Des psychothérapies psychosomatiques
Dans ce qui suit, je vais exposer quatre de ces approches. Il en existe plusieurs autres, dont toutes les approches psychocorporelles. Mon choix s’explique par ma connaissance théorique ou pratique des approches retenues et n’implique en rien dans mon esprit leur supériorité. Deux d’entre elles ont retenu mon attention en raison de leur popularité auprès du grand public: la thérapie EMDR, dont l’efficacité pour le traitement des traumatismes a fait ses preuves, et l’imagerie mentale, de plus en plus utilisée dans le traitement des maladies, en particulier des cancers. Je toucherai, entre ces deux approches, quelques mots de l’hypnose, qui permet d’accéder à un état de conscience altéré favorable aux transformations psychosomatiques. Finalement, j’aborderai plus en détail la psychothérapie psychanalytique psychosomatique, qui est ma référence principale en tant que psychothérapeute.
Soigner les traumatismes à l’aide des mouvements oculaires
La thérapie EMDR39 est issue d’une découverte fortuite. Au cours d’une promenade, Francine Shapiro, neuropsychologue, observe qu’elle est devenue indifférente à des pensées perturbantes après qu’elle ait machinalement effectué des mouvements oculaires. Même si cela lui semble plutôt improbable, en bonne chercheuse, elle s’interroge sur ce qui lie ces deux événements. Elle répète l’expérience sur elle-même, puis avec des collègues, et s’aperçoit que cela fonctionne dans la plupart des cas. A partir de cette découverte, elle conçoit une méthode d’intervention qui intègre les mouvements oculaires qu’elle nommera plus tard thérapie EMDR. Depuis, cette technique a fait l’objet de nombreuses recherches rigoureuses menées tant aux États-Unis qu’en Europe. Celles-ci en ont démontré l’efficacité, particulièrement dans le traitement de traumatismes sévères et récents (Roques, 2004).
Il peut paraître étonnant que de simples mouvements des yeux puissent avoir le pouvoir de guérir les symptômes du stress post- traumatique. Pour mieux saisir leur impact, rappelons d’abord en quoi consiste la souffrance de la personne traumatisée. Après un événement imprévu et souvent brutal, la charge émotionnelle soulevée est énorme et les efforts du psychisme pour l’enregistrer en mémoire profonde se butent à des échecs répétés. L’élaboration mentale du traumatisme est impossible parce que l’esprit est incapable de concentrer son attention sur le fouillis d’informations qui ne cessent de le bombarder. Pour faire son travail de liaison, celui- ci a besoin d’être moins stupéfié par l’angoisse et de se centrer sur quelques images simples.
Le protocole EMDR a été conçu pour lui offrir ces conditions. Les images disparates et obsédantes sont inaccessibles à un travail mental parce qu’elles sont trop floues et trop chargées d’angoisse. Le thérapeute va s’efforcer de réduire celles-ci en un objet unique plus concret en demandant à la personne de trouver l’image qui hante le plus son esprit. Il s’assure que celle-ci comporte des perceptions sensorielles afin qu’elle soit bien ancrée dans le corps.
Ensuite, il nomme la fausse croyance qui nuit à l’estime de soi et garde la personne dans un cercle vicieux (par exemple, «c’est ma faute ce qui est arrivé, je n’aurais pas dû faire ceci ou cela… » ou encore «je ne m’en sortirai jamais») Pour soutenir l’espoir et raviver les processus de guérison, il lui demande d’imaginer quelle pensée positive elle aimerait voir à la place de cette fausse croyance (par exemple, «je sais que je n’aurais pu faire autrement» ou encore «j’ai en moi ce qu’il faut pour m’en sortir») La véracité de ces deux pensées est ensuite évaluée et chiffrée. L’émotion ressentie est aussi nommée et localisée dans le corps afin d’attirer l’attention de la personne sur ses sensations physiques. L’ensemble composé de l’image choisie, des deux cognitions et de l’émotion localisée constituent la cible de travail du protocole EMDR. Il peut sembler un peu mécanique, mais il vise à mettre en place les conditions nécessaires au travail de liaison psychique. En effet, le fait de concrétiser et d’objectiver une souffrance envahissante et floue distancie la personne de son angoisse. Comme toutes les images de l’événement sont organisées en réseau dans le cerveau, la représentation unique condense l’événement en entier et elle a l’avantage d’être plus simple à appréhender par l’esprit que le chaos dans lequel il se débat. Une fois la cible trouvée, le thérapeute demande à la personne de suivre des yeux son doigt qu’il va déplacer devant elle en un mouvement de va-et-vient. Après une séance de mouvements oculaires, il lui demande de dire ce qui lui vient spontanément à l’esprit. La plupart du temps, des réaménagements dans la façon de penser se produisent, accompagnés d’une baisse de tension et d’un soulagement de la souffrance. Les séances de mouvements oculaires sont répétées autant de fois qu’il est nécessaire pour que de nouvelles associations se fassent sur le plan tant émotionnel que cognitif, que la tension diminue et que les fausses croyances cèdent la place aux pensées plus adaptées. Pour un traumatisme simple, trois ou quatre rencontres d’environ une heure suffisent habituellement pour retrouver un état de bien- être, et les recherches montrent que ces résultats sont durables. La thérapie EMDR est considérée comme une intervention psychosomatique parce qu’en s’appuyant sur des images et des émotions elle favorise une intégration de l’évènement aux réseaux de la mémoire à long terme. Dans les heures ou les jours qui suivent, des courbatures diverses peuvent apparaître. Selon Roques, elles seraient attribuables au fait que la musculature volontaire connaît une inhibition pendant que le cerveau effectue son travail de liaison, comme c’est le cas pendant le sommeil paradoxal. Les séances déclenchent aussi souvent une recrudescence des rêves nocturnes qui ne se soldent pas en cauchemars, preuve qu’un travail de liaison est engagé.
Que viennent faire les mouvements oculaires dans cette guérison qui semble tenir de la magie ? Certains pensent que ces derniers reproduisent ceux qui se manifestent durant le sommeil paradoxal (SP). À l’appui de cette hypothèse, on souligne que les patients traumatisés ont des phases de SP plus longues que la normale, ce qui témoigne de l’effort accru du cerveau pour régler le problème. En même temps, le stress a un effet inhibant sur les mouvements oculaires nocturnes tandis que les réveils fréquents dus aux cauchemars les interrompent. Les traumatisés ont donc des périodes de SP plus longues, mais moins efficaces. On n’a cependant aucune certitude quant à la véracité de cette hypothèse, d’autant plus que l’expérience révèle que les mouvements oculaires ne sont pas les seuls à pouvoir induire le changement. En effet, des stimulations sensorielles autres appliquées en alternance des deux côtés du corps – comme l’audition de sons alternés, des petites tapes administrées sur les genoux ou les mains – produisent le même effet, ce qui a fait croire plutôt à l’importance d’une stimulation bilatérale, quelle qu’elle soit, plutôt qu’à la nécessité des mouvements oculaires.
Des recherches ont tenté de vérifier cette nouvelle hypothèse40en comparant le protocole classique avec un autre qui inclut tous les aspects de ce dernier, sauf les stimulations bilatérales. Pour les remplacer, les sujets sont plutôt invités à fixer un point ou à faire de l’imagerie mentale. Les résultats de ces études révèlent que l’absence de stimulations bilatérales ne diminue pas l’efficacité de la thérapie. D’autres approches, comme la méthode en ECHO et l’hypnose, n’utilisent aucune stimulation sensorielle et obtiennent des résultats semblables dans le traitement du stress post-traumatique. Ce qu’elles ont en commun avec le protocole EMDR peut nous aider à en saisir l’essence. En effet, avec les trois méthodes, l’attention du patient est attirée simultanément sur la reviviscence actuelle de l’évènement passé et sur l’observation de ce qui se passe d’autre dans le présent (les stimulations sensorielles bilatérales dans la thérapie EMDR; les autres images, sensations ou pensées qui se présentent à la conscience lors de la méthode en ECHO; la concentration sur un objet donné en hypnose). Cette double attention semble déterminante : elle contribue à diminuer l’angoisse et à court-circuiter la volonté et la raison, ce qui facilite le passage en état de conscience altérée. L’efficacité de la thérapie EMDR ne reposerait donc pas sur les mouvements oculaires en soi ni sur les stimulations sensorielles. Celles-ci ne seraient que des astuces techniques pour mettre le patient en position d’attention flottante, condition nécessaire au bon travail de liaison de l’imaginaire. N’importe quoi d’autre qui peut favoriser l’atteinte de cet état de conscience jouerait le même rôle.
Les résultats obtenus auprès des victimes de traumatismes ont fait miroiter l’espoir de pouvoir, avec le même outil, soigner des traumatismes plus complexes et plus anciens. Ici la souffrance n’est pas rattachée à un seul évènement traumatique, mais découle de tout un contexte relationnel et situationnel vécu durant l’enfance, mémorisé à long terme et oublié en grande partie. Ici les ratés de la pensée ne sont pas dus à un processus temporairement bloqué, mais à un psychisme déficient, atrophié, parfois même éteint. Les réseaux de mémoire sont tissés en une trame serrée et complexe où ils se croisent, s’entrecoupent, se contredisent parfois, tout en soutenant l’action des mécanismes de défense. De plus, le développement d’une personnalité, même problématique, représente toujours la solution trouvée par l’individu pour maintenir son équilibre dans un environnement perturbant. L’inciter à changer menace cet équilibre et, en conséquence, il oppose une grande résistance à toutchangement. Pour toutes ces raisons, cibler les problèmes un à un et les traiter comme des entités séparées est une tâche très difficile, voire quasi impossible. Il ne faut pas non plus perdre de vue que la thérapie EMDR est un outil très puissant qui, de l’aveu même de Roques, agit comme un laser tranchant sans que l’on sache vraiment où et comment il va travailler. Quand on veut traiter une personnalité construite sur des bases fragiles, ce scalpel peut à tout moment déclencher une situation de crise et le risque que la personne y reste coincée est bien réel. Le doigté et l’expérience du thérapeute sont ici de la première importance