Améliorer et sécuriser l'alimentation : Des glucides de meilleures densité nutritionnelle
Pour le consommateur normalement informé, le comportement alimentaire à observer n’est pas très compliqué dans la mesure où il dispose d’aliments de nature et d’origine bien définies. En fait, la réalité alimentaire à laquelle nous sommes confrontés a bien changé à la suite de l’importance des transformations alimentaires et de la multiplication d’aliments ou de boissons dont il est difficile de percevoir la finalité nutritionnelle. De plus, jusqu’à présent, le secteur de la production alimentaire a pu utiliser sans limites des ingrédients énergétiques ou opérer diverses transformations sans obligation de densité nutritionnelle.
L’état des lieux de la chaîne alimentaire, d’amont en aval, peut être réalisé maintenant avec beaucoup de recul, en fonction des enjeux environnementaux, socioéconomiques ou de santé publique. Cette expertise devrait conduire à des réformes profondes de l’offre qui pourrait être, beaucoup plus que par le passé, adaptée aux besoins nutritionnels de l’homme. Cela devrait conduire à modifier les approches actuelles dans beaucoup d’étapes de la chaîne alimentaire. Les changements les plus souhaitables devraient être focalisés sur les aliments ou les ingrédients qui couvrent la majorité des apports énergétiques, c’est-à-dire les sources de glucides et de lipides.
Dans les modèles occidentaux courants, les céréales ne couvrent plus qu’une faible part des besoins nutritionnels, et la baisse de leur consommation n’a pas été compensée par l’utilisation d’autres féculents tels que les pommes de terre ou les légumes secs. Puisque l’ensemble des enquêtes épidémiologiques indique qu’il convient de consommer des céréales peu raffinées, il est possible de prédire qu’à plus ou moins long terme l’ensemble des acteurs et des consommateurs adopteront des produits plus adaptés sur le plan physiologique et sur celui de la santé. Cela devrait constituer un changement très positif pour l’avenir auquel les filières doivent se préparer.
L’autre bouleversement dans la gestion de l’énergie devrait porter sur la production des sucres purifiés. Malgré de nombreux appels à la modération, la chaîne alimentaire actuelle ne semble pas réellement disposée à réduire l’utilisation des divers types de sucres, tant le goût sucré est avantageux pour favoriser la consommation. Ainsi, pour une frange importante de la population et surtout chez les enfants, le niveau de consommation frise l’overdose. Un bol de céréales au petit déjeuner, deux biscuits à la collation de 10 heures, un flan aux œufs à la cantine, une boisson fruitée et deux morceaux de chocolat au goûter, un yaourt aux fruits le soir, si ce n’est une barre chocolatée, bref, une journée bien ordinaire et au bilan une consommation de 100 g de sucres simples. Or, chez un adulte moyen qui a un besoin calorique sensiblement plus élevé que l’enfant, il conviendrait de ne pas dépasser une dose de 60 g par jour, c’est-à-dire un maximum de 10 % des apports énergétiques. Les arguments de modération sont de nature très diverse : le vide nutritionnel du sucre en terme de minéraux et micronutriments, la fréquente association aux lipides, l’induction d’une surconsommation énergétique et l’infantilisation du goût sur le doux, le sucré, l’aromatisé à un stade très éloigné de la découverte de l’amer, de la connaissance des aliments naturels.
Les recommandations nutritionnelles, relayées par une prise de conscience diététique sociétale, devraient donc conduire, à la longue, à une normalisation de l’utilisation des sucres. Globalement les achats de sucre par les particuliers ont tendance à baisser, mais cette diminution est largement compensée par l’ajout de sucres dans les produits transformés. L’utilisation importante de sucres purifiés peut générer des problèmes métaboliques, mais la problématique majeure concerne la baisse de densité nutritionnelle des régimes. Pour sucrer le café (ce qui est plutôt une mauvaise habitude) ou pour divers usages culinaires, il est compréhensible d’avoir recours à des produits tels que le sucre blanc ou le sucre roux. Cependant dans les aliments, le sucre est normalement associé à d’autres éléments majeurs tels que des minéraux (sels de potassium), des fibres alimentaires et des antioxydants. Pour introduire du sucre dans des biscuits, des yaourts, des viennoiseries, des boissons, le secteur agroalimentaire pourrait utiliser plus couramment des sucres semi-purifiés suffisamment riches en potassium, en fibres, en antioxydants normalement présents dans les plantes sucrières. Nul doute que les technologies pourront être mises au point pour aboutir à ces ingrédients sucrés de meilleure densité nutritionnelle. Il serait déjà très facile d’utiliser des sirops de canne concentrés sans problèmes organoleptiques, et la betterave peut subir les fractionnements nécessaires pour aboutir aussi à des préparations acceptables. Malgré ces ajustements, il est souhaitable de prévenir les habituations au sucre en particulier dans les aliments et les boissons destinés aux enfants. Avec le recul du siècle passé, on peut observer une coïncidence frappante entre la prise de poids de la population nord-américaine et la modification de la nature des glucides consommés, la baisse de consommation des produits végétaux complexes au profit des sucres purifiés et surtout du sirop de fructose.
La révolution de la technologie sucrière n’est pas encore en route, mais la nécessité d’une autre approche plus adaptée à la santé humaine finira par s’imposer. L’industrie de l’amidon est beaucoup plus récente, et il est déjà urgent de la remettre en question. L’amidon est largement utilisé pour ses propriétés physico-chimiques dans beaucoup d’aliments mais il a, comme le sucre, une densité nutritionnelle nulle. Le traitement des céréales par voie humide pour en extraire l’amidon a un coût énergétique considérable, et il est pour le moins paradoxal de dépenser beaucoup d’énergie pour transformer des matières premières nobles telles que les céréales en glucides purifiés. C’est pourquoi la recherche doit essayer de trouver les technologies de remplacement de l’amidon par des produits céréaliers de bonne densité nutritionnelle et de mêmes propriétés fonctionnelles. L’amidon sert également à la production de glucose et de fructose. Dans ces cas-là, comme pour le saccharose, se pose le problème d’une association de ces sucres simples avec un minimum de minéraux, de fibres solubles et d’antioxydants. L’essor de la consommation de jus de fruits avec du sucre ajouté et une perte substantielle de micronutriments est dangereux sur le plan métabolique d’autant que ce type de boissons bénéficie d’une image de naturalité auprès du public.
Le miel est un exemple remarquable de produit naturel relativement riche en antioxydants et en glucides fermentescibles dont la production gagnerait à être développée en étroite relation avec les assolements en plantes mellifères. Les potentialités de production de miel en association avec une agriculture le plus exempte possible de pesticides sont remarquables et devraient être soutenues par la société. Ainsi, le miel rentrerait plus couramment dans la composition des produits alimentaires. Les abeilles ont également la délicatesse de déposer dans les ruches du pollen, véritable concentré de micronutriments naturels, ainsi que de la propolis, un extrait de polysaccharides aux vertus protectrices.
Finalement un des problèmes majeurs de notre chaîne alimentaire, récemment soulevé par la FAO et l’OMS, est de ne pas s’être appuyée sur des politiques alimentaires propices au développement de politiques nutritionnelles de santé publique efficaces et conçues avec une approche globale. L’exemple de la mauvaise gestion des approvisionnements en glucides est parmi les plus marquants et les plus urgents à réformer.