La santé au bout des doigts : la main
Parmi les quatre étapes de la démarche clinique historique, la palpation a toujours occupé une place de premier plan. En effet, c’est l’avènement de l’auscultation qui a modifié le dogme en médecine clinique : inspection-observation, palpation. La main du clinicien explore, effleure, appuie, frôle, interroge. Jamais agressive, toujours subtile, parfois hésitante, la main est un capteur qui échange des messages avec le corps. Avec l’expérience, elle se mue en un authentique amplificateur des tensions, des forces, des mouvements qu’elle perçoit. Comme le stéthoscope qui écoute sa « cathédrale », le cœur, avec ses niches, ses piliers, ses orifices, baignant dans un flot turbulent dont il détecte les bruits et les rythmes anormaux, la main ostéopathique se projette au cœur de l’anatomie en mouvement.
Ces projections anatomiques visuelles transmises tactilement exigent une concentration du praticien pour décoder chaque sensa-tion perçue et lui restituer une « définition anatomique ». Ainsi sont palpés les muscles, les tendons, les reliefs ; ainsi sont ressentis les tensions, les résistances, les frottements, les crissements, les battements, le chaud, le froid, la sueur ; ainsi sont « vus » les arti-culations en fonction avec les ligaments, le cartilage, la synoviale, la capsule, les surfaces articulaires ; ainsi sont évalués les rapports entre le « paquet vasculo-nerveux » (artères, veines, nerfs), les défilés fibreux ou musculaires, les orifices, les carrefours.
La main ostéopathique va plus loin. Non seulement elle capte, activité relativement passive, mais elle active des leviers pour imprimer des mouvements, les recevoir et les interpréter. Tout est important : la position du doigt qui reçoit par rapport à l’apophyse épineuse, la disposition de la pulpe de plusieurs doigts au contact de plusieurs reliefs (charnière tête-cou, charnière lombo-pelvienne) ; les prises « main entière » utilisées dans l’évaluation fonctionnelle comparative aux articulations périphériques.
La reconnaissance d’une contracture musculaire (contraction musculaire permanente involontaire de certains muscles striés soumis à une augmentation du tonus musculaire) ne présente aucune vraie difficulté pour la main du clinicien, pas plus que l’instabilité articulaire (articulation qui craque), pas plus que la trace de sueur très localisée à un territoire paravertébral dorsal, les dermalgies réflexes, le pincer-rouler, les réflexes de Chapman. Cette main ostéopathique, attachée aux procédures de l’examen physique, qu’il soit à orientation rhumatologique ou orthopédique, f.i encore contestée par de nombreux cliniciens qui lui reprochent l’absence d’objectivité de ses tests de mobilité.
Il est vrai que la main et la peau ne sont que les points de contact où se nouent des relations très intimes entre deux êtres humains. Deux organes sensoriels qui reçoivent et qui donnent. Les anthropologues, les spécialistes des neurosciences s’intéres- i ni depuis longtemps à la peau. C’est un organe au même titre que n’importe quel organe du corps, mais un organe qui a son propre langage, lié au toucher. L’anthropologue Ashley Montagu a publié de nombreux ouvrages sur le sujet. Il dresse le constat accablant de notre civilisation du non-toucher dont nous observons tous les jours les conséquences sur le comportement.
II existe un véritable traumatisme de la naissance au niveau de la peau, lorsqu’on arrache le nouveau-né au corps de sa mère, liaumatisme dont celui-ci ne se remettra peut-être jamais complètement. S’ajoutent les traumatismes de la peau dans les premières années de la vie, surtout dans ce monde occidental civilisé et agressif. Ainsi serait expliqués la peur des grands espaces (agora- pi lobie), le besoin de recréer les conditions de la vie intra-utérine Ici les que s’enrouler dans ses draps, fermer la porte de sa i liambre, etc.
Les sensations sur la peau qu’assimile le bébé lui permettent d acquérir les notions fondamentales de son apprentissage. Par- lois, dans les familles, les contacts tactiles sont nombreux, entre la mère et l’enfant, entre les membres de la famille. D’autres fois, au contraire, ils sont réduits au minimum. Certaines sociétés — il suffit de regarder autour de soi — se caractérisent par un mode de vu- du « non-toucher ». Les spécialistes connaissent la relation cuire le toucher et le système respiratoire (asthme), mais plus encore ils attirent notre attention sur le fait qu’une mauvaise communication au travers de la peau du bébé se retrouvera probablement dans un développement perturbé de ses fonctions sexuelles. Homme ou femme, les messages reçus par notre peau font de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Nos plaintes ne sont souvent qu’un signal, celui du désir, du besoin d’être touché. La femme, à tous les âges, semble être beaucoup plus réceptive et réagit davantage aux Stimuli tactiles que l’homme. La différence est en partie génétique, mais les différences culturelles jouent un rôle important.
Certaines techniques manuelles ostéopathiques, telles que la technique cranio-sacrale, les techniques dites d’« écoute tissulaire » ainsi que certaines techniques viscérales sont vivement critiquées par le corps médical. Cette main ostéopathique est si loin de la main objective, si proche de la main du chaman, qu’elle inspire la méfiance, qu’elle jette un doute sur les résultats. Pis encore, des mains non ostéopathiques s’emparent de ses techniques ; faux ostéopathe récent converti au culte de l’ostéopathie qui guérit tout, thérapeute de la main à la formation TGV, guérisseur-ostéopathe sans formation, au discours pseudomédical bien affûté, qui « rétablit des énergies », gourou-ostéopathe qui sévit dans et aux fron-tières des sectes, bardé de vrais ou de faux diplômes… tous ces « pathes » de quelque chose sont nés d’une société consumériste dont les acteurs rêvent de tout acheter, y compris « le bonheur d’être touché ».
L’objectif est souvent atteint puisqu’il s’agit d’asservir au culte d’une « ostéopathie-harmonie du corps de l’âme de l’esprit » les frustrés du langage du corps. La crise économique, le chômage et les reconversions rapides sont passés par là. Formés aux « petits stages » validés par des diplômes bidons, vrais flibustiers, faux médecins aux titres ronflants, ces mains étrangères à la médecine ostéopathique, en manipulant le placebo et le toucher-guérison, laissent croire aux patients que le bénéfice ressenti vient de leur « art ostéopathique ». C’est ainsi que pour de nombreux patients l’ostéopathie a perdu les repères qui l’amarraient à la médecine. Il faut dénoncer cette escroquerie qui dessert les vrais praticiens de médecine ostéopathique… et conduit les patients vers des impasses.
Vidéo : La santé au bout des doigts : la main
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : La santé au bout des doigts : la main