Cerveau humain en pleine nutation
Le développement du cerveau et de l’intelligence de l’homme a été rendu possible (ou du moins facilité) par de nombreuses adaptations successives. Il faut, pour mieux l’appréhender, revenir en arrière de quelques milliers d’années. Prêts à remonter le temps ?
Etape de premier plan, semble-t-il : la station debout. Elle a été un facteur essentiel de développement de nos lointains ancêtres. Si elle peut apparaître comme un handicap au départ, tant elle ralentit la course et fragilise la colonne vertébrale, elle eut néanmoins de nombreuses conséquences sur notre évolution.
L’une d’entre elles, sans préjuger de leur ordre d’importance, fut de provoquer un raccourcissement de la gestation : la mère étant debout, la pression du fœtus devient plus importante et l’accouchement se déclenche plus tôt. Le temps de gestation serait ainsi passé de près de deux ans aux neuf mois que l’on connaît. Sans préjuger de la certitude de ces chiffres, selon le Dr Raymond Houdart, neurochirurgien, « le petit enfant vient au monde avant que ne soit terminée la période fœtale de son développement, c’est-à-dire avant que son cerveau ne soit programmé, de telle sorte que, à l’inverse des espèces animales, il doit tout apprendre, y compris à marcher. Il semble que, chez ce nouveau-né qui est encore un fœtus, la sortie du cocon utérin interrompe la programmation génétique, remplacée par une programmation par apprentissage, presque indéfiniment possible. Cette naissance prématurée trouve parfaitement son explication dans l’augmentation de volume du crâne au cours des étapes de l’évolution, la modification du bassin due à la station bipède ne permettant pas le passage d’un crâne d’un volume de plus de 400 cm3 ».
Ce bébé, bien plus fragile, voire « prématuré », devient alors complètement dépendant de son entourage. L’attention croissante qu’il nécessite, cette présence et cet échange ne seront pas sans conséquences. Cette nouvelle relation à l’autre qui se crée renforcera finalement les structures sociales, la gestion d’un patrimoine – dont alimentaire – commun et fera in fine de la société le passage obligé du développement individuel.
Autre conséquence au niveau physiologique cette fois : la station debout modifie la jonction crâne-colonne vertébrale, ce qui va faciliter le développement du volume crânien. Et lui permettre de grossir sans discontinuer pendant quelques milliers d’années.
Sur le plan du comportement, d’autres changements importants se sont alors opérés : en libérant les mains, la verticalité a fini par améliorer la sensibilité du toucher et surtout par transformer la prise en main des objets. Lesdits objets finiront à la longue par devenir des outils, c’est-à-dire qu’ils seront utilisés dans un but intentionnel. Nous entrons ainsi dans une sorte de cercle vertueux qui veut que la main transforme le cerveau, lequel va trouver d’autres utilisations à la main ! D’autant que la station debout permet d’apprécier les choses avec davantage de recul, voire de planifier une action à distance (lancement d’objets, cailloux puis autres armes plus élaborées) particulièrement utile à un animal extrêmement vulnérable, tant pour tenir en respect un prédateur que pour harceler une proie.
Tout se déroule comme si la fragilité initiale de ce petit être né semble-t-il trop tôt, qui ne possède ni les meilleures jambes, ni les meilleures griffes, ni les meilleurs crocs, ne lui avait guère laissé le choix. Pour survivre, sa seule issue possible sera de valoriser sa spécificité, son patrimoine, sa richesse : son intelligence.
L’Homo habilis finit ainsi par se distinguer des australopithèques par une meilleure adaptation à la bipédie puis par un cerveau plus gros. Sans oublier qu’il possède également une dentition plus large lui permettant un régime omnivore.
Car une autre étape fondamentale de leur développement fut sans doute un changement majeur de l’alimentation de ces hominidés. C’est du moins la théorie du Dr Michael Crawford, spécialiste britannique de la nutrition du cerveau à l’Institute of Brain Chemistry and Human Nutrition à Londres : selon lui (et il n’est pas le seul à le penser), l’apparition des Oméga 3 dans la nutrition humaine a largement contribué à transformer notre cerveau. Pendant plusieurs millions d’années, l’évolution de cet organe a stagné à 4 ou 500 grammes. Probablement parce que ces premiers hommes habitaient dans des régions enclavées loin de toutes sources d’Oméga 3. Puis, par hasard ou nécessité, nos ancêtres préhistoriques se sont mis à consommer des poissons et des fruits de mer, ce qui a entraîné une augmentation incroyable de la capacité de leur cerveau, en particulier au niveau du cortex.
Selon le Dr Crawford, le fait que les plus grandes civilisations de l’Antiquité soient apparues dans des régions où les humains avaient accès à des aliments d’origine aquatique – le Nil, le Tigre et l’Euphrate, le Gange, le Yangtsé – ne doit rien au hasard : c’est la consommation d’Oméga 3 qui a constitué le catalyseur nécessaire à la métamorphose du cerveau qui a alors triplé de volume pour atteindre 1,5 kg, poids qu’il conserve encore aujourd’hui.
Notez tout de même que, selon le chercheur britannique Leslie C. Aiello, ce serait plutôt la consommation accrue de viande qui aurait favorisé le développement du cerveau humain. La digestion (et en particulier celle des végétaux et des tubercules) fait peser un coût métabolique important sur l’organisme. A partir du moment où les hommes se sont mis à consommer de la viande (puis de la viande cuite) dont la digestion est plus aisée, la charge métabolique qui pesait sur l’intestin aurait alors pu être dédiée au développement d’un plus gros cerveau.
Il se peut que les deux théories disent vrai. Dans tous les cas, elles soulignent bien l’une comme l’autre le rôle de premier plan que joue notre alimentation dans notre évolution comme dans le développement de nos capacités cognitives.
Les spécialistes s’interrogent d’ailleurs sur les conséquences – à long terme – de la dégradation actuelle de notre alimentation (au niveau nutritionnel et non sanitaire). Selon certains d’entre eux, l’on pourrait assister à un véritable retour en arrière avec à la clé une diminution du poids de notre cerveau (et donc de son potentiel). Même si pour le moment, notre crâne ne se réduirait pas franchement ! Il serait plutôt en train de devenir de plus en plus sphérique pour laisser davantage de place au cortex, le siège de nos fonctions intellectuelles. Ce qui n’est pas sans influencer d’autres structures crâniennes, comme l’arc dentaire, et pourrait expliquer que les dents de sagesse des plus jeunes n’ont plus la place pour pousser. Avec quelles nouvelles aptitudes in fine à la clé ? Personne ne le sait.
Ce que l’on sait en revanche – et qui n’est pas pour déplaire à certains -, c’est que le cerveau des femmes reste un peu plus léger que celui des hommes (de 10 % environ). Toute la question étant alors de savoir- si ce déficit souligne un manque de matière grise – les cellules grises sont, pour caricaturer, les cellules dites intelligentes de notre système nerveux -, et donc de performances intellectuelles. Ouf, que nenni, tous les tests montrent que les femmes sont aussi intelligentes que les hommes. Et alors ? Cela signifie-t-il que le volume du cerveau n’est pas si important et que 10 % en plus ou en moins ne font guère de différence ? Ce n’est pas ça non plus. Ce que l’on sait déjà, en particulier lorsque l’on compare les cerveaux de grands hommes (morts !), c’est que la masse cérébrale ne joue pas un rôle essentiel au niveau individuel, et qu’il est bien plus important de développer un grand nombre de réseaux synaptiques (en faisant fonctionner sa tête le plus souvent possible). Mais cette égalité de performance entre les sexes tient aussi à une raison simple, découverte récemment (en 1999) : les femmes ont proportionnellement davantage de substance grise que les hommes. Celle-ci occupe en fait 55 % du cerveau des femmes, pour 50 % de celui des hommes. Le résultat en termes de compétence globale est donc à peu près équivalent, même si une telle différence d’organisation peut avoir des répercussions sur les habilités de chacun, les femmes s’en sortant en général mieux en ce qui concerne le langage, alors que les hommes seront plus performants pour l’organisation dans l’espace. Ce qui ne surprendra pas grand monde…