Etre déprimé ou fatigué?
vont souvent de pair, mais elles peuvent aossi exister indépendamment l’une de l’autre. Si parfois la fatigue chronique cache une dépression, certaines personnes sont déprimées mais non fatiguées, alors que d’autres présentent un état de fatigue sans être tristes. Pour comprendre ce qui les différencie, il faut penser la fatigue et la dépression en lien avec le fonctionnement psychique.
Chez le déprimé fatigué, la douleur morale domine le tableau des symptômes. Elle s’accompagne d’images mentales, preuve que le fonctionnement psychique est chez lui de bon niveau. Si sa capacité d’élaboration mentale connaît certaines difficultés, celles- ci sont dues à l’action des mécanismes de défense mis en œuvre pour éviter les sentiments et pensées difficiles. La tristesse envahissante et la culpabilité écrasante peuvent entraver le plaisir pris au repos, ce qui empêche l’individu de reconstruire ses forces corporelles : c’est alors qu’il accumule de la fatigue. Le déprimé qui s ignore et qui met de 1 avant sa seule fatigue physique présente, au contraire, peu d’images mentales et, par conséquent, éprouve de la difficulté à se laisser aller dans la détente propice au sommeil et à 1 activité onirique. En proie à un surplus de tension, son organisation psychosomatique dominée par l’activité et le comportement ne suffit pas à la tâche, d’où l’accumulation de fatigue.
Entre ces deux extrêmes
la souffrance intérieure peut s’exprimer moralement et physiquement dans des proportions variées. Plus la personne s’approche du ressenti psychique de son malaise, meilleur est le pronostic, parce que le travail de psychothérapie peut compter sur les bonnes capacités mentales pour comprendre les raisons de la fatigue. À l’inverse, l’insensibilité au malaise psychique qui signe la défaillance de l’imaginaire rend plus difficile un travail de la pensée pour cerner les causes de la souffrance. Chez ces individus, 1 épuisement des forces corporelles constitue un terrain propice à 1 apparition de maladies physiques, d’où le fait que, chez eux, la fatigue chronique s’accompagne souvent de divers maux physiques. L accompagnement psychothérapeutique de ces personnes vise d’abord l’atteinte d’une plus grande sensibilité aux aspects psychiques de leur souffrance afin de relancer une activité mentale étouffée. Je donne en exemple le travail fait avec un homme venu me consulter à la suite des recommandations de son médecin. Âgé de 58 ans, il occupait jusqu’à
poste important dans un organisme public. Il avait toujours été un bourreau de travail et n’avait jamais su prendre plaisir à quelque activité de loisir que ce soit. Mis à la retraite prématurément sans y avoir été préparé, il a d’abord réagi par une fatigue persistante derrière laquelle son médecin a pu diagnostiquer une dépression masquée. Puis, des douleurs lombaires sans cause médicale ont fait leur apparition. Cet homme ne faisait aucun lien entre sa fatigue, ses douleurs physiques et son état dépressif. Il considérait plutôt sa grande lassitude comme la conséquence de sa lombalgie. La psychothérapie a consisté à attirer son attention sur la fluctuation de l’intensité de ses douleurs en lien avec les pensées dépressives qui l’assaillaient au cours de la journée, l’incitant ainsi à s y arrêter. Cela l’a conduit à parler de la dévalorisation ressentie quand on l’a forcé à quitter son emploi, de sa peur de se retrouver inactif devant un vide à combler, de sa hantise de la vieillesse et de la mort. Sa souffrance a pu retrouver ses racines psychiques et les douleurs lombaires se sont résorbées. Le partage de son état dépressif en lien avec sa mise à la retraite l’a aidé à le tolérer, ce qui a permis l’émergence de souvenirs. Il a réalisé qu’il avait inconsciemment associé la retraite à la mort, parce que ses père et grand-père étaient décédés quelques jours à peine après avoir perdu leur emploi de manœuvres. Peu à peu, l’énergie lui est revenue et il a commencé à cultiver de nouveaux champs d’intérêt auxquels le travail l’avait empêché d’accorder du temps et de l’importance.