Sous-alimentation et carences
Effets du jeûne
Chez l’homme, il existe des tissus capables de consommer indifféremment le glucose, les acides gras et les corps cétoniques et des tissus qui dépendent essentiellement du glucose comme source énergétique. Le système nerveux est très dépendant du glucose, mais au cours du jeûne prolongé, il s’adapte à l’utilisation des corps cétoniques.
On distingue trois situations de jeûne : le jeûne nocturne, physiologique; le jeûne de courte durée, moins de cinq jours; le jeûne prolongé, plusieurs jours ou semaines.
Réserves énergétiques de l’organisme
Chez le sujet non obèse, les réserves énergétiques sont essentiellement représentées par les triglycérides du tissu adipeux. Ces réserves sont de 100 000 Cal et sont rapidement mobilisables en cas d’agression.
Les réserves énergétiques sous forme d’hydrates de carbone et mobilisables sont faibles. Ce sont 80 Cal sous forme de glucose circulant et 250 à 300 Cal stockées sous forme de glycogène au niveau du foie. Les réserves musculaires en glycogène ne sont pas mobilisables car le muscle ne possède pas de glucose-6-phosphatase.
Bien que la masse protéique puisse être utilisée à des fins énergétiques (représentant environ 24 000 Cal) par la gluconéogenèse hépatique, elle n’est pas une réserve énergétique. Les protéines ont un rôle de structure,
un rôle enzymatique… La masse protéique représente la « masse active » de l’organisme en perpétuel renouvellement. Elle est estimée à environ 11 kg chez l’individu de référence. Le turnover protéique est important : 3 à 4 g de protéines endogènes par kg et par jour entrent dans le pool du catabolisme protéique, et environ 1 g/kg/j de protéines éliminées dans les urines est renouvelé par les protéines alimentaires (0,16 g N/kg/j).
Jeûne nocturne
Au cours du jeûne nocturne, il existe une adaptation de l’organisme à la carence en glucose exogène.
L’organisme vit sur ses réserves glucidiques et lipidiques. Il consomme du glucose, des acides gras et des corps cétoniques. La glycogénolyse hépatique délivre un débit de glucose régulier. La cétose physiologique s’accroît la nuit, témoin d’une lipolyse accrue. Cependant, les stocks hépatiques et circulants sont incapables d’assurer 8 à 12 h d’alimentation en glucose nécessaire au cerveau, au système nerveux central, à la médullaire rénale, aux hématies et aux leucocytes. Ces besoins sont assurés par la gluconéogenèse hépatique d’origine protidique.
Jeûne de courte durée
Lorsque le jeûne se prolonge au-delà de 12 h, des modifications métaboliques vont survenir. Pendant les cinq premiers jours, l’organisme fournit aux tissus glucodépendants le glucose nécessaire en puisant dans les réserves hépatiques en glycogène qui sont très limitées, en fabriquant du glucose essentiellement à partir des protides (gluconéogenèse hépatique) et en détournant la consommation de glucose uniquement vers les tissus glucodépendants. Après 5 à 8 jours de jeûne, l’organisme adapte son métabolisme : diminution de la gluconéogenèse protidique, consommation des réserves lipidiques, consommation des corps cétoniques par le cerveau, diminution de la dépense calorique globale.
1. Modifications des carburants circulants. — Au début du jeûne, la glycémie baisse et se stabilise vers le 3e jour passant de 0,77 à 0,65 g/l. Les acides gras libres sanguins doublent pendant les quatre premiers jours puis se stabilisent; le glycérol suit une évolution parallèle, témoin de la lipolyse. L’élévation des corps cétoniques (acétoacétate et P-hydroxybutyrate) se fait progressivement pour atteindre un plateau vers le 7e-8e jour; l’élévation est particulièrement nette pour le (i-hydroxybutyrate. Parallèlement à cette élévation des corps cétoniques, les bicarbonates baissent. Les concentrations de lactate et de pyruvate plasmatiques sont inchangées.
L’alanine sérique diminue brutalement dès le premier jour atteignant la moitié de sa valeur basale en une semaine, ceci correspond au début à une captation hépatique et rénale. L’évolution de la glutaminémie est
Identique. Les aminoacides branchés (valine, leucine, isoleucine) augmentent les sept premiers jours puis baissent à leur valeur basale.
Clycine, thréonine et sérine augmentent tout au long du jeûne, les autres .miinoacides diminuent. L’excrétion azotée urinaire augmente les 2e-3e jours (6 g/mVj), atteignant un maximum au 4e jour (7 g/m2/j) puis diminue, parallèlement à l’élévation puis à la chute de l’urée sanguine. Créatininurie, natriurèse et kaliurèse baissent. Le quotient respiratoire non protéique s’abaisse vers 0,7 au 8e jour.
2. Variations hormonales. — L’insulinémie diminue en 48 h à 50 p. 100 de ses valeurs basales (14 à 8 nU/ml), parallèlement à la baisse de la glycémie. Dès le 3e jour de jeûne, le glucagon double sa valeur et reste élevé tout au long du jeûne. L’hormone de croissance augmente les cinq premiers jours puis retourne à ses valeurs de base au 8e jour. Après huit jours de jeûne, la réponse insulinique à une charge en sucre est rapide mais diminuée, témoignant d’une mauvaise tolérance glucidique par rapport à l’état de base. La baisse de l’insulinémie favorise la lipolyse et la libération des acides gras.
3. Aspects quantitatifs de la consommation des carburants
Les travaux de Cahill et Owen ont montré qu’un homme normal de 70 kg, non dénutri, ayant une dépense énergétique de base de I 800 Cal, consomme après 24 h de jeûne 75 g de protéines essentielle-
ment d’origine musculaire, 160 g de triglycérides provenant du tissu adipeux et 180 g de glucose d’origine hépatique. Parmi les 180 g île glucose, 144 g sont utilisés par le tissu nerveux (essentiellement le cerveau) et sont complètement oxydés en eau, et en gaz carbonique; 36 h sont utilisés par les autres tissus glucodépendants (érythrocytes, leucocy tes, moelle, médullaire rénale et nerfs périphériques) jusqu’au stade ilr lactate et de pyruvate.
Les autres tissus non glucodépendants (cœur, cortex rénal, muscle* squelettiques) utilisent les acides gras libérés directement dans la circula tion ou les corps cétoniques provenant de l’oxydation hépatique do acides gras. Ceci a pour corollaire d’épargner les protéines.
4. Source du glucose utilisé. — Au court du jeûne, les tissus glucodè pendants utilisent du glucose endogène, fourni par le foie et le rein qui sont les seuls organes à posséder la glucose-6-phosphatase. Le foie a un rôle fondamental dans les mécanismes adaptatifs au jeûne court. Le* réserves endogènes en glucose de l’organisme sont incapables d’assurer les besoins glucidiques du second jour. Ces besoins sont assurés par lu gluconéogenèse à partir des acides aminés, du lactate et du pyruvate cl du glycérol.
Les 180 g de glucose utilisés quotidiennement proviennent de l;i glycogénolyse et de la gluconéogenèse. Le glucose néoformé provient des aminoacides pour 60 p. 100, du lactate et du pyruvate pour 25 p. 100 et du glycérol pour 15 p. 100.
- Cycle glucose-alanine. — Le rôle fondamental de l’alanine a été montré par Felig. Le cycle glucose-alanine permet au cours du jeûne de synthétiser au niveau du foie du glucose. Les étapes de ce cycle sont : i libération de l’alanine par le muscle; captation hépatique, transformation en glucose, libération du glucose, utilisation musculaire du glucose, transformation en pyruvate, transamination du pyruvate et formation de l’alanine. Les groupements aminés nécessaires à la synthèse d’alanine proviennent du catabolisme des acides aminés ramifiés (valine, leucine, 1 isoleucine). D’autres aminoacides glucoformateurs interviennent : glutamine, sérine, proline, thréonine, asparagine, glycine.
- « Cycle de Cori ». — Il permet la synthèse hépatique et rénale du glucose à partir du lactate et pyruvate provenant pour 60 p. 100 du glucose, 20 p. 100 de l’alanine, 20 p. 100 d’autres aminoacides et du glycogène musculaire. Ainsi 36 g de glucose sont formés. Le cycle de I Cori dont le rendement énergétique est faible a pour effet net d’épargner
- la gluconéogenèse d’origine protidique.
- Rôle du glycérol. — Le glycérol, dont l’entrée dans la cellule hépatique est libre, est fourni par l’hydrolyse des triglycérides et sert à la gluconéogenèse.
- Cétogenèse. — L’énergie nécessaire à la gluconéogenèse hépatique provient essentiellement de l’oxydation partielle des acides gras en acétyl coA (cétogenèse). De plus, la gluconéogenèse a un effet permissif sur lu cétogenèse en augmentant la dépense énergétique par le foie.
- Contrôle de la gluconéogenèse hépatique. — 11 est effectué par I apport en substrats eux-mêmes et certaines hormones. L’élévation du l’lucagon favorise la gluconéogenèse à partir des acides aminés et du l.utate. La diminution du rapport molaire insuline/glucagon stimule la ylycogénolyse et la gluconéogenèse. Les glucocorticoïdes favorisent la gluconéogenèse hépatique et le catabolisme protéique fournissant les mibstrats.
4. Source des substrats lipidiques. — Au cours du jeûne court, les lissus non glucodépendants utilisent 120 g d’acides gras et 60 g de corps i éloniques provenant du métabolisme des triglycérides du tissu adipeux.La cétose de jeûne représente ainsi une réponse adaptée de l’organisme à la carence en substrats énergétiques. Contrairement à la cétose insulinoprive, elle ne s’emballe pas en raison du frein exercé par l’insulinémie dont la Jeûne prolongé concentration est faible mais efficace sur la lipolyse.
Jeûne prilongé
La persistance de la consommation de 75 g de protides par jour est incompatible avec la survie. Au-delà du 5e jour de jeûne, l’organisme .ulupte son métabolisme en diminuant la gluconéogenèse protidique, en utilisant les réserves lipidiques, en consommant les corps cétoniques au uiveau du cerveau et en diminuant la dépense calorique totale.
1. Consommation des corps cétoniques par le cerveau. — le phénomène fondamental au cours du jeûne prolongé est l’adaptation du cerveau à utiliser les corps cétoniques comme source énergétique. Ces corps cétoniques dérivent de l’oxydation des acides gras par le foie. De ce fait, la gluconéogenèse hépatique d’origine protidique est diminuée Les corps cétoniques hydrosolubles passent facilement la barrière hémoméningée. Ce mécanisme d’adaptation a été démontré par Cahill. Cette adaptation correspond sans doute à une augmentation de l’activité de la P-hydroxybutyrate déshydrogénase, phénomène démontré chez le rat.
2. Modification de carburants circulants. — Au-delà de 7 jours de jeûne, les taux plasmatiques de glucose, acides gras libres et glycérol se stabilisent. Les concentrations de corps cétoniques continuent d’augmenter. Alanine et glutamine continuent de baisser. La baisse de production d’alanine par le muscle est peut-être due à l’augmentation des corps cétoniques dans le sang. Les acides aminés branchés baissent, tandis que glycine, thréonine et sérine augmentent. L’acide urique, dont l’élimination rénale est inhibée par les corps cétoniques, s’élève.
3. Variations des hormones circulantes. — Au-delà du 7e jour, l’insulinémie se stabilise vers 8 |xU/ml, tandis que la glucagonémie reste élevée.
4. Évolution de la dépense énergétique. — Au-delà de la première semaine de jeûne, la dépense calorique journalière diminue autour de l 500 Cal pour un homme de 70 kg. Cette dépense énergétique correspond à la consommation de 150 g de triglycérides du tissu adipeux, 20 g de protéines. La consommation de glucose, provenant de la gluconéogenèse, n’est plus que de 80 g dont 44 g sont utilisés par le cerveau et 36 g par les globules rouges et les leucocytes. 47 g de corps cétoniques sont consommés par le cerveau. Les autres tissus utilisent les acides gras libres et les corps cétoniques comme source d’énergie.
5. Modifications de la gluconéogenèse. — Lors du jeûne prolongé, la gluconéogenèse rénale devient quantitativement aussi importante que la gluconéogenèse hépatique. La production respective est environ de 40 g de glucose par jour. La gluconéogenèse rénale est stimulée au cours du jeûne par l’acidose métabolique. Elle utilise la glutamine véhiculée dans le sang, et vecteur de l’ammoniaque du catabolisme protéique musculaire. L’augmentation de la gluconéogenèse rénale s’accompagne d’une augmentation de l’ammoniogenèse (augmentation de l’excrétion urinaire de NH3). Il y a une diminution de l’excrétion rénale d’urée et de la charge osmotique urinaire. Ceci a pour corollaire la diminution de l’élimination de l’eau (jusqu’à 200 ml de diurèse par jour) et donc des besoins en eau.
Modifications cliniques au cours du jeûne
1. Amaigrissement. — Au début du jeûne, la perte de poids est rapide. L’important catabolisme protéique initial est associé à une augmentation de la charge rénale en urée, calcium, potassium et magnésium qui nitraînent une diurèse osmotique. L’hyperglucagonémie entraîne une luite tubulaire rénale de sodium. Cette phase initiale natriurétique est n sponsable de la perte de poids importante constatée au début du jeûne.
I a natriurése est résistante aux minéralocorticoïdes et au régime isocalo- nque en graisses; par contre, une charge en glucose inhibe cette phase probablement en inhibant la sécrétion de glucagon. La diminution de la masse maigre contribue à la perte de poids. Par contre, au cours du irûne prolongé, la perte de poids est due en grande partie à la lipolyse.
2. Modifications des organes et des systèmes au cours du jeûne prolongé
- Système cardiovasculaire. — Le muscle cardiaque s’atrophie, on note une fragmentation des myofibrilles à l’histologie. Cette atrophie peut être expliquée par une demi-vie rapide de l’actine et de la myosine (2 à 3 jours).
A l’électrocardiogramme, il existe un allongement de l’espace QT, une diminution de l’amplitude des complexes et une déviation axiale droite. Radiologiquement, la taille du cœur diminue. Au cours du jeûne très prolongé, à l’état prémortem, on note une bradycardie, une diminution du débit cardiaque, une élévation de la pression veineuse centrale et une hypotension.
- Fonction respiratoire. — Il existe une diminution voire une abolition de la réponse ventilatoire à l’hypoxie. Chez le rat, il a été montré des modifications des propriétés élastiques du poumon.
- Foie et pancréas. — Au début du jeûne, on note une diminution du glycogène hépatique et une stéatose. Au cours du jeûne prolongé, les réserves en graisses et en protéines diminuent, mais le nombre d’hépato- cytes reste inchangé. Les tests de fonction hépatique sont en règle normaux, sauf la clairance de la BSP qui est abaissée.
Il existe au cours du jeûne prolongé une atrophie des acini et une fibrose pancréatique responsables d’une diminution des sécrétions enzymatiques protéolytiques, lipolytiques et amylasiques. Par contre, les îlots ne sont pas altérés.
- Tractus intestinal. — Au cours du jeûne prolongé, la vidange gastrique et le transit intestinal sont ralentis. La masse intestinale (surtout intestin grêle) est diminuée. La surface d’absorption est réduite du fait d’une atrophie villositaire; les activités disaccharidasiques (notamment lactase) sont altérées. L’absorption des graisses et des glucides est réduite.
- Protéines viscérales. — Le catabolisme protéique touche les protéines viscérales qui diminuent : albumine, préalbumine, rètinol binding protein, transferrine, ribonucléase.
- Modifications hématologiques et immunitaires (cf. p. 211). — Des carences en vitamines et en oligoéléments interviennent également.
Jeûne au cours des états d’agression
L’état de jeûne chez les malades en état d’agression (traumatisme, chirurgie, brûlures) est une situation métabolique particulière.
- Augmentation des dépenses énergétiques (contrairement au sujet sain). — Ceci est associé à une augmentation de la consommation d’oxygène. Ainsi, les dépenses énergétiques sont augmentées de 15 à VI p. 100 après une fracture d’un os long, 25 à 50 p. 100 en cas de péritonites et de 50 à 100 p. 100 en cas de brûlures étendues, de 7 il H p. 100 par degré fahrenheit d’élévation thermique.
- Hypercatabolisme protéique musculaire. — Il est proportionnel à lu sévérité de l’affection. Cet hypercatabolisme est caractérisé par une élimination azotée urinaire importante pouvant dépasser 20 g/j ce qui correspond à une perte musculaire quotidienne de 500 g.
- Hyperglycémie. — Le jeûne au cours des états d’agression est caraclè risé par une hyperglycémie, due à une augmentation de la gluconéogr nèse hépatique à partir des acides aminés (notamment l’alanine), du glycérol et des acides gras libres. Cependant, l’oxydation du gluco.sc n’est pas diminuée mais au contraire augmentée, et l’hyperglycémie est due à une production de glucose par la gluconéogenèse supérieure au taux d’oxydation.
- Augmentation des substrats lipidiques à des fins énergétiques.
- Il existe une augmentation du taux des acides gras libres circulants et du turnover du glycérol, témoin d’une lipolyse intense. Cependant, il n’y u pas d’augmentation des corps cétoniques du fait d’une augmentation de la sécrétion d’insuline.
- On note une augmentation de l’insulinémie, mais relativement basse par rapport au degré d’hyperglycémie, une hyperglucagonémie, le rap port I/G restant bas. Il existe une élévation des glucocorticoïdes et dru taux urinaires d’adrénaline et de noradrénaline.
- Hyperactivité sympathique. — Elle caractérise le jeûne au cours de* états d’agression. Les catécholamines inhibent la sécrétion d’insuline, expliquant les taux d’insulinémie relativement bas par rapport aux taux de glycémie. Ces taux d’insulinémie, bien que suffisants pour diminuer la cétogenèse, sont insuffisants pour inhiber le catabolisme des triglycéri des tissulaires. Cette lipolyse, favorisée aussi par les catécholamines, libère des acides gras libres. Les acides gras libres semblent inhiber l’utilisation et l’oxydation du glucose au niveau musculaire, le transport du glucose, la glycolyse et l’oxydation du pyruvate; par contre, ils semblent augmenter la transformation du glucose en glycogène. Le» acides gras libres sont peut être un facteur supplémentaire de l’insulinorè sistance observée chez ces malades.
- Les catécholamines stimulent la sécrétion de glucagon qui favorise la gluconéo genèse hépatique.