Un contrôle immédiatement délégué aux industriels
Le contrôle du ratio bénéfice/risque des médicaments a en fait immédiatement été délégué par les pouvoirs publics à l’industrie pharmaceutique elle-même, ce qui est assurément un paradoxe. Mais c’était le moyen de demander un contrôle sans être accusé d’étatisme, donc en restant dans le cadre de la libre entreprise. Les premiers réformateurs thérapeutiques américains, très méfiants envers les industriels, avaient pourtant prévu que les essais cliniques seraient réalisés par des « groupes coopératifs » indépendants des laboratoires. Ils ne seront pas suivis.
Dans tous les pays, les pouvoirs publics ont, au fil du temps, exigé de l’industrie qu’elle fasse plus d’études de toxicité sur plusieurs espèces animales, plus d’essais cliniques, plus de pharmacovigilance (rapport des accidents et des effets secondaires après la mise sur le marché), et que l’ensemble soit toujours plus rigoureux. Mais dans tous les pays, les pouvoirs publics se sont toujours contentés de vérifier les résultats et les méthodologies utilisées à l’initiative des industriels. Ils demandent régulièrement des études supplémentaires, mais aucun Etat ne s’est doté d’un appareil indépendant qui lui permettrait de faire ses propres études de manière totalement autonome.
La productivité fabuleuse des chimistes, révélée par et après l’invention des sulfamides, devait trouver un mécanisme en aval capable de faire contrepoids. Les essais cliniques ont parfaitement réussi à canaliser les débordements des chimistes. Progressivement, l’industrie pharmaceutique s’est adaptée à ces demandes. Tous les laboratoires pharmaceutiques se définissent désormais autour de l’organisation de ce type d’épreuves. Sauf, on l’a vu, l’industrie des génériques.
Mais les choses ne se sont pas arrêtées là : les essais cliniques ont défini l’alpha et l’oméga de ce qu’est un médicament. Ils n’ont pas seulement été un outil de contrôle : ils se sont vite transformés en outil de régulation, puis sont devenus le cœur du processus d’invention lui-même. Le passage de la fonction de contrôle des essais cliniques à celle de régulation a des implications considérables que nous examinerons en détail dans les prochains chapitres. On a vu qu’un essai clinique revient à prouver que le candidat médicament que l’on teste est supérieur au médicament précédent, ou au placebo s’il n’existe pas déjà un médicament comparable. Dans cette économie qui n’a jamais rien à dire sur les raisons pour lesquelles un médicament marche ou ne marche pas, un médicament est toujours l’avant- dernier. Un autre viendra toujours se comparer à lui. C’est son destin. Il se trouve que cela va devenir la manière la plus simple de faire fonctionner la nouvelle machine de l’invention pharmaceutique. On verra que les essais cliniques contrôlés donnent une prime à l’invention de successeurs aux dépens de nouveautés radicales.
Mais avant que les essais cliniques contrôlés ne s’imposent à ions, l’industrie pharmaceutique va encore bénéficier, jusqu’à la lin des années 1960, de la possibilité de juger de l’efficacité de ses médicaments avec des études dites « ouvertes » : les molécules sont données à des patients qui sont en observation dans un service hospitalier sans procédure de contrôle particulière et sans méthodologie. C’est de cette manière que sera mise en évidence, en 1952, à l’hôpital Sainte-Anne, l’action bénéfique de la chlorpromazine chez des patients schizophrènes chez qui on avait pris l’habitude de tester toutes les molécules disponibles, comme on le faisait alors dans beaucoup d’hôpitaux psychiatriques de par le monde.
Vidéo : Un contrôle immédiatement délégué aux industriels
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