Témoignage d'un père
Témoignage d’un père
Monsieur M. est âgé de 30 ans. Il raconte son expérience :
J ai rencontré mon épouse il y a cinq ans, nous étions amoureux mais ne désirions pas d’enfant. Pourtant, deux ans plus tard, nous avons eu notre premier enfant: un garçon. Notre vie a basculé. Mon épouse traversait alors une période difficile : elle avait des problèmes au travail et ses relations avec sa mère et sa sœur étaient très tendues. Avant que je ne la rencontre, elle avait souffert d une longue période de dépression pour laquelle elle avait été suivie par son médecin et par un psychiatre ; mais lorsque je Fait rencontrée, elle était guérie et allait bien.
Lorsqu’elle m’a annoncé qu’elle était enceinte, je ne l’ai d’abord pas crue. Elle avait toujours refusé d’avoir un enfant. Elle m’a annoncé la nouvelle par hasard, au détour d’une conversation durant laquelle elle m’apprenait à la fois qu’elle était enceinte et qu’elle ne pensait pas garder le bébé. Je suis resté sans voix. Comment réagir à ces deux nouvelles contradictoires ? Allais-je devenir père ou pas ? Je n’ai pas été capable d’émettre un avis, je ne suis d’ailleurs pas sûr d’en avoir eu un. Je me suis alors concentré sur ma situation professionnelle qui me préoccupait : j’avais perdu mon emploi quelques mois auparavant et j’étais au chômage. Les jours passaient, ma femme ne parlait plus de sa grossesse, il n’était plus question de bébé. Son état s’est aggravé ; elle était toujours seule, en pleurs, angoissée, stressée, souvent agressive. Elle devenait infernale.
Tout était confus : souvent elle disait ne plus sentir le bébé dans son ventre, elle prétendait qu’il devait être handicapé. Par moments elle n’était plus sûre d’être enceinte. L’ambiance était lourde et angoissante à la maison. Je pensais qu’elle avorterait, je n’arrivais pas à m’imaginer père dans ces conditions. Mais le délai légal pour avorter est passé, ni elle ni moi n’avions eu le courage d’en parler vraiment. Il m’arrivait de détester ce bébé que je ne connaissais pas encore, j avais l’impression qu’il avait gâché ma vie. L’idée d’un éventuel handicap me perturbait, jamais je ne pourrai l’accepter. Je repensais à mon neveu né handicapé. Ma sœur avait beaucoup souffert. Elle avait fait une grosse dépression pendant la grossesse et après l’accouchement. En fait, dans ma famille, nous sommes tous un peu dépressifs : ma sœur, mon épouse, ma belle-mère. Moi-même j ai été déprimé pendant une courte période il y a quelques années.
Au cinquième mois de grossesse, ma femme refusait que je l’approche, je ne pouvais plus la toucher. Nous vivions à distance, loin l’un de l’autre. Puis son médecin la mise en arrêt de travail. Elle sortait peu, mangeait beaucoup, pleurait et criait énormément. Elle se négligeait, avait pris beaucoup de poids. Nous n éprouvions plus de désir l’un pour l’autre et n’avions plus de rapports sexuels.
Jusqu’alors, j’avais tout fait pour rester patient et compréhensif, mais je n’y arrivais plus. Le moindre détail m’irritait et je ne supportais plus rien: ni les pleurs, ni la présence de ma femme, ni ma vie qui n’avait plus aucun sens. J’ai commencé à déserter la maison. Je rentrais tard pour éviter de la croiser, pour ne pas subir ses cris et ses lamentations. Nous ne communiquions plus, chaque discussion se terminait en dispute, je devenais agressif verbalement puis physiquement aussi. Notre vie était devenue un enfer!
Les jours passaient, le ventre de ma femme prenait de plus en plus de volume. Je ne pouvais plus ignorer sa grossesse ; alors j’ai pris encore plus de distance, elle aussi. Je mangeais chez ma mère, sortais beaucoup avec mon frère et des amis, j’ai même eu une aventure avec une femme pendant quelques semaines. Avec elle, la vie était paisible, sans accros, cela me reposait des turbulences incessantes que je vivais à la maison. Cette relation extraconjugale me culpabilisait, mais elle m’aidait à traverser cette période de cauchemar. Pendant ce temps, mon épouse était de plus en plus seule, elle avait fait le vide autour d’elle. Je n’imaginais pas alors qu’elle avait besoin de moi, que ses cris et ses pleurs étaient des appels à l’aide.
Je ne lai pas soutenue, je le regrette aujourd’hui ! Il y a beaucoup de choses que je ne voulais pas voir à l’époque, c était trop, je me sentais perdu. J ai aussi évité de penser au fait que j allais devenir père, père d’un enfant peut-être handicapé… Je me sentais bien loin du père modèle que j avais rêvé d’être ! Un père qui se serait préoccupé de suivre la grossesse de sa femme, qui aurait assisté aux échographies, qui l’aurait soutenue durant les moments difficiles et qui aurait préparé la chambre du bébé. J ai vécu la grossesse de ma femme de loin, comme si cet événement ne me concernait pas. Je me sentais exclu et je me suis exclu moi-même. Ma femme ne cessait de me dire que je serai «un mauvais père» comme l’avait été son propre père. Elle ne voulait plus me voir et désirait que je quitte la maison…
Le jour de l’accouchement, elle s est rendue seule à la maternité. Je l’ai rejointe mais je ne voulais pas assister à l’accouchement, je n’acceptais toujours pas cet enfant. J’avais des crampes à l’estomac, je me suis demandé si j’avais un ulcère car je buvais et fumais beaucoup depuis quelques mois. Lorsque je suis arrivé en salle d’accouchement, ma femme souffrait beaucoup, elle pleurait, criait, ne voulait pas me voir. La sage- femme m’a proposé de quitter la chambre. Je suis rentré chez moi, j’ai bu et je me suis couché.
Ma belle-sœur m’a appelé tard le soir pour m’annoncer la naissance du bébé. Je n’ai pas dit un mot. Je ne lui ai même pas demandé si c’était un garçon ou une fille ; cela m’importait peu. J’avais toujours plus de crampes et de nausées. J’étais très angoissé à l’idée de devoir retourner à la maternité. Le lendemain, j’ai appelé mon frère pour qu’il m’accompagne. En arrivant, je marchais lentement, péniblement, je ne sentais plus mes jambes. Nous nous sommes trompés d’étage. Ma femme était seule, les yeux tuméfiés. Quand mon frère lui a demandé comment elle allait, elle a éclaté en sanglots. Elle lui a dit que les médecins avaient dû pratiquer une césarienne et qu’elle avait beaucoup souffert avant que le «monstre» n’arrive enfin. Elle a raconté que sa mère avait failli mourir en la mettant au monde et que c’était un miracle qu’elle ait survécu . J’ai compris à cet instant pourquoi elle répétait souvent que sa mère lui préférait sa sœur qui, elle, ne l’avait pas fait souffrir à l’accouchement Elle a aussi ajouté : «… comment pourra-t-on m’aimer encore si j’ai le ventre plein de cicatrices ?» Durant la visite, je suis resté près de la porte. J’osais à peine regarder ma femme, j’étais pétrifié et ne pensais qu’à partir. Finalement, mon frère lui a demandé où se trouvait le bébé. Ce n’est qu’à ce moment que j’ai pris conscience de ce qui s’était passé : ma femme avait eu un bébé, c’était mon enfant. Je me suis alors demandé où il était, pourquoi il n’était pas là. Petit-lait mort-né ? Ma femme a répondu que le « monstre » dormait avec d’autres « monstres » dans une pièce contiguë. Après avoir quitté la maternité, je me suis senti comme délivré, soulagé. Je n’ai même pas pensé aller voir le «monstre».
A la maison, j’étais angoissé à l’idée qu’un bébé puisse être là dans quelques jours. J’avais toujours mal au ventre et nulle envie de manger. Tout me paraissait noir. J’étais faible et me sentais vidé, par moments je ne tenais pas sur mes jambes. A croire que c’était moi qui venais d’accoucher. Lorsque ma belle-sœur m’a appelé j’étais tellement irrité et en colère que je l’ai insultée. J’étais même agacé par ma mère lorsqu’elle est passée me voir. J’en voulais au monde entier. Je ne suis pas retourné à la maternité. Lorsque ma femme est rentrée à la maison, je l’ai évitée tout comme le bébé qui dormait dans une chambre, seul. Ce n’est que six jours plus tard que je suis entré dans sa chambre pour le voir. Je n’ai rien ressenti, mais j’ai remarqué qu’il n’était pas handicapé et en fus très soulagé. Je n’étais pas totalement rassuré pour autant et ses pleurs incessants me laissaient penser qu’il pouvait être malade. A aucun moment je n’ai eu l’idée de le prendre dans mes bras.
Ma femme était aussi irritée et violente qu’auparavant. Aux pleurs succédaient les cris. Elle était devenue hystérique. Elle prenait rarement le bébé dans ses bras. Ma mère est venue l’aider. Quant à moi, je ne touchais pas l’enfant, je n’arrivais même pas à prononcer son prénom. « En avait-il un d’ailleurs?», me demandais-je parfois. J’étais encore plus
distant à l’égard de ma femme . je n’osais pas l’approcher.