoi ne pas présenter la corbeille de pain et de fruits au début du repas, ce qui est aussi favorable sur le plan digestif ?
Grâce à un travail de fond concernant la qualité des apports végétaux et notamment des fruits et légumes et la connaissance du déterminisme de leur consommation, on maîtrisera un secteur clé de la nutrition préventive, celui qui peut contribuer le plus sûrement à améliorer la santé de la population et à modifier notre approche des problèmes de gestion de la santé et de leur coût socioéconomique. Néanmoins, l’incitation à consommer d’avantage de produits végétaux de qualité ne doit pas être perçue comme un encouragement à devenir strictement végétarien (bien qu’il faille souvent modérer l’ardeur de certains consommateurs en direction des produits animaux), mais plutôt comme une recommandation forte à limiter les aliments sources de calories vides.
Vidéo : Le retour du végetal
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