Comportement alimentaire : Aspects psychologiques
Conduites alimentaires
En psychologie, le mot « comportement » doit être pris en référence au béhaviorisme. 11 caractérise l’ensemble des réactions adaptatives, objectivement observables, que l’organisme, pris comme un tout, produit en réponse aux stimuli provenant du milieu intérieur ou extérieur.
Le comportement apparaît donc comme essentiellement réactif cl néglige tout ce qui est de l’ordre de la dynamogenèse de l’organisme, amenant l’homme à anticiper, en dehors de toute sollicitation du milieu,
La psychologie essayant de saisir l’homme dans son intégrité ne saurait donc se limiter à l’étude des seuls comportements, mais doit y substituer une notion plus large les intégrant : celle des conduites.
Conduites alimentaires et fonction de nutrition
Le maintien et le développement de la vie impliquent la satisfaction de besoins énergétiques et de besoins matériels. Ce sont les nutriments qui fournissent un apport constant d’énergie et de matière aux besoins de la cellule vivante.
Chez l’homme, la conduite alimentaire ne peut-être réduite à une recherche de nutriments. On retrouve chez Nietzsche cette vérité : « Le protoplasme étend ses pseudopodes pour chercher qui lui résiste, poussé non par la faim, mais par la volonté de puissance. Là-dessus il tente de vaincre cet être, de se l’approprier, de se l’incorporer : ce que l’on appelle la nutrition n’est qu’un phénomène consécutif, une application de cette volonté originelle de devenir plus fort. »
La fonction physiologique et le sens ‘ dé Tà’ conduite alimentaire ne doivent pas être confondus. L’aliment n’est pas seulement une source de nutriments, mais un objet du monde extérieur que l’organisme va s’approprier.
Facteurs impliqués dans la régulation des conduites alimentaires
Les grandes fonctions qui, comme la nutrition, assurent la continuité de l’individu, s’accomplissent dans des conditions particulières qui constituent des conduites. Les caractères les plus apparents des conduites sont donc une recherche, une sélection et enfin une ingestion de nourriture qui est le terme ultime de la conduite.
1. Définition de certains termes fondamentaux : Nous allons les préciser, avant d’examiner les mécanismes régulateurs qui contrôlent ces conduites de certains termes fondamentaux :
- Le besoin : C’est l’état organique correspondant au manque quantitatif et qualitatif de nourriture. L’amaigrissement en est le symptôme majeur.
- La faim : Elle est la perception de l’état de besoin. Les stimuli intéroceptifs la provoquent. L’état de malaise ou même de souffrance qu’elle engendre est supprimé par l’ingestion de nourriture.
- La satiété : C’est la perception anticipatrice de la satisfaction du besoin organique. Subjectivement, c’est une sensation de rassasiement, de bien-être.
- L’appétit : C’est le résultat d’association de stimuli externes et Internes expérimentés dans l’acte d’ingestion : goût et dégoût, odeurs et niveurs.
Mécanismes régulateurs des conduites alimentaires :
L’alternance entre les besoins organiques et leurs symptômes d’une part, les quantités et qualité d’aliments ingérés d’autre part, nécessite des mécanismes assurant leur corrélation. Les mécanismes régulateurs sont complexes en raison de sources d’information très différentes.
Dans les chapitres précédents, l’étude de l’étape métabolique, puis l’étude de l’étape neurorégulatrice, c’est-à-dire la transformation de l’information en comportement en montrent la complexité.
La dernière étape est neuro-affectrice : elle montre comment le cortex coordonne la vie organique et la vie psychique.
A côté de ce premier ensemble de mécanismes, existe un deuxième groupe de mécanismes régulateurs, formé par les facteurs psychosociolo- (tiques.
Les motivations psycho-affectives sont celles qui distinguent le plus fondamentalement un comportement d’une conduite.
Fondements psychosociaux des conduites alimentaires :
La relation avec le monde extérieur et précisément avec le monde humain en la personne de la mère s’étaye tout d’abord sur la conduite alimentaire.
La fonction de nutrition devient vie de relation. Mais elle est aussi un clat de dépendance tel que le nourrisson ne saurait survivre sans la mère ou son substitut. Il se crée autour de cet état de dépendance une situation bien particulière. Cette relation enfant-mère-enfant est matérialisée par l’écoulement de l’aliment liquide de l’un vers l’autre, véhicule tle toute l’activité affective et cognitive dont est submergé le nourrisson. C’est dire l’importance de cette dyade mère-enfant dans les premiers mois de la vie.
Les relations objectales sont des relations entre un sujet et un objet. Le nouveau-né est le sujet dans le cas présent. L’objet n’est ni fixé dans le temps, ni dans l’espace. Il est corrélatif de la pulsion qui cherche à atteindre son but : la satisfaction.
L’objet peut être une personne, un objet réel, ou un objet fantasmé.
A la naissance, le nouveau-né est dans un état de non différenciation. Il n’y a donc ni objet, ni relation d’objet. C’est le développement de cette relation qui s’effectue par le biais de l’aliment, au sein de cette dyade mère-enfant.
Avec Spitz nous distinguerons trois stades dans la genèse de cette relation :
- un stade an-objectal : sans objet;
- un stade pré-objectal : précurseur de l’objet,
- un stade objectai : l’objet désiré.
1. Le stade an-objectal : Le nourrisson ne peut différencier son corps de l’environnement qu’il ne sent pas séparé de lui-même. Ainsi perçoit-il le sein nourricier comme partie intégrante de lui-même.
Au début du deuxième mois il réagit à un stimulus extérieur s’il coïncide avec sa perception interoceptive de faim. La cavité orale joue dans cette perception primitive un rôle privilégié. Elle représente à lu fois l’intérieur et l’extérieur. Pour le nourrisson, la perception primaire coïncide avec des comportements appétitifs. Elle est satisfaction du besoin, réduction de la tension, elle introduit une période de plaisir, caractérisée par l’absence de déplaisir. A ce stade où la cavité orale sert d’intermédiaire entre le monde extérieur et le monde intérieur, se succède une constante alternance de plaisir et de déplaisir au même titre que l’alternance veille-sommeil. On voit ainsi à quel point sont intriqués dans nos origines, affectivité, perception et alimentation. Ainsi n’est-il pas possible d’exclure les évènements psychologiques de nos conduites alimentaires.
2. Le stade pré-objectal : Après le deuxième mois, l’enfant perçoil l’approche de la mère gratifiante et dès le mois suivant, il répond par la réaction sourire. Le visage perçu, mais non encore reconnu, est le représentant de la satisfaction alimentaire. Mais il n’est pas encore « l’objet » unifié.
Le nourrisson va dépasser la réception des stimuli intérieurs au profil des stimuli extérieurs. La reconnaissance du sourire indique que des fonctions mnésiques s’installent, ce qui montre qu’une distinction s’est installée là où il n’y avait qu’indifférenciation. Cette capacité de comparer l’image intérieure et l’image qui est perçue à l’extérieur est le prototype et le fondement de toute relation sociale ultérieure.
3. Le stade objectai : Enfin, après le sixième mois, le visage de la mère sera identifié et différencié des visages étrangers.
L’enfant craindra non seulement l’apparition d’un visage étranger, mais aussi l’abandon de la mère. On peut en déduire que l’enfant est capable de déplacer des investissements d’un objet à l’autre, qu’il a maintenant établi une relation objectale et que la mère est devenue objet d’amour, en dehors de toute situation affective. Il est cependant nécessaire de signaler que les travaux de Spitz traduisent un certain type de relation mère-enfant dans le monde occidental. Une traduction culturelle différente entraînera des relations d’objets différentes (ex. : certaines peuplades d’Océanie).
Symbolisme alimentaire
Fondements du symbolisme alimentaire
C’est le rôle des pulsions instinctives : On peut imaginer que les pulsions libidinales et agressives du nourrisson se différencient pendant les premiers mois. Mais, à partir du stade de relation objectale, la mère, seul objet libidinal, ne sera plus confondue avec un substitut quelconque. C’est donc vers elle seule que convergeront les pulsions libidinales comme les pulsions agressives.
Nos rapports avec la nourriture resteront à jamais marqués par ces deux pulsions.
Symbolismes personnel et socio culturel alimentaires
1. Le symbolisme personnel : Ainsi l’aliment, pour tout individu leste imprégné du plaisir et de l’agressivité originels. Dans la relation avec la mère, le plaisir de sucer est associé au plaisir d’incorporer un objet venant de la mère. Dans sa forme autoérotique, le plaisir de sucer devient indépendant de l’acte nutritionnel. La bouche érotisée est source de moyen de satisfaction en dehors de tout apport de nourriture.
Trouvant en son propre corps un substitut au sein maternel, l’enfant se donne un plaisir analogue à celui de la tétée. La conduite peut devenir purement sexuelle en usant du schéma de la conduite alimentaire.
La pathologie donne suffisamment d’exemples au cours desquels le corps est utilisé comme moyen d’incorporation et d’appropriation au service de buts sexuels : la faim n’est pas toujours, dans l’obésité, la seule motivation de la conduite alimentaire.
Quant à l’agressivité, elle trouve dans les activités de morsure et de dévoration, un moyen d’expression privilégié. L’enfant qui mord, ou, à l’inverse, l’adulte végétarien expriment d’emblée dans leur conduite toute une partie de leur dynamique existentielle.
2. Le symbolisme socio-culturel : La conduite alimentaire n’engage pas seulement la personnalité individuelle avec ses besoins et ses motivations propres. L’homme est un être social : sa conduite alimentaire ne peut être
comprise que replacée dans la vie collective.
Loin d’être une jouissance solitaire, le repas remplit une fonction sociale. Dans toutes les civilisations, il occupe une place considérable dans les rites de l’amitié, de l’hospitalité et à l’occasion des fêtes. Le symbolisme alimentaire apparaît comme un facteur déterminant des relations humaines.
L’aliment partagé reste un lien social important : « le repas est groupe, il est prétexte au rassemblement; il est d’ailleurs difficile de savoir lequel entre le besoin de se nourrir et celui de communiquer a présidé à la décision du groupe d’organiser un repas. Quoi qu’il en soit l’un ou l’autre de ces besoins semble avoir toujours le second pour corollaire (Thibert). Les aliments acquièrent au sein même du repas une mystérieuse valeur symbolique qui est l’un des facteurs de leur acceptabilité.
L’exemple du peuple juif est significatif : ce peuple possède une loi alimentaire très précise, où l’on retrouve la différence introduite entre juifs et non-juifs, marquée par une cassure entre les animaux dont ils peuvent se nourrir, et les autres. La nourriture de Moïse est une coupure dans le continuum des animaux symbolisant la coupure entre le. hébreux, peuple de Dieu, et les autres peuples.
Le christianisme a donné à l’aliment une valeur symbolique beaucoup plus puissante, notamment par l’ingestion de l’ostie lors de la commu nion. « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson. Qui mange ma chair et boit mon sanjt demeure en moi et moi en lui ».
Mais les sociétés elle-mêmes changent de rythme de vie, d’intérêt cl d’idéologie. Le langage des aliments suit cette fluctuation et la mouvance des idées. Le pain, autrefois symbole à la fois du travail et de la peine de l’homme et de la récompense qui le nourrit, a perdu cette valeur sacrée pour devenir synonyme d’aliment inutile voire dangereux sur le plan esthétique.
Ainsi l’aliment objet de notre appétit est riche de significations diverses. Il n’a pas seulement une valeur nutritionnelle en rapport avec des motivations physiologiques, mais aussi des valeurs symboliques en rapport avec des motivations affectives et socio-culturelles. C’est pourquoi l’investissement affectif et social de la conduite alimentaire et sa valeur symbolique apparaissent comme nécessaires à la compréhension de la signification humaine et non seulement biologique de l’aliment. Car l’homme a autant besoin de symboles que de nutriments et ceux-ci n’existent pour lui que chargés de sens. Manger n’est pas que se nourrir : c’est aussi participer à un groupe et communiquer à travers un langage. La conduite alimentaire peut-être le support de finalités bien étrangères à la nutrition. Ce sont donc des causes bien profondes qu’il faut souvent évoquer en présence d’une conduite alimentaire restrictive ou d’un excès.