Cerveau sexe et pouvoir : séduire grâce au neuromarketing
La possibilité de s’appuyer sur une meilleure connaissance du cerveau pour mieux séduire les consommateurs est aussi une application en plein essor des neurosciences. Le «neuromarketing», comme on le nomme, a le vent en poupe : il s’agit pour les industriels d’exploiter les mécanismes cérébraux qui sous-tendent les décisions d’achat.
Depuis une dizaine d’années aux Etats-Unis, et plus récemment en Europe, les fabricants de cigarettes, de cosmétiques ou d’aliments, se sont rapprochés de spécialistes de l’imagerie cérébrale. Ils cherchent à identifier des zones cérébrales sensibles aux designs, aux couleurs ou aux odeurs afin d’optimiser les campagnes de publicité.
Le premier congrès de « neuroeconomics » s’est tenu en 2004 à Char- leston (Etats-Unis) et a montré combien les intérêts des publicitaires et de chercheurs de grandes universités américaines (Caltech, Princeton, Stanford) pouvaient parfois converger. Les premières sociétés de service en neuromarketing sont en train d’émerger outre-Atlantique. Citons l’institut BrightHouse pour les sciences de la pensée, fondé en 2001 et situé à Atlanta près du siège de Coca-Cola, ou la société de conseil SalesBrain à San Francisco, créée par deux Français.
Au sein de la Harvard Business School a été mis en place le laboratoire Mind of the market sous la houlette de l’économiste Gérard Zalt-man, auteur du livre Comment les consommateurs pensent. Ce dernier avoue manquer encore d’outils efficaces : « Les stratèges de la publicité ne détiennent pas encore la гопе cérébrale des achats, le levier qui permettrait de convaincre le client à se laisser tenter».
Aucune étude sérieuse n’a cependant mis en évidence un lien causal entre le fonctionnement d’une aire cérébrale et un comporte¬ment aussi complexe qu’une décision d’achat.
De plus, les protocoles visant à identifier une quelconque aire cérébrale isolent les personnes testées, alors que, bien évidemment, les interactions de l’individu avec l’environnement sont cruciales pour orienter le choix vers tel ou tel produit. Pour Olivier Koenig, psychologue et directeur à Lyon du Laboratoire d’étude des mécanismes cognitifs : « On ne peut appréhender les choix complexes d’un consommateur uniquement par ses activités neuro- nales. Prétendre cerner les mécanismes intentionnels par l’imagerie cérébrale : le ridicule». Olivier Koenig est pourtant co-fondateur du cabine:
d’études et de conseil «Impact Mémoire» («IM») qui affiche l’ambition de mettre «ses connaissances sur les processus de mémorisation au service de ses clients pour accroître l’efficacité de leurs campagnes publicitaires ». Les clients de «IM» sont aussi variés que L’Oréal, Nestlé, SFR, la Société Générale, le journal Le Monde et… le Syndicat national de la publicité télévisuelle (SNPTV) actuellement dirigé par la présidente de « TF1 publicité » ! Faut-il y voir un lien avec les récentes déclarations scandaleuses du président de TF1, Patrick Le Lay, dont le métier, estime-t-il, consiste à vendre aux annonceurs «du temps de cerveau disponible» ?
Outre-Atlantique, l’organisation non lucrative Commercial Alert, qui veille depuis 1998 aux risques d’asservissement des enfants et des adolescents à la publicité, conteste la pratique du «neuromarketing». Interrogé, l’Office américain de protection sur les recherches humaines estime pourtant, dans un avis de février 2004, que «ces études en imagerie médicale pour aida- les stratégies marketing ne violent pas les règles éthiques fédérales ».
Le psychologue Olivier Oullier, chercheur au Centre des systèmes complexes et des sciences du cerveau de l’Université de Floride, défend un point de vue contraire : «Les questions d’ordre éthique et moral sont nombreuses. Le spectre d’Orwell plane à tel point qu’aucune compagnie n’a pour l’instant publiquement admis avoir recours au neuromarketing. A cejour, il existe clairement un vide juridique concernant l’application des neurosciences à desfins non médicales ».