Une thérapeutique reconnue scientifiquement : efficace et utile
La médecine thermale serait-elle à ranger dans les vitrines des musées ou des collections d’objets anciens? Mérite-t-elle autre chose qu’une attention polie ou une nostalgie obsolète à rayer implicitement des livres de thérapeutique?
Notre conviction est inverse, qui se fonde sur des laits et preuves scientifiques qui concernent la composition des eaux thermales (dont l’intérêt n’est pas mince lorsqu’il y a contact direct entre l’organe traité et l’eau thermale elle-même: pathologie respiratoire, dermatologie, gynécologie…), mais surtout sur les études cliniques contrôlées, dont certaines sont randomisées, notamment par tirage au sort entre «cure immédiate» et «cure retardée»; ceci permet d’obtenir (en rhumatologie par exemple) une population témoin, celle correspondant aux malades en attente de cure. De surcroît, à défaut de double aveugle, évidemment ici impossible, le simple aveugle (évaluation des résultats par un médecin qui ignore si le malade a déjà ou non effectué la cure) constitue déjà un rempart précieux contre toute appréciation subjective des résultats.
Ainsi, l’opinion, fréquemment diffusée, est fausse, selon laquelle la médecine thermale ne reposerait que sur des idées reçues, anachroniques.
La réalité est toute autre : malgré l’impossibilité du double aveugle et d’autres difficultés méthodologiques majeures (comme pour la plupart des thérapeutiques non médicamenteuses), la créativité des chercheurs cliniciens et leur exigence apportent aujourd’hui des faits et preuves scientifiques convaincants publiés dans des revues internationales indexées. Ces travaux établissent sans équivoque l’efficacité et plus encore l’utilité des cures thermales, dans de nombreux domaines de la pathologie chronique.
Des études cliniques comparables doivent venir préciser les autres indications des cures thermales, là où elles reposent aujourd’hui encore sur des consensus professionnels, l’expérience médicale et le vécu des malades. Ce qui, à tout prendre, n’est pas négligeable et fonde les indications d’un très grand nombre d’autres thérapeutiques, médicamenteuses et surtout non médicamenteuses.
Rechercher inlassablement la vérité thérapeutique par des études cliniques exigeantes doit être le souci premier de tout médecin et plus spécialement de tout enseignant notamment de thérapeutique. A contrario, évitons de considérer hâtivement comme inefficaces et inutiles des indications thérapeutiques encore peu ou mal évaluées.
Prenons la décision ferme d’entrer au plus vite dans les processus d’évaluation scientifiquement indépendants et méthodologiquement exigeants.
Quelle service médical rendu
La question de fond est celle-ci : existe-t-il, oui ou non, un «service médical rendu» (SMR) du thermalisme médical, dans ses indications justifiées? Et même une «amélioration» du service médical rendu (ASMR) par rapport aux autres traitements disponibles [I]? Le service médical rendu, base du remboursement des médicaments par les organismes de prise en charge, est aujourd’hui évalué, non seulement pour chaque médicament, mais aussi pour chaque indication de chacun d’entre eux (décret du 27 octobre 1999) [3J. Pourquoi en serait-il autrement pour la médecine thermale? S’il est indispensable d’éviter les dérapages (indications non justifiées), a contrario prenons garde de ne pas pénaliser injustement les malades justiciables d’une cure thermale par des déremboursements aussi inopportuns que médicalement injustifiés.
Des fondements scientifiques d’un thermalisme médical efficace et utile existent aujourd’hui, dans un grand nombre des indications reconnues des cures thermales. Les évaluations en cours et celles de demain permettront de poursuivre cette quête inlassable de la vérité thérapeutique dans toutes ses applications : bonnes indications et bonnes pratiques des cures thermales; évaluation de leur efficacité, mais aussi de leur utilité médicale, comme de leur efficience sociale et économique.
Une thérapeutique sociale
L’espérance de vie a augmenté de façon majeure tout au long du XX siècle dans la plupart des pays développés. Il en est ainsi de l’espérance de vie totale, mais aussi de l’espérance de vie en santé et notamment de l’espérance de vie sans incapacité (F. Grémy, E. Cambois) [3],
Ainsi, si la vie en (bonne) santé et la vie sans incapacité, c’est à dire la qualité de vie (voir chapitre 21), préoccupent les décideurs de nos sociétés, il peut être utile de se pencher, loyalement et donc sans parti pris, sur le traitement des maladies chroniques et même sur leur prévention, ainsi que celle de leurs complications.
Contrairement à une idée reçue, d’importantes inégalités sociales perdurent même dans les pays «développés». Ainsi, les espérances de vie, a fortiori en bonne santé et sans incapacité, sont plus élevées chez les cadres et les professions «intermédiaires» que chez les ouvriers [3].
C’est pourquoi, preuves scientifiques à l’appui, il n’est pas excessif de parler du thermalisme médical comme d’une thérapeutique sociale, surtout utile pour les citoyens qui doivent (ou ont dû) affronter des conditions de vie difficiles, professionnelles comme environnementales, imprégnées de stress, de vie trépidante et insécurisante, notamment dans les cités et les banlieues.
Comme les douleurs chroniques, la dépression, l’anxiété, la fatigue sont le lot de la vie quotidienne. Elles sont réellement handicapantes dans notre struggle for life. Nombre d’entre elles en sont d’ailleurs l’expression à peine masquée : lombalgies, cervicalgies, céphalées de tension, migraines, algies pelviennes ou digestives… témoignent, on le sait, d’un mal-être autant que d’un mal physique. Et nous avons maintes fois souligné combien ce « j’ai mal » signifie souvent « je suis mal (dans ma peau) », « je vais mal», «je me sens mal», c’est-à-dire implicitement «je me sens diminué, handicapé, dévalorisé, épuisé… ! ».
Une thérapeutique économique pour la société
Et le thermalisme dans tout cela? Les preuves scientifiques évoquées ci- dessus méritent certes d’être confortées par d’autres travaux, concernant d’autres indications du thermalisme, par exemple les troubles psychiatriques. Cependant, il serait critiquable de contester la confiance, actuelle comme multimillénaire, de ces centaines de milliers de malades qui viennent et reviennent en cure thermale en prenant à leur charge personnelle en moyenne 75 % des frais réels engagés pendant leur cure, ce qui représente un coût direct pour le malade compris entre 4 000 et 9 000 francs non remboursés pour l’ensemble de la cure en fonction des prestations dont il bénéficie.
Cette participation financière des malade souligne bien qu’ils attendent de la cure thermale un bénéfice durable leur permettant, fait appréciable, de réduire leur consommation de médicaments, entre autres d’antalgiques, d’anti-inflammatoires, de psychotropes.
Sachant le coût des dépenses pharmaceutiques en matière de douleurs et d’affections chroniques, l’on doit raison garder et s’interroger en toute indépendance d’esprit, sans verser dans la facilité des modes, sur les bénéfices du thermalisme dans ses indications justifiées. Ces bénéfices nous paraissent être de 2 ordres :
– améliorer de nombreux malades chroniques, sous leur double versant somatique et psychique (comorbidité dépressive si fréquente chez les lombalgiques chroniques par exemple) ;
– réduire les dépenses de santé face à ces fléaux sociaux, envisagés sous leurs aspects médical, psychologique, socio-professionnel et économique.
L’avenir est dans un thermalisme intégré dans un réseau de soins notamment utile pour les malades porteurs d’affections chroniques, handicapés dans leurs activités professionnelles (travailleurs exposés) et quotidiennes et ou vivant dans des conditions sociales difficiles. Cela confirme la valeur sociale d’un thermalisme médical, exigeant et économique face à l’indispensable nécessité d’optimiser les dépenses de santé.
À ce titre, le déremboursement des cures thermales dans leurs bonnes indications serait, à notre sens, une décision médicalement injustifiée, économiquement coûteuse pour les organismes de prises en charge et in fine fondamentalement antisociale.
Une thérapeutique à vocation écologique et environnementale
Nous vivons à l’ère de l’obsession d’un principe de précaution, justifié à la limite de ses excès, l’un d’entre eux étant le fantasme du risque zéro si cher à certains cénacles «scientifiques», où l’on cultive, au «chaud» des salles de réunions, la fantasmagorie de la sécurité absolue.
Or, quelle thérapeutique est totalement sans danger? Parmi celles qui offrent un maximum de sécurité, figure indiscutablement l’hydroclimato- thérapie dont les progrès, en matière de sécurité sanitaire, sont majeurs et dont l’exigence scientifique, en matière d’évaluation, doit être connue de tous et reconnue comme telle par les décideurs, politiques ou non.
Le nouvel environnement scientifique du XXIe siècle impose une médecine de très grande qualité, doublement exigeante en termes de sécurité et d’efficacité. L’hydro-climatologie apporte naturellement cette harmonie à des patients saisis par des affections invalidantes et incapacitantes, avec toutes leurs conséquences sociales et psycho-affectives, retentissant souvent lourdement sur leur vie quotidienne.
La prise en charge psycho-corporelle que réalise la cure thermale s’inscrit dans le concret d’impacts synergiques sur le corps et l’esprit, dans le sens du bel adage du Professeur Jean Bernard : «Maître cerveau sur son corps perché».
Le thermalisme est un peu à l’image des 3 unités de la tragédie classique : les fameuses unités de lieu, de temps et d’action. Mais avec la cure thermale, si l’on retrouve bien les unités de lieu et de temps, il existe au contraire une multiplicité d’actions et de prises en charge convergentes pour réconcilier «le corps et l’esprit» de ces coulâmes de milliers de malades en proie à la désespérance causée par une affection chronique rebelle aux autres thérapeutiques.
Nul doute que l’hydro-climatothérapie bien comprise, bien indiquée et bien pratiquée, se révèle à ce titre utile pour les malades et la société.
Évidence based thermal médecin
Cette question peut paraître provocatrice. Il n’en est rien, car c’est bien l’objectif de toute thérapeutique, médicamenteuse ou non, que de devoir se fonder sur les preuves les plus fiables possible. Avec la nécessité que la règle du «jeu» soit la même pour toutes les thérapeutiques et pour tous les protagonistes : ainsi faut-il évaluer la chirurgie, la crénothérapie, la rééducation fonctionnelle, les thérapeutiques physiques, la diététique et aussi bien sûr… l’homéopathie, avec des méthodologies adaptées, mais avec la même exigence d’indépendance d’esprit et de vérité.
Rappelons à cet effet notre exigence que la crénothérapie continue à bénéficier d’essais prospectifs, de type pragmatique, randomisés, comparatifs, portant sur des groupes de patients parfaitement définis et sélectionnés [21].
L’évaluation est en effet le maître mot de la médecine factuelle. L’évaluation est aussi la clef des bonnes pratiques pour toutes les thérapeutiques, et donc entre autres pour le thermalisme.
Car l’objectif est la détermination exigeante des bonnes indications et des bonnes pratiques du thermalisme dans le souci de l’efficacité, de la sécurité et in fine de Y utilité pour les malades, doublée d’un bénéfice économique éventuel (efficience) pour la société et les organismes de prise en charge.
Ceci implique que le monde thermal poursuive ses efforts entrepris dans le domaine de la sécurité au bénéfice d’une démarche qualité, déjà largement menée à la faveur des auto contrôlés effectués par les établissements thermaux qui s’y sont déjà largement engagés.
Comment financer les études cliniques
Le développement d’études cliniques de qualité impose des investissements financiers importants. Ce qui pose une fois de plus la question du financement de la recherche clinique, notamment en thérapeutique : dans notre rapport de Mission [5] remis à Monsieur François Bayrou, ancien Ministre, nous avions nous-même souligné, à cet effet, la nécessité de structurer un organisme national scientifique d’animation et de coordination des actions d’évaluation en hydro-climatologie, doté en outre de la mission de veiller à la qualité et à l’indépendance de ces études, ce qui
impose que les structures publiques sachent payer le prix de cette indépendance scientifique. Ce point de vue est partagé par G. Bouvenot et P. Ambrosi [2].
C’est à cette condition d’une évaluation scientifique indépendante que le thermalisme pourra continuer à relever, preuves à l’appui, son triple défi : médical, social et économique.
population. Communication à l’Académie nationale de médecine le 14 mars 2000. Bull Acad Nat Méd (sous presse).
[51 Que eau P. Rapport de mission ministérielle remis à Monsieur François Bayrou, Ancien Ministre de l’Éducation Nationale concernant l’institut d’Hydro-logie et de Climatologie en mai 1997.