La communication dans l'organisme : la communication nerveuse
La découverte de l’électricité animale:
La mise au point des premiers microscopes, à la fin du XVIIe siècle, constitue le point de départ des recherches consacrées à l’anatomie et à la physiologie neuronale. La nature «irritable» du nerf fut mentionnée pour la première fois en 1665 par le biologiste et microscopiste hollandais Jan Swammerdam (1637-1680). Dans une publication consa¬crée à la grenouille, il écrivait: «[…] si vous maintenez un muscle par chacun des tendons, et que vous irritez le nerf afférent avec des ciseaux ou tout autre instrument, le muscle retrouvera le mouvement initial qu’il avait perdu. Vous verrez qu’il se contractera immédiatement et tirera sur les mains qui tiennent les tendons […].» En 1717, la première observation histologique d’une fibre nerveuse fut réalisée par le hollandais Antoni von Leeuwenhoek (1632- 1723), à l’aide d’un microscope de sa fabrication.
Quelques années plus tard, en 1733, le naturaliste et physicien anglais Stephen Haies (1677-1761) fut le premier à soupçonner l’implication de l’électricité dans les phénomènes neuromusculaires. Mais c’est avec le physicien et médecin italien Luigi Galvani (1737-1798) qu’une étape importante fut franchie. Ce dernier publia, en 1791, son œuvre majeure, De viribus electricitatis in motu musculari commentarius, qui rassemblait plus de dix années de recherches consacrées aux effets de l’électricité sur des préparations nerf-muscle de grenouille. Son affirmation selon laquelle l’électricité impliquée dans la contraction musculaire avait une origine animale fut le point de départ d’une âpre contro¬verse qui l’opposa à son compatriote physicien Alessandro Volta (1745-1827), inventeur de la pile électrique. Celui-ci, bien que convaincu de la sensibilité du nerf et du muscle à l’électrisation, affirmait que ces deux organes étaient dépourvus d’électricité intrinsèque, persuadé qu’il était que l’électricité ne pouvait naître que du contact entre des métaux de nature différente. C’est dans ce contexte que, dans les dernières années du XVIIIe siècle, Galvani produisit plusieurs Luigi expériences qui démontrèrent l’existence d’une «électricité animale».
Les expériences de Galvani (1792, 1794 et 1797):
Galvani prélève une patte de grenouille avec son nerf sciatique. La patte trempe dans un récipient rempli d’eau salée et l’extrémité du nerf dans un autre. Quand Galvani établit, grâce à un morceau de papier humide ou à un fragment de muscle, un contact entre les deux récipients, il observe la contraction de la patte de grenouille.
C’est avec cette première expérience que Galvani soutint, face à Volta, sa théo¬rie de la « contrazione senza métallo », c’est- à-dire de la contraction musculaire sans métal. Il réussit en effet, avec ce montage expérimental, à provoquer la contraction de la patte de grenouille uniquement à partir d’éléments d’origine animale, d’eau salée et de papier. Ces résultats peuvent être interprétés, à la lumière des connais¬sances actuelles en neurophysiologie, comme la conséquence du déséquilibre ionique provoqué, au niveau du nerf scia- tique, par l’immersion dans la solution de NaCl: dans un milieu extérieur plus concentré en ions Na+ que la normale, la membrane cellulaire des axones constitu¬tifs du nerf se dépolarise, générant ainsi un courant électrique qui se propage jusqu’au muscle.
Le physicien italien, qui, depuis 1786, a observé à de multiples reprises, la contrac¬tion des pattes de grenouille au moyen de différentes machines électriques – et même, par temps d’orage, d’un paratonnerre- conclut à l’existence d’un courant électrique parcourant le nerf et donc à une irritabilité nerveuse d’origine électrique. Cependant, Galvani ne considère pas son expérience de 1792 comme suffisamment probante, car elle met en jeu des éléments de nature différente.
Le montage expérimental est amélioré en 1794, en utilisant le nerf sciatique lui-même pour fermer le circuit électrique. Une contraction musculaire est observée dès que la section du nerf sciatique est appliquée à la surface du muscle. Pour Galvani, l’origine de la contraction ne peut être le fait que des seuls éléments anatomiques en présence, c’est- à-dire le nerf et le muscle, ce qui renforce sa théorie de l’existence d’une électricité animale.
Alessandro Volta objecte néanmoins que la contraction musculaire peut être due au contact anormal entre les deux organes…
Ce n’est qu’en 1797 que Galvani met au point une expérience capable de résister définitivement aux critiques de Volta. Pour cela, il utilise deux préparations nerf-muscle de grenouille, de manière à ce que seuls les nerfs soient en contact l’un avec l’autre. Si ce montage expérimental ne correspond évidemment pas aux relations anato¬miques observées in situ entre le nerf et le muscle, il présente néanmoins pour avantage de mettre en contact deux organes de nature identique: les nerfs. Galvani décrit son protocole expérimental :
«Je pliai le nerf de l’une des pattes à la façon d’un petit arc, ensuite je soule¬vai le nerf de l’autre avec la baguette de verre usuelle, la laissai tomber sur cet arc nerveux, en faisant attention à ce que ce nerf dans sa chute touchât en deux points l’autre nerf courbé en arc et que l’extrémité sectionnée de celui- ci fut l’un des deux points. »
Dès que le contact est établi, la contrac¬tion des deux pattes est observée. Comme seuls les deux nerfs sciatiques ont été mis au contact l’un de l’autre, ce sont bien ces nerfs qui sont à l’origine de la contraction de leur muscle respectif. Une électricité «animale» les parcourt donc, ce que Volta continuera néanmoins à réfuter malgré la rigueur du protocole expérimental de son confrère.
Luigi Galvani, quant à lui, n’a pas compris toute la portée scientifique de cette expérience fondamentale. Le physi¬cien avait en réalité mis en contact la surface intacte d’un nerf, c’est-à-dire le milieu extracellulaire des axones, avec leur milieu intracellulaire, exposé par la section transversale du nerf.
Cette expérience de Galvani, démontre, bien au-delà de la réalité de l’électricité «animale», l’existence d’une différence de potentiel entre les deux faces de la membrane axonale – c’est elle qui est à l’origine de la contrac¬tion observée dès que le circuit est fermé grâce au nerf sciatique de la seconde patte. Cette différence de potentiel est due à la composition ionique différente du milieu intracellulaire et du milieu extracellulaire.
La mort du physicien le 4 décembre 1798, mais aussi l’immense succès que remporta Alessandro Volta avec la présentation de sa pile électrique, le 20 mars 1800 devant la Royal Society of London, tout cela fait que les travaux de Galvani sur l’électricité animale demeureront relativement ignorés de la communauté scientifique de l’époque et ce, jusqu’au milieu du XIXe siècle.
D’autres étapes clés:
Le botaniste, géologue et explorateur allemand Alexander von Humboldt (1769- 1859) poursuit les expériences de Galvani sur de nombreuses espèces animales, comme sur lui-même, se causant même de sévères brûlures. Von Humbolt comprend en outre que les nerfs sont importants dans la perception sensorielle et que des substances telles que les opiacés peuvent moduler leur activité électrique. Il publie ses observations en 1797 dans un ouvrage intitulé Experiments on the excited muscle and nerve fiber.
La confirmation de la nature électrique du « fluide » parcourant le nerf est apportée en 1828 par Leopoldo Nobili (1734-1835), un physicien de Florence qui met au point un appareil – un galvanomètre – suffisamment sensible pour enregistrer des courants de faible intensité. En reprenant l’expérience de Galvani de 1792, Nobili mesure ce qu’il appelle «corrente di rana» (un courant de grenouille) ou «corrente propria», c’est-à-dire un courant électrique intrinsèque au nerf.
En 1842, le physicien italien Carlo Matteucci (1811-1868), qui s’était auparavant intéressé au contrôle nerveux de l’organe électrique de la torpille, réalise chez la grenouille l’expérience suivante :
« Préparez rapidement la cuisse d’une grenouille, en y laissant le nerf attaché ; placez ce nerf sur les cuisses d’une autre grenouille préparée à la manière ordinaire. Si alors vous obligez cette seconde grenouille à contrac-ter ses muscles, soit au moyen d’une excitation électrique, soit par tout autre moyen, au moment où la contraction musculaire aura lieu, on verra se contracter également les muscles de la jambe de la première grenouille.»
Matteucci démontre pour la première fois que la contraction d’un muscle peut déclencher, par l’intermédiaire d’un nerf, la contraction d’un autre muscle. Il nomme ce phénomène « contraction induite ». Comme le physiologiste du XXIe siècle l’aura compris, Matteucci a décou¬vert que la contraction du muscle est la conséquence d’une dépolarisation de la membrane des cellules musculaires, dépolarisation qui, dans l’expérience du physicien italien, se propage au nerf.
Hermann von Helmholtz (1821-1894), physiologiste et acousticien allemand, réalise en 1850 la première mesure de la vitesse de conduction de ce que les physiologistes nomment, en ce début du XIXe siècle, «courant de nerf» ou «irritation nerveuse » (le nerf était à l’époque considéré comme un organe « irritable » ; au XXe siècle, le terme « stimulation électrique » sera préféré à « irritation » et le tissu nerveux sera qualifié d’« excitable ») :
« J’ai trouvé qu’il faut à l’irritation nerveuse, pour arriver du plexus sciatique au muscle gastrocnémien d’une grenouille, un espace de temps qu’il n’est pas trop difficile d’évaluer. […] Voici les chiffres de mes expériences. La distance entre les points irrités du nerf étant de 50 à 60 millimètres, l’irritation nerveuse a mis à parcourir cet espace 0,0014 à 0,0020 seconde (60 millimètres parcourus en 0,0014 de seconde reviendraient à peu près à 43 mètres par seconde; 50 millimètres en 0,0020, à 25 mètres par seconde).»
De la fin du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle, les progrès de la neuro¬physiologie vont de pair avec la sophistication des appareils de mesure. C’est ainsi que l’invention, par le physiologiste allemand Julius Bernstein (1839-1917), du «rhéotome différentiel» – un dispositif qui allie, dans une même machine, un stimulateur électrique et un enregistreur de courant – permettra à ce scientifique d’enregistrer, en 1868, le premier potentiel entre la surface et une section transversale du nerf. En l’absence de toute stimulation électrique, Bernstein observe ce qu’il nomme le «potentiel initial» et qui prendra ensuite le nom de «courant de repos» d’une valeur de 60 mV environ. Lorsque, avec le même appareillage, le physiologiste stimule le nerf, il observe une fluc¬tuation négative (negative schwankung).
Par la suite, pendant plusieurs dizaines d’années, les enregistrements électrophysiolo¬giques sont réalisés après stimulation électrique d’un nerf – intact ou dont une extrémité est lésée – placé sur deux électrodes réceptrices. Avec un nerf intact, les tracés obtenus, appelés « courant d’action », sont biphasiques et décrivent en fait les variations de poten¬tiel enregistrées par les électrodes qui sont atteintes l’une après l’autre par l’onde de dépolarisation qui parcourt la surface du nerf. Il faudra attendre les années 1930-1940 et les travaux de Hodgkin et Huxley pour que la neurophysiologie accède enfin au niveau cellulaire, c’est-à-dire à l’enregistrement des potentiels de repos et des potentiels d’action au niveau de la membrane de l’axone.
Le terme «neurone» est utilisé pour la première fois en 1891 par Wilhelm von Waldeyer (1836-1921), qui est à l’origine de l’idée selon laquelle cette cellule est l’unité structurale et fonctionnelle du système nerveux. Le terme «dendrite» est proposé en 1889 par Wilhelm His (1863-1934) et le terme «axone» en 1896 par Rudolph Albert von Kôlliker (1817-1905).
Vidéo : La communication dans l’organisme : la communication nerveuse
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