Débuts de l’alimentation rationnelle : le traitement du scorbut
Le scorbut est une maladie fort ancienne. C’est ainsi qu’un papyrus égyptien daté de 1552 avant notre ère, le papyrus d’Eberg, en fait mention. Plus près de nous, au Moyen Age, le scorbut a sévi lors des croisades et, du milieu du XV siècle jusqu’aux années 1750, il a représenté un véritable fléau pour les navigateurs qui faisaient route vers des terres inexplorées. Les équipages étaient décimés par ce mal qui affaiblissait les marins, déchaussait leurs dents et couvrait leur corps de taches et de pustules. On estime que deux millions de marins sont décédés du scorbut entre 1500 et 1700.
Le premier traitement anti-scorbutique fut tenté lors de la seconde expédition de l’explorateur français Jacques Cartier (1491-1557) au Canada, dont il avait pris possession au nom de François Ier. Au cours de l’hiver 1535, ses navires furent immobilisés dans les glaces près de Stadacona (l’actuel Québec) alors qu’ils remontaient le fleuve Saint- Laurent.
Le scorbut frappa les marins et s’étendit en deux mois à tout l’équipage. L’au-topsie sommaire des premières victimes ne donna que peu d’informations sur l’origine des décès. Des Indiens iroquois embarqués à bord comme interprètes proposèrent d’ad¬ministrer aux malades une décoction d’un arbre qu’ils nommaient «Anneda» (probable¬ment le sassafras, Sassafras albidum), dont ils utilisaient les feuilles comme condiment. Ces soins soulagèrent quelque peu les malades, mais 25 marins sur un équipage qui en comptait 112 trouvèrent finalement la mort.
Par la suite, le traitement des cas de scorbut à bord des navires fut souvent empirique et hasardeux : consommation de viande fraîche, d’oiseaux marins, d’infusions d’aiguilles d’épicéa, mais aussi gargarismes ou potions à base d’acide sulfurique dilué ou de vinaigre. Il faudra attendre l’année 1747 pour qu’un jeune chirurgien de marine de la British Navy, James Lind (1716-1794), réalise le premier essai clinique du traitement du scorbut à bord d’un navire qui croisait au large des Asturies.
L’expérience de Lind (1747):
Le HMS Salisbury, un 50 canons de la British Navy, prend la mer le 7 mars 1747 à Ports¬mouth. Au mois de mai, alors que le navire n’a toujours pas fait escale et que l’on puise sur les vivres embarqués pour nourrir l’équipage, les premiers cas de scorbut apparaissent. James Lind, chirurgien du bord, tente une expérience qu’il relate ainsi:
«En mer, le 20 mai 1747, je pris douze patients atteints de scorbut à bord du Salisbury. Leur état était aussi proche que possible. Ils avaient tous des gencives putrides, des taches sur le corps ; étaient très las et avaient les jambes molles. Ils reposaient tous au même endroit, un local réservé aux malades à l’avant et recevaient la même alimentation, c’est-à-dire : le matin, un gruau à l’eau sucrée ; un bouillon de mouton très souvent pour le dîner ; et les autres fois du pudding, des biscuits bouillis avec du sucre et pour le souper de l’avoine, des raisins, du riz et des groseilles, du sagou [le sagou est une fécule extraite de la moelle du sagoutier, un palmier de l’Asie du sud- est] et du vin. »
James Lind, peut-être inspiré par la lecture du Discours de la Méthode publié en 1637 par René Descartes (1596-1650), constitue pour son expérience six groupes de deux marins. Chacun d’eux reçoit, un régime alimentaire qui ne diffère de celui des autres que par un seul de ses constituants.
Le résultat de l’expérience fut très clair:
« La conséquence fut l’amélioration soudaine et visible de l’état de santé de ceux qui avaient consommé les oranges et les citrons. L’un fut même capable de reprendre du service au bout de 6 jours. Les taches de son corps ne disparurent pas, ses gencives ne furent pas plus robustes ; mais sans aucune autre médecine qu’un gargarisme au vitriol, il recouvra presque sa bonne santé avant que nous n’atteignîmes Plymouth le 16 juin. L’autre fut le plus rétabli de tous, et fiat désigné comme infirmier auprès des autres malades […].»
James Lind établit donc une relation entre la consommation d’oranges et de citrons * une part, et la guérison du scorbut d’autre part. Il cherchera ensuite à mettre au point un traitement du scorbut plus facile à conserver à bord des navires que les agrumes frais. I1 poursuivra ainsi ses recherches en confectionnant des extraits secs à partir de jus d’oranges et de citrons bouillis.
Vidéo : Débuts de l’alimentation rationnelle : le traitement du scorbut
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