La santé au bout des doigts: l'ostéopathie
La mobilité restera l’obsession de l’ostéopathie, que ce soit la « liberté de circuler » ou la « liberté de bouger ». Pour restaurer la mobilité, il faut utiliser toutes les techniques manuelles ostéopa- thiques, à l’exclusion des techniques non ostéopathiques (massage, etc.). Ainsi l’exige la tradition. Que la restauration soit structurelle et fonctionnelle est une évidence doctrinale. Lever la barrière est une obligation technique et thérapeutique qui incombe à la main. C’est affaire d’apprentissage, d’éducation du geste, de pratique, encore de pratique, toujours de pratique.
L’autre grand courant de médecine manuelle, la chiropraxie, a développé lui aussi, à la même époque, une doctrine semblable sur la relation structure-fonction dont les techniques de correction agissent au niveau du rachis. Aucune équivoque sur le rôle de la main : un diagnostic radiologique positionnel et palpatoire de l’articulation à traiter, une technique manipulative ostéo-articu- laire (ajustement) précise et efficace ; des indications centrées sur la pathologie vertébrale commune, les perturbations de la statique rachidienne, de nombreux symptômes fonctionnels… et le plus souvent de bons résultats.
Tels sont les ingrédients de son succès. Certains, dont de nombreux ostéopathes, jugent ces techniques violentes et agressives. À l’inverse, beaucoup de chiropracteurs apprécient peu le flou clinique de la recherche de la mobilité et les techniques dites fonctionnelles des ostéopathes. De quoi nourrir une longue querelle, qui dure depuis un siècle. Le fait est que, aujourd’hui aux États-Unis, il existe peu d’ostéopathes qui pratiquent les manipulations ostéo-articulaires rachidiennes ou périphériques… Le courant structurel s’est noyé.La tendance semble s’inverser.
L’ostéopathie structurelle a multiplié les « signes d’identification » vers la communauté médicale, où elle est mieux acceptée que l’ostéopathie fonctionnelle, plutôt perçue comme proche de la kinésithérapie ou de la physiothérapie. La pathologie mécanique de l’appareil locomoteur et la manipulation, les bons résultats que reconnaissent les patients sont appréciés avec prudence par le corps médical, pourvu que les contre-indications soient reconnues.
Par contre, sa clinique originale, qui mêle les tests de mobilité et l’examen physique plus conventionnel, sa façon de poser ses indi-cations, le raisonnement qui guide ses ajustements, intriguent l’orthodoxie médicale. L’ostéopathie tient à sa personnalité : elle est bien « la médecine des tensions et des forces ».
John Wemahm et T.E. Hall, en s’inspirant des travaux de H.H. Fryette, se sont appliqués à étudier le lien entre la biomécanique, la « lésion ostéopathique », les tensions, les forces de pesanteur et la ligne de gravité. Leur « modèle biomécanique de synthèse » est aujourd’hui encore la référence du clinicien, quoique datant d’avant-guerre. Le traitement ostéopathique des désordres de l’appareil locomoteur et des troubles fonctionnels que l’on peut y associer n’était que l’application pratique de la lutte contre les contraintes et les forces, selon le mot de Fryette : « Le facteur principal qui modifie la circulation, c’est la gravité… La gravité tue vos patients. La gravité est le facteur inexorable. C’est le facteur qui a placé une charge permanente sur vos structures. »
L’ostéopathie, comme les autres disciplines médicales qui traitent du squelette, a tiré profit dans cette seconde moitié du siècle des progrès de l’imagerie et de la publication d’une multitude de travaux sur l’appareil locomoteur, dont certains d’ailleurs s’inspirent de ses idées. ïl est clair que pour les orthopédistes, médecins ou chirurgiens, les rhumatologues, les ostéopathes, les chiropracteurs, les chemins se croisent. ïl en va de même entre les neurosciences, les thérapies comportementales, la médecine fonctionnelle et le corps.
La médecine ostéopathique se situe donc à l’interface de toutes ces disciplines : il y a toujours un petit « bout d’ostéopathie » quelque part. En contrepartie, le praticien est obligé d’acquérir les connaissances nécessaires à l’exercice d’une médecine ostéopa-thique responsable. Cette interaction, de plus en plus fréquente, peut conduire l’ostéopathe à collaborer avec d’autres intervenants, à discuter des indications de ses techniques, à choisir, pour le trai-
tement d’un patient donné, entre les ajustements ostéo-articulaires et les méthodes fonctionnelles.
La médecine manuelle des médecins orthodoxes, inspirée par le succès de l’ostéopathie et de la chiropraxie du début de ce siècle, s’est réveillée. James B. Mennell, chef de service au St. Thomas Hospital de Londres, a consacré sa vie entière à l’étude des thérapies manuelles, y compris les différentes techniques de massage, leurs indications et leurs effets dans la pathologie locomotrice et traumatologique. Le massage et les mobilisations articulaires ont ainsi été réhabilités, mais son utilisation des manipulations articu-laires a été trop systématique et donc très critiquée. Son succes¬seur au St. Thomas Hospital a été le médecin orthopédiste, Edgar F. Cyriax, et son fils J.H. Cyriax est resté célèbre pour avoir mis au point le fameux massage transversal profond. Les manipula¬tions vertébrales sont exécutées sous traction.
Il est allé jusqu’à effectuer des manipulations articulaires périphériques sous anes¬thésie générale. Alors que ses méthodes étaient également très critiquées, son approche analytique de la pathologie, qui se situe autour des articulations, a séduit de nombreux spécialistes, dont des ostéopathes qui ont intégré ces éléments à leur bilan clinique, que ce soit pour appliquer des techniques manipulatives ou fonctionnelles.
C’est avec le Dr Robert Lavezzari, médecin français, que se sont affirmés, entre les deux guerres, les premiers médecins-ostéo- pathes. Sa confiance dans la méthode était telle qu’il l’a appliquée à l’hôpital Pasteur de Nice. Il a approfondi l’ostéopathie structurelle plus que l’ostéopathie fonctionnelle et s’est attaché à vérifier le lien qui existe entre tous les éléments anatomiques et physiologiques rassemblés dans la lésion ostéopathique : perturbations artérielles, veineuses et lymphatiques, perturbations de la fonction médullaire, retentissement à distance de la dysfonction vertébrale selon les schémas métamériques, modification anatomique de l’appareil de maintien (ligaments). Absolument convaincu par les valeurs et la philosophie de l’ostéopathie de A.T. Still, il a transmis le message et délivré un enseignement très apprécié jusqu’à sa mort en 1978. Entre-temps, avec d’autres médecins formés à l’ostéopathie en Grande-Bretagne, ou aux États-Unis, il a créé en 1951 la Société française d’ostéopathie.
Ces médecins ont défendu une conception dans laquelle la manipulation vertébrale ne peut être utilisée que lors d’indications restrictives pour des troubles spécifiques du rachis, ce qui représente un virage par rapport à la doctrine ostéopathique. Une autre discipline de médecine manuelle structurelle s’est édifiée alors.
Ils n’adhéraient ni à la philosophie, ni aux principes, ni aux techniques ostéopathiques fonctionnelles, ni aux techniques de correction vertébrale et périphériques. Ils ont rejeté le dogme ostéopathique structurel fondé sur la physiologie du mouvement et proposé « la règle de la non-douleur et du mouvement contraire ». (Cela signifie que la manipulation doit forcer le sens libre opposé au sens douloureux et non pas chercher à restaurer un jeu segmen- taire supposé limité ou perdu.)
Dans cet esprit, il était proposé de « décrire les techniques telles que les voit un observateur et non en fonction de l’action qu’elles sont supposées avoir sur les vertèbres ». Cette méthode de méde¬cine orthopédique a de nombreux adeptes chez les médecins- ostéopathes de tendance structurelle. Elle présente l’avantage cer¬tain d’écarter les techniques fonctionnelles aux ambiguïtés maintes fois démontrées, tant au plan des indications que des résultats. De plus, certaines s’apparentent plutôt à des techniques de rééducation fonctionnelle. Le cadre scientifique et rigoureux de ces travaux, les publications périodiques sur les sujets variés et nombreux de la pathologie vertébrale commune sont précieux pour tous ceux, quelle que soit leur doctrine, qui traitent médicale¬ment la colonne vertébrale.
Une version française de l’ostéopathie structurelle et fonction¬nelle d’inspiration très britannique a vu le jour dans le cadre de l’enseignement de médecine manuelle et d’ostéopathie délivré par la faculté de médecine de Bobigny. Les références théoriques, la biomécanique et la physiologie du mouvement selon H.H. Fryette, la clinique (tests de mobilité), qui sont les points forts auxquels se réfère le courant structurel anglo-saxon, ont servi de base à l’enseignement et à la pratique des manipulations vertébrales rachidiennes et périphériques. L’ostéopathie fonctionnelle y a trouvé son compte, tout en conservant une place à part au concept cranio-sacral et à ses techniques, qui, pour des raisons bien compréhensibles liées aux polémiques et à la difficulté de mettre en place un tel enseignement, restera en dehors du cursus universitaire.
Les médecins diplômés de médecine manuelle et d’ostéopathie ont orienté leur activité médicale et ostéopathique vers une pratique plus structurelle que fonctionnelle. Des interactions avec les autres courants de médecine manuelle seront fréquentes, aussi bien dans le cadre académique qu’associatif, afin de conduire des travaux en commun. Les médecins-ostéopathes de la tradition, issus de la faculté de médecine de Bobigny, continuent la voie ouverte par les grands précurseurs.
L’engouement et les succès thérapeutiques parfois spectaculaires ont incité certains médecins sans formation à se risquer dans ce domaine particulier où l’apprentissage et le respect des règles de conduite diagnostiques sont essentiels, au grand dam des institutions médicales.
Ils n’ont pas été les seuls. Des paramé¬dicaux, des « thérapeutes » de génération « spontanée » d’inspiration complètement exotique, maniant avec subtilité ou dans la plus grande confusion les théories ésotériques, s’engouffreront dans la brèche. Parfois, les risques techniques de l’ostéopathie structurelle les ont fait reculer. En contrepartie, ils se sont rués vers l’ostéopathie fonctionnelle et se sont exposés à d’autres risques. Il y a eu de nombreux accidents, causés soit par des manipulations non indiquées, soit par des erreurs purement techniques : depuis des complications mécaniques chroniques jusqu’à des troubles neurologiques ou vasculaires immédiats ou différés. Il faut le répé-ter, le marteler sans cesse : il n’existe aucune activité humaine impliquant un geste qui n’exige un apprentissage.
La manipulation ostéo-articulaire de l’appareil locomoteur ne fait pas exception à la règle, quelle que soit la doctrine sur laquelle elle s’appuie. La présence de ces pratiquants dans la mouvance ostéopathique est inquiétante, car leur chemin et celui des patients qui souffrent et cherchent des solutions se croisent inéluctablement par « aspiration réciproque ».
À côté de ceux-là il y a tous les « sorciers », adeptes d’une pseudo-ostéopathie fonctionnelle. Comment faire la différence avec les ostéopathes, médecins ou non-médecins, qui pratiquent les vraies techniques fonctionnelles ostéopathiques ? Suffit-il de poser ses mains sur un crâne ou sur un ventre pour faire de l’ostéopathie fonctionnelle, de vocaliser sur le mode énergético-corporel, pour « faire de l’ostéopathie » ? C’est toute l’ambiguïté qui se cache derrière un pan entier de la pratique ostéopathique et que dénonce le corps médical, à juste titre.
Le débat entre l’ostéopathie structurelle et l’ostéopathie fonctionnelle continue, à la fois dans le domaine théorique et dans le domaine pratique. On ne peut ignorer que ces deux volets de l’art ostéopathique s’adressent à des sensibilités différentes de praticiens. Il en va de même pour les patients. Ils doivent pourtant savoir que les indications de l’ostéopathie fonctionnelle ne recouvrent pas celles de l’ostéopathie structurelle, que pour une même indication la conduite du traitement, le rythme des consultations et l’efficacité ne sont pas forcément comparables.
Vidéo : La santé au bout des doigts: l’ostéopathie
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