Crénothérapie et affections digestives
Un grand nombre d’indications classiques (lithiases biliaires, hépatites iriles . cirrhoses alcooliques compensées, hernies hiatales, reflux gastro-Ophagien. ulcères gastro-duodénaux) [2] ne constituent plus aujourd’hui que de rares indications du thermalisme en raison de l’existence de thérareutiques souvent efficaces et spécifiques.
Pendant, la crénothérapie reste indiquée dans certaines affections digestives chroniques à composantes fonctionnelle et psychosomatique, regroupées sous les termes de troubles fonctionnels intestinaux (TFI) et de pepsie. Le séjour en milieu thermal peut alors s’insérer dans la prise en ;rare de thérapeutique à long terme de ces patients.
Encore faut-il que cette indication thérapeutique du thermalisme fasse objet d’une évaluation sérieuse conforme aux règles de la médecine factuelle (evidence-based medicine) malgré les difficultés méthodologiques inhérentes à l’évaluation de ce type de thérapeutique non médicamenteuse.
Cette évaluation doit se concentrer, moins sur l’effet thérapeutique de telle ou telle eau minérale que sur l’efficacité globale et surtout l’utilité de la cure (eau + soins associés) appréciées au long cours. Ce qui revient à abandonner la notion d’indication de soins thermaux en fonction de la nature chimique de l’eau minérale (comme il était classique de le faire en France), mais plutôt à envisager l’indication principalement en fonction les prestations d’ensemble de la station thermale concernée.
faits et niveaux de preuves des Crénothérapie
Le concept des eaux purgatives issu de ceux développés au XIX siècle caractérisant une eau minérale à action digestive comme dissolvante, purga- tive et diurétique marque encore la classification des stations thermales, reconnues par les propriétés pharmacodynamiques digestives de leurs eaux, telle qu’elle est encore proposée dans le Vidal [18], Il est ainsi possible de distinguer trois types d’eaux purgatives, les eaux chlorurées (Balaruc, Bour- bonne-les-Bains en France, Wiesbaden en Allemagne), les eaux sulfatées sodiques (Châtel-Guyon en France, Carlsbad et Marienbad en République tchèque), les eaux sulfatées magnésiennes (Huneyadi Janos en Hongrie, Ftilna en Allemagne). La littérature scientifique des 50 dernières années constitue le reflet de ce concept.
Plusieurs travaux [4, 9] font état chez l’animal d’une activité stimulante des eaux minérales sur le tube digestif. Quant aux études cliniques rétrospectives pectives [13], elles ont surtout un intérêt épidémiologique en l’absence de critères de jugement objectifs reconnus pour les affections concernées.
Il faut attendre 1988 pour trouver dans la littérature internationale une étude randomisée en double aveugle [8] s’intéressant à l’effet de l’eau minérale bicarbonatée calcique comparée à l’eau de la ville chez les patients souffrant de gastrites et de duodénites.
Récemment en 1998, J. Vatier [16] a démontré et quantifié le pouvoir antiacide des eaux minérales de Vichy-Saint-Yorre et de Vichy-Célestins. En effet, ces eaux sont très riches en bicarbonates (4 368 mg/L d’ions COII pour la première et 2 989 mg/L d’ions C03H pour la seconde) à une concentration suffisante pour avoir un effet antiacide. Cette étude réalisée in vitro sur un modèle
«estomac-duodénum artificiels» déjà validé par les auteurs 117] a permis de préciser la résistance à l’acidification respectivement produite par la dilution du contenu gastrique par un verre d’eau, la plus importante pour Vichy-Saint-Yorre, et celle moindre liée à la concentration en bicarbonate des eaux de Vichy-Célestins. L’effet antiacide total de ces eaux bicarbonatées est comparable à celui des principaux médicaments antiacides, et diffère statistiquement de celui obtenu pour une eau faiblement minéralisée en ions bicarbonates telle que l’eau minérale Charrier. Ces faits apportent une base scientifique aux constatations empiriques de l’effet bénéfique des eaux minérales riches en bicarbonates sur la dyspepsie, mais il faut cependant rester prudent quant à recommander l’eau minérale de Vichy-Saint-Yorre ou Célestins comme traitement systématique dans le pyrosis post-prandial et/ou le reflux gastro-œsophagien. En effet, cette étude expérimentale in vitro devrait être confirmée par des études cliniques contrôlées. En outre, sachant que ces deux eaux contiennent respectivement I 708 mg d’ions Na+/L (pour Vichy-Saint-Yorre) et I 172 mg d’ions NaVL (pour Vichy-Célestins), cet apport de sel quotidien doit être pris en compte en cas de pathologie associée (hypertension artérielle, cirrhose…).
D’autres études soulignent l’action purgatrice, douce et efficace de l’hydro- thérapie interne mais aussi externe par le biais de l’entéroclyse. Cette dernière technique peut être dangereuse en raison de la perte en électrolytes qu’elle occasionne et de la nécessité de la présence de matières fécales dans le côlon pour une physiologie normale de la motricité colique.
D’où la nécessité de respecter trois impératifs dans les études à conduire :
– bien définir le cadre nosologique étudié, celui des troubles fonctionnels digestifs;
-évaluer non seulement l’eau en tant que médicament mais l’ensemble des soins réalisés dans la station thermale (techniques de relaxation, techniques diététiques…) sur une période d’au moins un an;
– réaliser des études contrôlées essentiellement cliniques pratiquées par des équipes pluridisciplinaires associant médecins thermaux, médecins gastro-entérologues et médecins généralistes.
Répondre à ces impératifs permettra de préciser les indications actuelles du thermalisme dans les affections digestives |6, 7],
Une étude basée sur une bonne méthodologie [3] a évalué le bénéfice des cures thermales à Châtel-Guyon sur la qualité de vie (QdV) de patients souffrant de colopathie fonctionnelle.
Cette étude visait à évaluer chez 200 colopathes curistes à Châtel-Guyon, 200 colopathes non curistes de la région d’Auvergne et 200 témoins de la région d’Auvergne également, l’efficacité des cures thermales à Châtel- Guyon sur la qualité de vie et de comparer les bénéfices respectifs du traitement «cure thermale» et du traitement «conventionnel » à 6 mois.
Les TFI étaient définis selon les critères de Rome [14]. La qualité de vie (QdV) était évaluée par deux questionnaires: l’un «général», le SF 36, applicable à toute maladie, l’autre plus spécifique s’intéressant à l’organe cible. Ce questionnaire SF 36, validé aux États-Unis et en France, comporte 36 questions couvrant 9 chapitres, et regroupe en fait 2 scores composites, l’un consacré à l’activité physique, l’autre à l’activité mentale. Le questionnaire spécifique (QS) comporte 53 questions, 8 dimensions, 1 scorc global et s’intéresse au vécu des patients. Les 200 colopathes curistes (C) et les 200 colopathes non curistes (NC), appariés pour l’âge, le sexe et la région d’origine, ont été sélectionnés sur la base d’un interrogatoire médical et ont répondu aux deux questionnaires de qualité de vie (QdV) en début d’étude (MO), I mois après la cure (Ml) et 6 mois plus tard (M6). Les NC étaient suivis par leur médecin de façon traditionnelle, les curistes bénéficiaient du séjour en milieu thermal, des techniques d’hydrothérapie externes (douche…), des conseils diététiques…; 200 sujets sains (T) servaient de témoins et répondaient aux questionnaires de qualité de vie en début d’étude.
Les résultats montrent qu’à l’entrée de l’étude les curistes ont une qualité de vie moindre que celle des non-curistes, et très inférieure à celle des témoins (p < 0,01). A 1 mois, l’amélioration de la qualité de vie des curistes porte sur l’ensemble des dimensions explorées par le SF 36 (p < 0,01) et sur 6 des 8 dimensions du questionnaire QS (p < 0,01). A 6 mois, l’amélioration de la qualité de vie est moindre qu’à 1 mois, mais reste, significative pour les curistes sur les scores physiques et mentaux et sur le score global (p < 0,02). Elle n’est significative pour les non- curistes que pour le score global du questionnaire spécifique.
Un séjour thermal à Châtel-Guyon est donc aussi efficace que la prise en charge conventionnelle avec une significativité beaucoup plus nette si l’on compare l’évolution des scores curistes et non curistes entre le début de l’étude et à 6 mois.
Une difficulté d’appréciation réside dans le caractère variable de l’évolution clinique des TFI [ 1 ], affections au cours desquelles le placebo est efficace chez la moitié des malades environ.
Des évaluations économiques sont nécessaires d’autant que la modicité des frais entraînés par le séjour thermal constitue un argument supplémentaire
de prescription quand on connaît les coûts induits par les dyspepsies et les TFI (de l’ordre de 5 000 à 20 000 F/an et par malade [10]).
Indications des Crénothérapie
Elles découlent de ce qui vient d’être rapporté.
Il ne reste aujourd’hui que peu d’indications du thermalisme dans la plupart îles affections organiques du tube digestif qui bénéficient souvent de progrès thérapeutiques (ulcère gastro-duodénal, reflux gastro-œsophagien, gastrite…). Nous avons vu cependant que l’utilisation de l’eau bicarbonatée dans le traitement symptomatique du reflux gastro-œsophagien pouvait être envisagée, en prenant soin de tenir compte de la richesse de ces eaux en ions sodium.
En revanche, les TFI et les dyspepsies peuvent bénéficier d’une prise en charge thermale multidisciplinaire lorsque aucun traitement ne s’est révélé efficace, cas fréquent au cours de cette maladie qui touche un grand nombre de patients : 25 à 60% de la population [7, I2|. L’approche thermale est justifiée par la multiplicité des hypothèses physiopathologiques [151 qui associent :
troubles de la motricité, profil psychologique particulier, facteurs inflammatoires coliques et troubles de la sensibilité viscérale. Ce dernier mécanisme pourrait justifier l’utilisation de l’eau thermale chaude et de ses dérivés en application externe telle que pratiquée à Plombières.
Les signes digestifs d’accompagnement des migraines (nausées, vomissements, pesanteur…) seraient, pour certains, améliorés par la crénothérapie III.
Certaines affections hépatiques ont représenté longtemps une indication traditionnelle appuyée sur l’expérience clinique mais aussi sur des travaux de physiologie animale : ceux-ci ont mis en évidence une activité de l’eau de Vichy sur les peroxydases et les cytochromes hépatiques, une action cholérétique et un accroissement de la sécrétion pancréatique externe chez l’animal 15]. Cependant, aucune étude clinique probante ne semble avoir été à ce jour entreprise pour conforter cette indication.
Contre-indications des Crénothérapie
Elles sont essentiellement représentées par les maladies intestinales inflammatoires : maladies de Crohn et rectocolite hémorragique en poussée comme en rémission. Leur traitement est spécifique, faisant appel aux corticoïdes, aux anti-inflammatoires dérivés de la salazopyrine et si nécessaire aux immunosuppresseurs. Contrairement à une opinion répandue, nous pensons que les maladies intestinales inflammatoires en rémission ne sont pas une indication du thermalisme, aucune étude clinique n’ayant démontré une quelconque influence du séjour thermal sur la prévention des rechutes, souci constant au cours de ces affections chroniques.
Bien sûr, tout état pathologique aigu, septique, néoplasique ou s’accompagnant cl’immunodépression est une contre-indication. D’où la nécessité d’un bilan clinique voire paraclinique (endoscopique notamment) préalable à toute indication de cure thermale afin d’éliminer toute pathologie organique.
Non-indications des Crénothérapie
Toute affection digestive identifiée comportant un traitement efficace est une non-indication : il en est ainsi de la plupart des affections bilio- pancréatiques et hépatiques sauf clic, certains malades mal améliorés par les autres traitements.
Principales stations thermales et techniques spécifiques des Crénothérapie
Les principales stations ayant comme orientation dominante la crénothérapie des maladies de l’appareil digestif sont :
– Alet-les-Bains (Aude), située à 200 m d’altitude : les sources sont des eaux chaudes bicarbonatées calciques et magnésiennes indiquées dans les troubles fonctionnels intestinaux;
– Barbazan (Haute-Garonne), située à 450 m d’altitude, caractérisée par des eaux sulfatées calciques, magnésiennes et pauvres en sodium, indiquées dans les troubles fonctionnels intestinaux. Il en est de même des stations qui suivent;
– Le Boulou (Pyrénées-Orientales), située à 80 m d’altitude, possède des eaux bicarbonatées sodiques, calciques et magnésiennes, riches en oligo-éléments (Cu, Fe, Ni, Mn, Al, Fl), carbogazeuses à une température de 16 °C;
– Capvern-les-Bains (Hautes-Pyrénées), située à 450 m d’altitude : cette station possède des eaux calciques et magnésiennes, qui émergent à 23 °C ;
– Castera-Verduzan (Gers) possède des eaux issues de sources sulfatées calciques, magnésiennes et radioactives (0,65 millicuries) ;
– Châtel-Guyon (Puy-de-Dôme) est située à 450 m d’altitude; elle possède les eaux les plus riches en magnésium avec une forte teneur en silice, carbogazeuses et mésothermales; c’est la station la plus réputée pour le traitement des troubles fonctionnels intestinaux ;
– Plombières-les-Bains (Vosges), située à 450 m d’altitude, possède des eaux hyperthermales radioactives faiblement minéralisées, également fort réputées dans le traitement des troubles fonctionnels intestinaux ;
– Santenay-les-Bains (Côte-d’Or), située à 200 m d’altitude, possède des eaux chlorurées sodiques, riches en lithium; elles sont froides. Fille a clé fermée en 1997 ;
– Vichy (Allier), située à 265 m d’altitude, possède des eaux bicarbonatées sodiques carbo-gazeuses riches en oligoéléments.
Les stations suivantes ont la crénothérapie de l’appareil digestif comme deuxième orientation, leur orientation principale étant la suivante :
– Capvem-les-Bains (Hautes-Pyrénées) : appareil urinaire;
– Contrexéville (Vosges) : appareil urinaire;
– Évian-les-Bains (Haute-Savoie) : appareil urinaire;
– Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) : appareil urinaire;
– Vittel (Vosges) : appareil urinaire.
Techniques spécifiques des Crénothérapie et affections digestives
Dans les stations précitées, les techniques thermales utilisées sont surtout des soins d’hydrothérapie externe qui sont le plus souvent, à l’instar de ce qui est réalisé par exemple à Plombières-les-Bains, dans les Vosges :
– le bain thermal, en cabine individuelle, à la température de 36-37 °C, d’une durée de 10 à 20 minutes ;
– la douche sous-marine, pratiquée dans le bain par le curiste à l’aide d’un pommeau de douche, à la température de 40 °C sur la paroi abdominale dans les 5 dernières minutes du bain ;
– la compresse à eau courante, réalisée également dans le bain sur la paroi abdominale, à une température de 40-42 °C dans les 5 dernières minutes du bain ;
– les douches générales données par le soignant à la sortie du bain sur l’ensemble du corps du curiste : la douche Tivoli, au jet brisé ou à la pomme selon l’effet désiré, douche oblique à fort débit;
– le cataplasme abdominal en tissu imprégné d’eau thermale, appliqué sur l’abdomen, d’une durée de 20 à 30 minutes.
La cure interne, constituée par la prise de boisson dont la quantité, la posologie et les modalités de prises journalières sont fixées par le médecin thermal, n’est pas scientifiquement validée dans le traitement des TFT. Il en est de même des irrigations forcées et des techniques de goutte-à-goutte d’irrigation colique, réalisées dans le but de provoquer un «décapage» de la muqueuse intestinale. En outre, ces techniques, qui ne s’appuient sur aucun argument physiopathologique convaincant, ne sont pas sans danger, exposant notamment à des risques de pertes électrolytiques.
Le séjour en station thermale doit être utilisé comme un espace-temps privilégié qu’il convient de mettre à profit pour prendre en charge le retentissement psychosomatique de ces TFT.