Du champ a l'assiette, des circuits plus court
Lorsque l’activité agricole se limite à la production des matières premières, elle n’est viable que grâce aux subventions étatiques, ce qui équivaut à faire payer de façon indirecte le prix de la nourriture aux citoyens. La dévalorisation des matières preIteies est devenue excessive, si bien que celles-ci représentent faible pourcentage de la valeur des produits alimentaires exemple environ 5 % du prix du pain. Même pour les fruitset légumes non transformés, souvent moins de 30 % du jix de vente sont destinés à la rémunération des agriculteurs.
La préservation du revenu des agriculteurs peut passer ainsi par une meilleure valorisation de la production agricole, d’où la nécessité de promouvoir des nouvelles techniques de transformation et de distribution, et de mettre en exergue la qualité des aliments produits par ce créneau. Cette évolution de l’activité agricole vers la fourniture d’aliments serait une très bonne solution pour vivifier la ruralité, mais aussi pour garantir la qualité gastronomique et nutritionnelle des produits.
En fait, ce qui a limité la participation des agriculteurs au processus de production et de distribution alimentaire est leur inclination à s’occuper préférentiellement des affaires de la terre et leur manque d’enthousiasme pour acquérir des compétences nouvelles dans le domaine alimentaire.
Ces verrous peuvent très bien sauter : le savoir-faire technologique en matière de transformation peut être diffusé au niveau du terrain, à l’échelon notamment de nouvelles coopératives à finalité nutritionnelle ou grâce à des initiatives particulières. Beaucoup de produits (pains, yaourts, charcuteries, huiles vierges, etc.) sont moins difficiles à élaborer que le vin et très peu pris en charge par le secteur agricole.
Néanmoins pour retrouver sa vocation nourricière directe, le secteur agricole a souvent été gêné par une absence complète de maîtrise de la distribution alimentaire. Il serait salutaire de concevoir, pour combler le temps perdu, un nouveau système de distribution adapté à la fois à la dispersion des lieux de productions agricoles et alimentaires et aux conditions de vie de nombreux citadins.
Ces problèmes de distribution pourraient être résolus par la mise en place d’un réseau d’agromarchés. Il s’agirait d’un nouveau type de magasins, gérés par des contrats entre consommateurs et agriculteurs, regroupant tous les aliments de base en Provenance des exploitations agricoles (viandes, laits, yaourts, fromages, pains, fruits et légumes, vins, huiles, produits de
erroir). Les nouvelles techniques de gestion informatisées facilite» raient la mise en réseau des régions de production, les relations avec les consommateurs, la sûreté des approvisionnements. progrès technologiques permettraient la prise en charge de produits très instables ou fragiles. Le consommateur aurait la même facilité à faire ses courses dans ce type de magasins que dans d’autres surfaces commerciales habituelles ; même les commandes par Internet et les livraisons à domicile pourraient se développer.
Le modèle actuel de séparation quasi complète entre secteur agricole et secteur agroalimentaire sera sans doute appelé à évoluer vers une meilleure répartition des tâches et des revenus entre ces deux secteurs. Les activités agricoles et artisanales peuvent retrouver un rôle satisfaisant dans la production et la distribution directe des aliments. Le succès d’une telle évolution dépendra de la capacité de ce nouveau secteur à proposer des aliments de meilleure qualité et donc à maîtriser leur valeur nutri- tionnelle. Même issus du terroir, un fromage ou une charcuterie trop salés ou trop gras demeurent imparfaits du point de vue nutritionnel !
Même si les consommateurs ont enfin accès avec une très grande facilité aux produits issus des terroirs, ils n’ont pas nécessairement le goût, le temps ou le savoir-faire pour cuisiner et prendre en charge leurs repas. En dehors des sentiers battus des pizzas et des kebabs, un développement nouveau de petits opérateurs (épiciers, traiteurs de proximité) possédant un bagage suffisant en diététique rendrait un service précieux à la population et contribuerait à la création de nombreux emplois, tout en facilitant l’utilisation des produits frais en provenance des agromarchés. Ces artisans de l’alimentation pourraient être soutenus par les communes, les quartiers pour décliner diverses spécialités culinaires du monde qui rendraient notre paysage alimentaire particulièrement agréable et riche. En remplacement des distributeurs automatiques, il serait bien judicieux d’implanter des boutiques alimentaires dans les lycées afin de prévenir un grignotage de produits sucrés.
Le développement des agromarchés devrait s’appuyer aussi sur des liens étroits et contractuels avec les restaurants, les entreprises de restauration ou les cantines. En retour, la bonne valeur
nutritionnelle des produits proposés jouerait un rôle important ur améliorer la qualité des repas.
Ces circuits d’approvisionnement modernisés, que nous avons ali fiés d’agromarchés, pourraient se développer et compléter les circuits traditionnels de marchés des villages ou des quartiers. Dans un but d’intérêt général, il est vraiment souhaitable de disposer d’un meilleur équilibre entre deux types de circuits alimentaires : un secteur agricole et artisanal pour rapprocher le parcours des aliments de la ferme à l’assiette et un secteur industriel davantage centré sur des technologies de transformation sophistiquées. Il s’agit de favoriser des échanges économiques de solidarité et de complémentarité plutôt que de laisser se développer une économie de pure concurrence, génératrice de désordres écologiques et nutritionnels.
La nécessité de pratiquer un commerce plus équitable s’est imposée à une frange de consommateurs, préoccupés par l’inégalité des échanges Nord-Sud. Curieusement, la même réflexion n’a pas été appliquée à la nature des relations économiques entre les agriculteurs et les autres citoyens. Il est pourtant nécessaire de sensibiliser la population au juste prix des aliments qui permettrait à tous ceux qui les produisent d’en vivre normalement. Dans une société moderne, nous pourrions avoir des boulangeries équitables où la culture du blé, la production de farine et la fabrication du pain auraient rémunéré correctement tous ces professionnels. Il est grotesque de maintenir une pression sur le prix du blé, alors que les 60 à 80 kg par an dont nous avons besoin pour la production de pain ne coûtent que 9 à 12 euros, ce qui représente pour beaucoup moins d’une heure de travail ! On pourrait multiplier des exemples similaires, et il est nécessaire d’assainir cette situation.
Les allers-retours entre ville et campagne
Les liens entre l’agriculture et la société finissent par être fort distendus. La recherche d’un meilleur environnement et le désir légitime d’être mieux nourris peuvent contribuer à rapprocher les citadins des ruraux. Le manque de culture nutritionnelle, la perte du sens de la naturalité dans une frange de plus en plus large de la Population, y compris dans le monde rural, sont devenus malheu-
reusement un constat banal. Mauvaise transmission du savoir-fa^l parental, déstructuration des repas familiaux, influences publicité res diverses ont entraîné des dérives en tout genre. L’acte de bien se nourrir est un savoir-faire complexe. Il n’est pas étonnant qu’en déresponsabilisant les consommateurs, en laissant supposer qu’jj suffit de remplir son Caddie dans un supermarché pour aboutir à un équilibre alimentaire, il en résulte des déviations nutritionnelles maintes fois observées par les diverses enquêtes épidémiologiques.
En fait, le mode d’approvisionnement dans les super- ou hypermarchés crée un écran, une atmosphère aseptisée entre le consommateur et le monde rural. Un produit devient intéressant parce qu’il a une étiquette qui d’ailleurs n’est pas si lisible que cela. Le sang des produits animaux doit être caché, les légumes dépourvus de terre. Il y a une perte évidente de la naturalité des aliments, présence d’un fossé profond entre deux univers, celui de la ville et celui de la campagne qui, en matière d’alimentation, ne se côtoient plus principalement qu’à travers la ressemblance de tous les supermarchés de France, de Navarre, voire d’Europe. De ce point de vue, une autre présentation des aliments, telle qu’elle pourrait être développée dans les agromarchés, plus naturelle, moins emprisonnée dans des emballages polluants, constituerait une évolution favorable.
La nécessité de développer une politique nutritionnelle de santé publique est maintenant perçue de façon consensuelle. Les recommandations habituelles portent sur l’équilibre des apports alimentaires, la maîtrise du statut en minéraux et micronutriments. Cependant, les liens sont de moins en moins établis avec l’activité agricole, comme si le monde de la santé et celui de l’agriculture étaient condamnés à s’ignorer, comme si les aliments provenaient entièrement des manufactures au même titre que les médicaments, comme si leur origine et leur qualité n’avaient pas une influence fondamentale sur le plan de la santé.
Il est évidemment souhaitable d’inverser ces tendances lourdes, de combler le fossé culturel entre les acteurs de la chaîne alimentaire et de la santé, l’ignorance du citadin sur l’origine et le parcours de ses aliments. Une meilleure façon pour le secteur agricole de reprendre pied dans la distribution alimentaire serait de contribuer à rompre l’uniformité actuelle de notre
alimentaire. Il existe en effet de nombreuses façons de ^Egsënter, préparer, semi-préparer les aliments et une diversité alimentaire étonnante pour bien se nourrir, que nous sommes loin d’avoir explorées et exploitées. Les possibilités de diversifier et d’accroître la consommation de fruits et légumes sont notamment considérables dans une société moderne, et un plus grand nombre d’exploitations devraient s’intéresser à ce créneau économique et sociétal pour changer fortement la nature de l’offre, la qualité des produits et les possibilités d’utilisation. Pourquoi les agriculteurs n’auraient-ils pas la responsabilité de la distribution de fruits dans les établissements scolaires ?
Le monde agricole a trop longtemps mis son énergie à produire les mêmes matières premières uniformes, sans se préoccuper de l’utilité nutritionnelle de cet objectif, pourtant pas toujours rentable sur le plan économique. D’un autre côté, les consommateurs doivent également changer d’état d’esprit et acquérir une nouvelle façon d’appréhender la chaîne alimentaire et de bien se nourrir en harmonie avec le monde rural, avec les saisons, et ne pas être seulement fidélisés aux mêmes types de produits transformés. Réussirons-nous notre révolution alimentaire dès le début du xxf siècle, où devrons-nous attendre que la situation nutritionnelle se complique, voire se dégrade pour faire les choix durables les plus sûrs ? Nous avons toutes les cartes pour réussir (en particulier l’information sur la santé), ce qui n’était pas le cas dans le passé. En matière d’alimentation, les évolutions sont lentes, c’est pourquoi le secteur agroalimentaire conventionnel devrait garder longtemps un large monopole dans la gestion alimentaire. Dans ces conditions, il est souhaitable que les procédés de transformation évoluent pour améliorer la densité nutritionnelle des aliments transformés afin de préserver le bien-être et la santé des consommateurs les plus passifs.
La qualité nutritionnelle au-delà des apparences et des labels
Parmi la diversité des notions de qualité, il convient de mettre l’accent à l’avenir sur la qualité nutritionnelle des produits, ce qui suppose qu’elle soit bien connue, bien expliquée et contrôlable.
Certes, la qualité générique de nombreux produits est bien identifiée, mais celle-ci est souvent trop imprécise pour renseigner Wl consommateurs. De plus, le marché abonde d’un très grajJJ nombre d’aliments transformés dont l’identité n’est pas évidente ou d’aliments produits par des techniques nouvelles d’agriculture ou d’élevage. Aussi est-il normal qu’une interrogation récurrente1 des consommateurs se manifeste concernant le caractère bénéfique de ces types d’aliments.
Le moment est donc venu d’essayer d’exprimer la qualité nutritionnelle de tous les aliments. On doit pouvoir à l’avenir indiquer qu’un produit constitué d’ingrédients purifiés est de trop faible densité nutritionnelle, expliquer les différences de composition entre huiles vierges et huiles raffinées, percevoir plus facilement la différence entre un nectar, un jus de fruits clarifié, un jus de fruits presque intégral, une farine de type 55 ou de type 110, connaître clairement les teneurs de sucre ou de composés équivalents, de sel, d’acides gras, être informé que l’essentiel du goût provient d’un ajout artificiel d’arômes.
Le profil nutritionnel des aliments pourrait donc être clairement représenté par trois types de descriptifs, celui du contenu énergétique, celui de la densité nutritionnelle et celui des impacts physiopathologiques.
La description des apports énergétiques semble très simple à décrire, exprimée en fonction de la portion, par 100 g ou par une autre unité, avec une représentation du pourcentage de glucides, lipides, protéines sous forme graphique simple.
Le deuxième descriptif, qui impliquerait une nouvelle réglementation, serait celui de la densité nutritionnelle : il concernerait l’ensemble des composés de la fraction non énergétique dont la teneur serait ramenée à l’apport calorique. Quelques exemples caractéristiques parmi des produits de base (sucre, farine, biscuits) permettraient d’initier le public à cette notion de densité nutritionnelle. Ce paramètre pourrait évidemment être complété par d’autres indicateurs tels que le pourcentage de couverture des apports journaliers recommandés. Puisqu’il est très difficile de faire une description exhaustive des aliments, celle de la densité nutritionnelle concernerait les éléments les plus importants de la fraction non énergétique el éventuellement d’autres composés tels que des acides gras essentiels, des acides aminés peu abondants. Selon les types de produits et pour ne pas aboutir à une information confuse, l’accent pourrait être mis sur quelques éléments caractéristiques, par exemple la teneur en : fibres et magnésium dans les produits céréaliers ; en matières grasses, fer et vitamines B dans les viandes ; en sucres, acides organiques et antioxydants dans les fruits ; en fibres et minéraux dans les légumes ; en polyphénols dans les vins.
Le troisième descriptif pourrait concerner la présentation des propriétés physiologiques, des effets santé ou des risques nutritionnels. Faute de connaissances et de recul suffisants, il n’est sans doute pas nécessaire de présenter systématiquement ce type d’informations. Les diverses allégations nutritionnelles ont un intérêt capital pour les nombreuses filières et elles ne sont parfois ni suffisamment sûres ni bien éclairantes. Dans certains cas, l’intérêt des descriptifs nutritionnels serait de lever les appréhensions du genre « le pain fait grossir », ce qui constitue également un enjeu important. L’idéal serait que chaque type d’aliments bénéficie à l’avenir d’un discours nutritionnel suffisamment clair et étayé, sachant aussi qu’il faut relativiser ce type d’informations pour raisonner en termes d’associations et de régimes alimentaires. À l’inverse, le risque serait de disposer d’allégations seulement pour quelques aliments qui auraient bénéficié d’un fort investissement industriel, ce qui laisserait supposer, par omission, que les autres produits n’ont pas le même intérêt nutritionnel.
Bien que l’accent doive être mis sur la qualité intrinsèque des produits, pour informer et éduquer les consommateurs, d’autres signes de qualité méritent d’être développés en particulier sur les modes de productions agricoles. Actuellement, seul le label agriculture biologique a une signification très forte pour le consommateur. Si l’agriculture durable se développe avec un cahier des charges précis qui fixe les conditions de culture et d’élevage, nécessaires à l’obtention d’une qualité nutritionnelle satisfaisante, il serait intéressant qu’elle bénéficie d’un signe de qualité attestant l’intérêt global de ses productions. En France il existe de nombreux signes officiels de qualité qui permettent de
garantir l’origine et les procédés de fabrication des produits n i semble souhaitable de pouvoir attribuer une qualité nutrition!! nelle à ces produits également pour ne pas créer de confusion 1 dans l’esprit du public.
Créer une dynamique autour DU « SAVOIR bien se nourrir »
En matière d’alimentation, l’essentiel des efforts de recherches a porté sur le développement des productions agricoles et des transformations alimentaires et sur une approche plutôt théorique de la nutrition qui est une discipline très large. La nutrition animale pour son intérêt économique, ou comme modèle physiologique, a été extrêmement approfondie. Par exemple, la digestion des produits végétaux, leurs effets métaboliques ont été beaucoup plus étudiés chez l’animal que chez l’homme. Il est bien sûr plus difficile de travailler sur l’homme. C’est pourquoi l’étude de l’alimentation humaine demeure un champ de recherches très ouvert, surtout si on désire prendre en considération toutes ses dimensions.
Jusqu’à présent, les chercheurs ont réalisé principalement des études épidémiologiques pour comprendre l’impact des facteurs alimentaires sur la santé, avec tous les problèmes d’imprécisions liés aux études de terrain. Finalement bien peu d’expérimentations ont été effectuées chez l’homme avec des types d’alimentations bien définis qui sont loin de reproduire la complexité des situations alimentaires. Malgré ces limites, la problématique nutritionnelle s’est beaucoup éclaircie, et il est possible de progresser rapidement vers un « savoir bien se nourrir » adapté à un très grand nombre de situations alimentaires ou physiologiques.
Néanmoins, l’alimentation humaine n’est pas seulement une affaire de fourniture équilibrée d’énergie et de micronutriments, elle doit être comprise et explorée dans la pratique quotidienne, notamment au niveau de la conduite culinaire. La cuisine est à la fois le fruit d’une longue histoire alimentaire, une sphère complexe d’interactions économiques, culturelles, psychologiques et l’aboutissement d’une chaîne alimentaire particulière. Dans ce
s y est grand temps de réaliser un inventaire des cuisines du onde pour les bonifier en tenant compte des acquis de la nutrition préventive. Les solutions pour bien s’alimenter doivent être étudiées en fonction de ce patrimoine extraordinaire. De nombreux explorateurs, ou des populations migrantes, ont amené avec eux des produits et des savoir-faire et cet état d’esprit semble avoir un peu disparu, ou plutôt, l’essentiel de la migration culinaire est l’exportation par le pays le plus riche, l’Amérique, d’un modèle agroalimentaire dominant que même la France a adopté largement tout en pensant conserver ses spécificités culturelles, ce qui est bien illusoire. Il existe cependant une certaine propension à l’exotisme culinaire, mais cela n’a pas réellement contribué à fournir des solutions de rechange aux modèles alimentaires courants induits par l’offre d’un certain type de produits transformés prêts à l’emploi.
Il serait donc souhaitable d’explorer au niveau scientifique toutes les facettes des cuisines du monde, pour vulgariser tant de procédés remarquables, pour proposer des modifications utiles, pour apprendre à diversifier l’usage de nouveaux ingrédients, pour traiter, combiner, préparer différemment, pour faire des cuisines goûteuses moins tributaires de la disponibilité en produits animaux, pour mieux utiliser des ressources alimentaires peu onéreuses et intéressantes sur le plan nutritionnel. À l’heure de notre extrême richesse scientifique et technologique, nous avons tout simplement ignoré le potentiel et le savoir-faire humain pour résoudre la problématique alimentaire autrement que par l’approche actuelle industrielle bien monolithique. À l’échelon individuel, de nombreuses personnes ont su réaliser, dans leur pratique quotidienne, une synthèse remarquable de ces diverses cultures culinaires sans tomber dans les pièges d’une gastronomie compliquée, élitiste sur le plan du prix de revient et souvent peu diététique.
La restauration collective revêt une importance de plus en plus grande ; en utilisant nos cantines ou d’autres structures de proximité, nous avons la possibilité d’en faire des lieux de synthèse de toute la chaîne alimentaire, d’être exemplaires sur l’origine des produits, les pratiques culinaires, la composition des repas, les prix de revient, les menus types. Dans des restaurants expérimentaux, nous avons l’opportunité de tester de nouveaux
aliments, des procédés technologiques innovants. Avec des moyens de recherches fort modestes, on peut espérer des retom. bées sociétales très positives d’une telle approche.
L’évolution des modes alimentaires et des pratiques culinaires dans les foyers est également un sujet essentiel à étudier si on veut résoudre les problèmes nutritionnels. Beaucoup d’observateurs prévoient une diminution très forte du temps consacré aux préparations culinaires au foyer. Cette tendance est accentuée par une pression importante de l’offre agroalimentaire pour inciter les consommateurs à utiliser le maximum de produits prêts à l’emploi. Les conséquences à long terme de ces nouvelles façons de se nourrir sur le comportement et l’état nutritionnel des consommateurs sont mal connues, mais on a déjà un aperçu plutôt inquiétant des problèmes de santé que cela engendre, en particulier chez ceux qui disposent des moyens financiers les plus faibles pour se nourrir.
Faire la cuisine présente un très grand nombre d’avantages en termes d’économie, de convivialité, de dépenses physiques, de gastronomie, de culture. Créer un environnement alimentaire et sociétal qui incite à se détourner de cette activité n’est pas une action insignifiante. L’abandon de pratiques ancestrales, la perte des liens sociaux tissés autour de l’acte culinaire, la non-prise en charge de soi ou du groupe pour accomplir un acte vital, tisser un lien convivial et affectif, la perte d’autonomie, souvent le recours au grignotage sont autant d’éléments qui doivent nous pousser à être circonspects sur une évolution de l’alimentation qui irait toujours vers la facilité.
Pour montrer que la collectivité prend au sérieux les liens entre qualité alimentaire, art culinaire et nutrition préventive, la création de restaurants pilotes pourrait être une initiative marquante. Ces établissements pourraient être ouverts à un public qui recherche de l’information nutritionnelle et des renseignements pratiques. Les possibilités de communication sur le parcours des aliments de la terre à l’assiette, sur l’impact des facteurs nutritionnels, sur l’intérêt d’utiliser la diversité alimentaire sont très intéressantes, et quel atout de pouvoir le faire dans un cadre chaleureux. Le succès d’une telle initiative d’intérêt général serait assuré avec de faibles moyens.
DU FAST-FOOD AU SLOW-FOOD
La cuisine peut aussi quitter le champ clos des appartements, des maisons ou des restaurants. Jusqu’à très récemment, le climat aidant, les Français et leurs voisins européens ignoraient la tradition du déjeuner dans la rue, et, même lorsqu’il fait beau, les Européens du Sud préfèrent s’installer dans des restaurants, des bistrots, des trattorias ou des comedores plutôt que d’acheter de la nourriture à des vendeurs de rue. À l’époque où les trains et les voitures n’existaient pas, les voyageurs avaient besoin de s’arrêter dans les auberges pour s’y restaurer confortablement. Cependant, avec l’avènement d’un nouveau rythme de vie, la nécessité de gagner du temps est à l’origine de la prolifération de nombreuses formules express dans des bars, des bistrots ou dans des boutiques de rue.
Dans beaucoup de régions du monde, depuis le tout début de l’IIistoire, les cuisines de rue se sont imposées comme la principale forme de restauration. Ce type de consommation est né avec les marchés et les foires qui obligeaient paysans et artisans à s’éloigner de leur domicile.
Au contraire de l’Europe, les pays du Maghreb et du Moyen- Orient, traditionnellement plus nomades, sont adeptes de la cuisine de rue. Dans les places publiques, autour des gares, des marchés, on rencontre beaucoup d’échoppes et de chariots en tout genre qui proposent différents types de sandwichs ou de plats. Plus la ville grouille de vie, plus sont nombreux les étalages, les boutiques ambulantes garnies de tajines, de pommes de terre cuites au four, de plats de légumes, de salades composées, de kebabs, de poissons ou de viandes grillées. En Asie, les étals de nourriture font partie intégrante du paysage oriental. Dans tous ces pays (Thaïlande, Philippines, Inde, Indonésie, Chine) et dans tous les endroits grouillant de foule, les ruelles, les marchés, les bords de route, les gares et les rives, une multitude de vendeurs de rue, à l’aide d’étals improvisés, de chariots et d’autres tricycles, s’ingénient à proposer des formules pratiques, économiques de prêt à manger à base de riz ou de délicieux fruits et légumes. Les restaurants de rue sont aussi très présents en Afrique, en Amérique latine et même dans certains pays industrialisés tels que le Japon.
L’origine du fast-food américain s’est fortement développée à partir des années 1970, mais ce mode de restauration rapide trouve son origine dans les quartiers d’affaires, pour faire man- ger rapidement les businessmen particulièrement pressés. C’est ainsi que le hamburger et les enseignes associées devinrent parmi les symboles les plus forts des États-Unis et envahirent progressivement le monde entier.
Il y a donc à l’évidence une place pour la restauration rapide, pour toutes sortes de restaurations de rue ou de quartier qui permettent de manger près des divers lieux de vie, mais cette nourriture doit être également de qualité, préparée avec des produits frais, et d’une autre nature que ces sandwichs au pain de mie imprégnés de gras et de conservateurs, ou d’autres exemples de « malbouffe ».
Pour signifier leur indignation par rapport aux formules les plus caricaturales de fast-food, un mouvement de protestation est né en Italie sous le nom de « slow-food » afin de souligner l’importance du bien manger et de mettre en valeur un certain hédonisme. Ce plaisir de bien manger ne doit pas rester l’apanage des grands restaurants, il doit aussi envahir les rues où il peut être si bon de consommer des préparations simples, mais de qualité. À cette fin, un meilleur usage des fruits et légumes est indispensable pour que la restauration de rue se démarque à la fois des types de restauration classique et des formules industrielles de fast-food.
Les multinationales de la restauration et de l’agroalimentaire, quelles soient étrangères ou même françaises, ont réussi à détruire en l’espace de quelques décennies tout un pan de patrimoine culturel et culinaire français. Par le développement et la mise en valeur de produits industriels tout prêts, emballés, préparés et très bien commercialisés, les grandes marques de l’agroalimentaire sont parvenues à détourner les Français et les Françaises du plaisir de cuisiner et du plaisir de bien manger. Elles ont dépensé des milliards d’euros vantant les mérites de la femme libérée, affranchie des tâches ménagères et surtout de la cuisine, présentée comme une contrainte et une corvée. Pire encore, les chefs de la restauration ont suivi la même tendance. De nombreux restaurants sont ainsi devenus des ateliers économiques où règne désormais la culture de la cuisine d’assemblage. Les plats préparés, surgelés, les conserves, les sauces et les autres produits alimentaires intermédiaires ont remplacé les produits naturels de nos terroirs que l’on mariait avec passion. Ainsi, de nombreux cuisiniers ne sont plus ¿es artistes au fourneau mais des experts en assemblage de produits industriels semi-préparés, précuits ou prêts à réchauffer.
Dans ces conditions, on ne peut que souhaiter un retour à plus de simplicité, d’authenticité dans les pratiques culinaires, celles des foyers, celles de divers types de restauration pour mettre en valeur une très grande diversité de produits alimentaires de qualité. Sachant que le temps consacré à la cuisine n’est pas plus perdu que bien d’autres temps.
Vidéo : Du champ a l’assiette, des circuits plus court
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Du champ a l’assiette, des circuits plus court
https://www.youtube.com/embed/1uFJKcwkEPU