Le rééquilibrage du psychisme
Ce paragraphe sera le seul de ce chapitre à n’être pas illustré par une expérimentation scientifique. Il est en effet impossible de mesurer le bien-être psychique. C’est d’ailleurs à cette impossibilité de quantifier que sont confrontés les différents types de psychothérapies pour prouver l’évidence : l’amélioration d’un pourcentage non négligeable de leurs patients. Je m’en tiendrai donc à des arguments cliniques.
A signaler qu’ici on place des aiguilles sans y adjoindre de courant électrique.
Argumentation
On sait que la morphine, outre ses propriétés analgésiantes, est également euphorisante.
S’il a été démontré que les endorphines, à l’instar de la morphine, ont une action analgésiante, l’attention des expérimentateurs a été moins attirée par l’action probable des endorphines au niveau du psychisme. Ceci en raison des considérations exposées dans le préambule.
Deux types d’arguments sont cependant en faveur de l’importance des endorphines dans le maintien de l’équilibre psychique ٠.
1. Les molécules d’endorphines, étant analogues à celles de la morphine, doivent avoir les différentes propriétés de la morphine.
2. Un argument clinique : le traitement par acupuncture de certains problèmes nerveux.
Développement de l’argumentation clinique
L’observation des réactions du patient milite en faveur de la libération de substances chimiques à action psychotrope (c’est-à-dire qui déterminent l’humeur).
Réactions du patient lors de la lre séance
C’est lors de cette lre séance que les réactions du patient seront les plus évidentes. Lorsque le problème psychologique est bien du ressort de l’acupuncture on observe les réactions suivantes :
Quelle que soit l’importance de la nervosité du patient (et en fait plus nerveux est le patient, plus nettes seront les réactions), celui-ci commence ف se détendre dans les 5-10 premières minu- tes de la séance d’acupuncture. Cette détente va en s’appro- fondissant dans les 20 minutes que dure une séance. En fin de consultation le patient est légèrement somnolent, voire un peu groggy. 11 peut être discrètement euphorique. En tout cas, il est nettement moins anxieux.
Le sommeil qui suit la séance est souvent particulièrement profond et réparateur. La détente (mais pas la somnolence)
induite par la séance d’acupuncture persiste entre 6 heures et quel- qües Ours. Le patient redevient ensuite anxieux ou dépressif, mais nettement moins qu’avant la première séance.
Lors de la 2e séance et après
Dans les cas favorables, le patient arrive moins tendu, nettement plus confiant dans la technique utilisée pour l’aider, et plus confiant dans son avenir. Les réactions décrites seront généralement nettement moins spectaculaires à partir de la 2e séance. La détente qui va suivre cette 2e séance sera plus prolon- gée qu’après la lre séance. Ainsi, au bout de 4 à 10 séances, l’amélioration obtenue sera stabilisée. Le patient cessera alors le traitement.
La persistance de l’amélioration de l’état du patient oscillera entre quelques mois et de nombreuses années. Tout dépendra de la nature exacte de son problème psychologique.
Commentaire
Tout se passe comme si l’on avait injecté au patient des mé- dicaments contre sa nervosité. Dans les paragraphes précédents, il a été montré que les endorphines augmentent dans le liquide ‘ dès la pose des aiguilles et en tout cas dans
les 30 minutes suivant le début de la séance. L’acupuncture, en libérant quasi instantanément les endorphines, améliore dans le même temps l’état du patient.
Cette relance de la production d’endorphines par le cerveau, je l’explique souvent à mes patients en comparant le cerveau ف un moteur d’auto qu’on remet en marche avec une manivelle ! Aux premiers tours de manivelle, on obtient un départ très provisoire du moteur. Les tours suivants amèneront le moteur à tourner régulièrement. Quelle que soit la qualité de cette comparaison aux points de vue poétique et mécanique, elle corres- pond vraisemblablement à la réalité de ce qui est observé.
Les glandes cérébrales sécrétant les endorphines (et les autres hormones ف action sur le psychisme), sont stimulées dès la lre séance, puis à nouveau semblent voir tarir leurs sécrétions. Les séances d’acupuncture suivantes relanceront complètement les sécrétions glandulaires.
Le bien-être du patient dépend étroitement de l’harmonie existant entre les différentes hormones cérébrales au point de
vue quantitatif. Le taux d’hormones cérébrales obtenu au cours de la lre séance allant en diminuant, le patient voit l’amélioration obtenue diminuer parallèlement. Les séances suivantes, en stabilisant les sécrétions cérébrales, stabiliseront l’humeur du patient.
Rôle éventuel de la psychothérapie au cours des séances
Certains pensent que l’acupuncteur profite du fait d’avoir devant lui un patient plus ou moins immobilisé par la présence des aiguilles pour faire de la psychothérapie. Cette ébauche de psychothérapie, voire l’adjonction de la suggestion, expliquerait les résultats.
En fait, les acupuncteurs traitent souvent plusieurs patients à la fois, passant d’une pièce à l’autre de leur cabinet. Cette façon de faire s’explique car les aiguilles restent en place une vingtaine de minutes. Cela donne tout le temps au praticien de traiter plusieurs patients simultanément. Dans ces conditions, une psychothérapie n’est pas concevable.
Par ailleurs en ce qui me concerne en tout cas, les renseignements demandés au patient relatifs à son problème émotionnel sont réduits au minimum. Ne connaissant pas les conflits de mes patients, je ne peux en influencer le cours.
L’important pour le praticien est :
- de ne pas passer à côté d’une maladie « organique » qui dans certains cas peut donner des symptômes psychiques ;
- de se rendre compte d’emblée si le problème psychologique n’appartient pas de façon évidente aux problèmes non traitables par l’acupuncture.
Un élément très important d’appréciation est la réponse ou l’absence de réponse, séance après séance aux 6 premiers traitements. En effet, à chaque séance, la façon de réagir du patient détermine le choix des points à utiliser.
Si après la 6eséance, aucune réponse n’est obtenue, le praticien réévaluera le problème et sera amené à diriger son patient soit en médecine interne ou en neurologie, soit en psy
chothérapie (individuelle لاه familiale), soit vers les médiea- ments à action sur le psychisme.
Les conflits émotionnels normaux peuvent sembler insur- montables en cas de « fatigue » du système nerveux. L’acu- puncture, en stabilisant le système nerveux et en harmonisant les différentes sécrétions d’hormones cérébrales, redonne au patient une vision claire et dédramatisée des choses.
Si les patients qui peuvent répondre à l’acupuncture sont abordés d’emblée par une psychothérapie, celle-ci n’en finira pas d’explorer les conflits du patient étant donné que tout ap- parafa conflictuel à un patient dont le système nerveux est dans un état d’épuisement.
Cependant, chaque technique en médecine a son intérêt. Le tout est de bien savoir choisir la technique qui aidera au mieux le patient et dans les délais les plus courts.
Exemple pratique
Dans la plupart des cas, l’acupuncture suffit à rééquilibrer le psychisme du patient. Cependant mon intention n’est pas de présenter l’acupuncture comme le seul traitement possible des maladies psychologiques. Un exemple vécu fera mieux comprendre les choses.
Une patiente me consulte dans un état nerveux épouvantable d’anxiété. Trois mois auparavant, elle a vu sa sœur se suicider avec un révolver. Elle est en psychothérapie depuis lors et reçoit des médicaments vu l’importance de l’anxiété et de la dépression.
Dès la première séance, on obtient une certaine détente qui perdure quelques heures. Les séances suivantes apaiseront de façon très importante la jeune femme et cela en l’espace d’une semaine.
Malgré cette amélioration, elle continuera la psychothérapie commencée afin de voir plus clair dans sa vie affective. Les médicaments seront eux très rapidement diminués, voire supprimés.
Quand un patient consulte dans un tel état de malaise psychique, une thérapeutique rapidement efficace s’impose.
Le système nerveux du patient étant régularisé du point de
vue hormonal, on pourra si nécessaire explorer les causes anciennes et récentes de la tension émotionnelle du patient.
L’acupuncture est le plus souvent utilisée seule, comme le montre l’exemple suivant :
Une étudiante me consulte car elle est obsédée depuis plusieurs semaines par un accident dont son frère a été la victime. Suite à cet accident, un œil est gravement menacé. La patiente est tellement anxieuse qu’elle n’arrive plus à étudier. Comme elle est en période d’examen, elle va échouer car elle est tout à fait incapable de se concentrer.
Je la traite, puis, comme elle est étudiante en dernière année de médecine, je l’invite à assister à ma consultation. Après 30 minutes de présence de sa part au chevet de mes patients, elle exprime le désir de rentrer.
Un « coup de fil » que je reçois quatre jours plus tard m’apprend qu’elle n’a pratiquement fait que dormir pendant les 48 heures qui ont suivi la consultation. Puis elle a récupéré, s’est sentie nettement moins anxieuse et s’est remise à étudier. Elle devait réussir sa session d’examens sans qu’il ait été besoin de pratiquer une 2e séance.
Cet exemple est intéressant, notamment à cause de la durée de l’état de somnolence qui a suivi le traitement. Habituellement, la somnolence induite par les aiguilles dure quelques heures voire, moins souvent, 24 heures. Aussi, dans la pratique, je demande à mes patients de conduire prudemment en quittant la consultation car ils pourraient être un peu somnolents le temps de rentrer chez eux. C’est le seul conseil qui a été donné à l’étudiante. Ainsi, sa somnolence n’a pas été induite par la suggestion, mais bien d’une part par la production d’hormones cérébrales dont les endorphines, d’autre part par l’effet anti-anxiété qui lui a permis de récupérer la fatigue induite par quelques semaines de tension nerveuse.
Si dans cet exemple on avait abordé le problème par la psychothérapie, on se serait demandé peut-être pendant longtemps pourquoi la patiente était tellement traumatisée par l’accident de son frère, au lieu de la soigner d’emblée.
Je ne critique les psychothérapies qu’en apparence, car je considère qu’elles sont les seules techniques utiles chez les patients anxieux ou dépressifs pour des raisons névrotiques. C’est au médecin qu’il appartient d’orienter le patient vers le traitement le plus adéquat.
Les exemples de rééquilibrage du système nerveux sont légion et continuent à m’impressionner étant donné leur rapidité et leur efficacité. Les statistiques sont de 75 à 85 % de patients guéris ou très aidés dans le domaine psychologique (si la problématique est bien du ressort de l’acupuncture). Ces statistiques sont similaires à celles de l’ensemble des patholo- gies traitées par l’acupuncture.
Conclusion
Les endorphines découvertes dans les années 70 ont tout autant que les expériences simples portant sur les réflexes peau —٠• organes, permis aux acupuncteurs de retrouver dans les travaux des laboratoires certaines confirmations des observations qu’ils faisaient depuis toujours dans leur cabinet de consultation.
Tous les mécanismes d’action de l’acupuncture ne se résument probablement pas aux endorphines. Il appartiendra à la recherche, parallèlement aux progrès qu’elle continuera à faire en neurologie et en biochimie du système nerveux, d’élucider progressivement les autres systèmes biochimiques auxquels fait appel l’acupuncture pour agir.