Le contrôle de l’excrétion
Le rôle de l’hypophyse dans le contrôle de la diurèse:
Dès 1858, dans ses Leçons sur la physiologie et la pathologie du système nerveux, le physiologiste français Claude Bernard (1813-1968) observait, chez le lapin, qu’une piqûre de la partie médiane du plancher du 4e ventricule (situé au niveau du tronc cérébral) provoquait une exagération de l’excrétion urinaire. En 1911, un neurochirurgien américain, Harvey W. Cushing (1869-1939) montra que, chez l’homme, l’hypophysectomie provoquait l’apparition d’un diabète insipide, caractérisé par l’émission d’une urine abondante – pouvant atteindre 4 à 5 litres par jour – et peu concentrée. Le rôle de l’hypophyse dans le contrôle de la diurèse fut confirmé quinze années plus tard par des expérimentations conduites chez l’animal.
L’expérience de Brull (1926):
Le physiologiste belge Lucien Brull (1898-1959) cherche à caractériser, chez le chien, le rôle de l’hypophyse dans le contrôle de la production d’urine (diurèse). Grâce à des anastomoses vasculaires, c’est-à-dire des communications établies chirurgicalement entre les veines d’une part et les artères d’autre part, des reins isolés sont irrigués par du sang veineux provenant soit de la tête d’un chien contrôle, soit de celle d’un animal hypophysectomisé. Le passage d’une irrigation sanguine à une autre se fait par simple déplacement de pinces placées sur les vaisseaux sanguins. L’urine issue de chacun de ces reins est recueillie et la diurèse est mesurée.
La diurèse mesurée sur le rein irrigué par le sang du chien hypophysectomisé est augmentée d’un facteur 20 par rapport à celle du rein irrigué par le sang du chien témoin. Lucien Brull conclut :
« Il ressort de ces expériences que, chez l’animal intact, il existe dans le sang circulant un facteur antidiurétique, et que ce facteur fait défaut dans le sang d’un animal hypophyséoprive [hypophysectomisé]. Enfin, l’action de ce facteur se fait sentir sur des reins privés de toute connexion nerveuse, puisque leur pédicule a été coupé. On peut conclure de là que, dans certaines condi¬tions, le rein subit par voie sanguine l’influence d’un facteur d’origine hypo- physaire, facteur qui modère l’excrétion d’eau. »
Brull a donc prouvé que l’hypophyse exerce, par voie endocrine, une action anti-diurétique.
D’autres étapes clés:
En 1937, le médecin américain Harvey L. White (1896-1977) et son compatriote neurophysiologiste Peter Heinbecker montrent, chez le rat, le chien et le singe, que des lésions de l’hypothalamus et de l’hypophyse induisent un diabète insipide. Cinq années plus tard, en 1942, le pharmacologue américain Harry Van Dyke (1855-1971) broie 1 kg de neurohypophyses bovines congelées dans 9 litres d’acide sulfurique 0,01N. Au moyen d’une série de précipitations successives du broyât glandulaire réalisées par addition de solutions salines, Van Dyke parvient à isoler 700 mg d’une substance protéique pure au regard des techniques biochimiques de l’époque.
Celle-ci, quand elle est injectée à des rats, diminue leur diurèse et augmente leur pression artérielle de manière significative. La protéine isolée, d’un poids moléculaire de 30 000 daltons, est l’hormone antidiurétique (ADH) ou vasopressine.
En 1953, la synthèse de l’ADH – mais également de l’ocytocine, la seconde hormone libérée par la neurohypophyse – est réalisée par le biochimiste américain Vincent du Vigneaud (1901- 1978), qui se verra attribuer le prix Nobel de chimie en 1955 pour son travail de pionnier dans la biosynthèse de polypeptides biologiquement actifs.
Le rôle des glandes surrénales dans le maintien de l’équilibre hydrominéral:
En 1855, le médecin anglais Thomas Addison (1793-1860) décrivit un syndrome clinique associé à une destruction des glandes surrénales : « Les caractéristiques principales de l’état morbide sur lequel je porterais mon attention sont l’anémie, une langueur générale, une remarquable faiblesse du cœur et une modification particulière de la couleur de la peau, apparaissant en connexion avec une maladie des capsules suprarénales. » Les malades présentent en outre une envie irrésistible de consommer du sel. Après cette première description, de nombreuses expérimentations réalisées précisèrent le rôle des sécrétions des glandes surrénales dans le maintien de l’équilibre hydrominéral.
L’expérience de baumann (1927):
Le physiologiste américain Emil J. Baumann pratique des surrénalectomies unilatérales ou bilatérales chez des chats anesthésiés. Trois à cinq jours après l’opération, des prélèvements sanguins permettent de doser les ions en solution dans le plasma et, en particulier, le sodium (Na+) et le potassium (K+).
Baumann observe que la surrénalectomie unilatérale n’induit pas de changement signi¬ficatif des concentrations plasmatiques de Na+ et de K+. En revanche, chez les animaux ayant subi une ablation bilatérale des surrénales, la concentration plasmatique de Na+ est abaissée alors que la concentration plasmatique de K+ est augmentée.
À la lumière des connaissances physiologiques actuelles, et même si cette expérience est incomplète car Baumann n’a pas réalisé de dosage des ions Na+ et K+ dans l’urine, il est possible d’identifier ici l’implication des glandes surrénales dans le contrôle de l’équilibre hydro¬minéral. Lorsque les surrénales sont enlevées, la concentration plasmatique de Na+ baisse car il est davantaee éliminé dans l’urine; le phénomène inverse est observé pour l’ion K+.
Au cours de la même année 1927, Baumann publie les résultats d’une étude sur la survie des animaux surrénalectomisés après ablation bilatérale des surrénales. Comme le chercheur avait montré que la surrénalectomie pouvait perturber l’équilibre hydrominéral, il teste les effets de l’injection intrapéritonéale quotidienne soit d’extraits de corticosurré¬nale, soit de différentes solutions ioniques.
L’injection d’extraits corticosurrénaliens, mais aussi une supplémentation en ions apportée par l’injection de solutions isotoniques de NaCI ou de liquide de Ringer prolongent la survie des animaux surrénalectomisés. En revanche, l’injection d’une solution de glucose ne procure pas une amélioration significative de la durée de vie. Les effets de la surrénalectomie sont donc supprimés soit par des extraits de la corticosurrénale, soit par un apport d’ions Na+. Cela prouve que la corticosurrénale contribue à maintenir dans l’organisme des concentrations ioniques compatibles avec la vie.
Les données de Bauman sont évidemment partielles, mais elles permettent de démontrer, à l’aide d’approches expérimentales simples, la nécessité vitale des surrénales et le rôle de ces glandes dans le maintien des concentrations plasmatiques de sodium et de potassium.
D’autres étapes clés:
De 1935 à 1960, les recherches sur la purification des extraits de cortex surrénaliens sont très actives, en dépit des conditions expérimentales difficiles dans lesquelles elles se dérou¬lent. Elles sont couronnées par l’attribution, en 1950, du prix Nobel de médecine et de physiologie au chimiste polonais Tadeus Reichstein (1897-1996) et au biochimiste américain Edward Calvin Kendall (1886-1972), pour leurs travaux sur l’isolement de composés hormonaux de la corticosurrénale. Les deux chercheurs ont utilisé une tonne de surrénales ovines pour obtenir, tout d’abord, un extrait actif de 1 kg, puis 25 g de concentré. Par divers traitements chimiques, Reichstein et Kendall identifient dans leur concentré 29 molécules stéroïdes différentes, dont 6 sont biologiquement actives, c’est-à-dire qu’elles prolongent la survie d’animaux surrénalectomisés.
Mais ce ne sont pas ces deux « nobélisés » qui isolent l’hormone corticosurrénalienne régulant l’équilibre hydrominéral: l’exploit est réussi par un couple d’Américains, la zoologue Sylvia Simpson-Tait (1917-2003) et le physicien James Francis Tait (né en 1925) qui, en 1952, obtiennent, à partir de 500 kg de surrénales de bœuf, 21 mg d’un composé stéroïde actif qu’ils qualifièrent d’«électrocortine», qui prendra par la suite le nom d’aldostérone. La synthèse de cette hormone est réalisée en 1955.