SIDA et médecines douces
Maladie nouvelle, maladie mortelle, maladie symboliquement chargée, le SIDA réunit les caractéristiques susceptibles d’attirer l’attention de tous ceux qui font profession ou rêvent de guérir et de soulager leurs semblables, comme de ceux qui cherchent à s’enrichir. Ils s’y sentent volontiers encouragés par les réactions des uns et des autres. Ainsi les séropositifs, et plus encore ceux que la maladie a rattrapés, sont-ils à l’affût de toute proposition capable d’entretenir l’espoir de survie ou de l’allonger et de l’améliorer. Nombre de patients font partie de groupes ou d’associations qui, tout à la fois, se méfient des faux espoirs et exigent les efforts de tous pour vaincre l’épidémie et venir en aide aux personnes atteintes. De leur côté, certains chercheurs ou spécialistes officiels, dans leur ardeur à trouver les moyens de venir à bout d’une maladie aussi frappante, ont parfois publié un peu précipitamment des résultats favorables ou défavorables obtenus avec des substances en cours d’étude.
De telles attitudes ont pu contribuer à encourager certains «inventeurs» de solutions miracles à lancer leur méthode sans s’encombrer d’autres preuves que leurs certitudes. Certains demandeurs ont été portés par ailleurs à mettre dans le même sac toutes les formes de thérapeutiques : éprouvées ou non, à visée curative ou adjuvante, venues de la médecine officielle, de thérapeutes d’occasion ou de métier, et parfois de «charlatans» et d’escrocs. De même, la notion de protocole compassionnel, qui a permis, notamment aux États-Unis, la mise en œuvre précoce et simplifiée d’essais thérapeutiques à l’intention de personnes condamnées, rend licite aux yeux de certains les recours les plus fantaisistes. II. n’est pas jusqu’aux politiques qui ne prêtent parfois la main à des entreprises discutables. Dans le foisonnement des tentatives thérapeutiques, on peut malgré tout discerner des courants bien différents les uns des autres.
Une aide mesurée
Les médecines douces les plus répandues ont tout naturellement été sollicitées. Beaucoup ont trouvé dans les caractéristiques mêmes de la maladie une incitation à intervenir. Ainsi celles qui, comme l’homéopathie par exemple, se proposent de stimuler les défenses du patient, pouvaient espérer allonger la période de latence de la maladie et favoriser la résistance des malades aux infections opportunistes. C’est ainsi que certains homéopathes proposeront, outre les remèdes indiqués selon ses méthodes habituelles, des dilutions d’acides nucléiques, espérant agir contre le virus, ou des dilutions des différents médicaments allopathiques utilisés pour en diminuer les effets secondaires. Les acupuncteurs s’efforcent, quant à eux, de renforcer les défenses, d’agir sur des symptômes tels que la diarrhée ou l’amaigrissement. Oligothérapeutes, naturopathes et nutrithérapeutes visent à peu près les mêmes objectifs avec leurs moyens propres. De même, nombreuses sont les recherches, officieuses ici, comme celles du docteur Tubéry sur deux plantes africaines, officielles là, comme à Sait Lake City aux États- Unis sur une quinzaine de plantes : personne ne saurait affirmer pour l’instant que l’une d’entre elles puisse constituer un traitement curatif. Bien souvent, les associations, les groupes de malades, mettent en place des réseaux de thérapeutes proposant des moyens modestes et variés susceptibles d’améliorer la qualité de vie et le moral des patients. À côté des méthodes classiques, de l’acupuncture à l’homéopathie, on trouve des adeptes de l’hydrothérapie du côlon, de l’opothérapie qui propose extraits de thymus, de rate ou de testicule, de l’ozonothérapie et de bien d’autres techniques dont la valeur n’est pas prouvée. Les méthodes de visualisation positive, d’abord instituées comme aides au traitement des cancers, ont trouvé avec le SIDA un terrain d’application, au moins dans la mesure où elles permettent de mieux vivre la séropositivité et les épisodes pathologiques. Enfin, de façon générale, on ne saurait négliger les bienfaits psychologiques qu’exercent certains de ces thérapeutes, lorsqu’ils n’entretiennent pas d’espoirs insensés chez leurs patients, mais sont capables de stimuler leur volonté de se prendre en main, de les écouter attentivement et chaleureusement.
Gare aux imposteurs !
Dès lors que les ambitions affichées dépassent de tels niveaux d’aide, la méfiance s’impose et ne manquera pas de croître avec les prétentions des thérapeutes et leurs exigences financières. Quelques-uns en tirent surtout de substantiels bénéfices, voire de petites fortunes, tel ce professeur Jurasinas qui a gagné’ quelque neuf millions de francs avant d’être arrêté en 1991 pour exercice illégal de la pharmacie.
Beaucoup croient cependant sincèrement aux capacités de leur méthode à faire disparaître une séropositivité, voire à guérir la maladie. On peut citer l’exemple d’une femme qui se disait immunologiste chinoise et se proposait de guérir le SIDA à l’aide de plantes asiatiques dont elle tirait de bons profits, jusqu’à ce que l’association Aides à laquelle elle proposait ses services mette en évidence l’inefficacité de la méthode. Il arrive que des thérapeutes d’occasion prescrivent l’abandon de toute autre thérapeutique que la leur, en particulier de celles préconisées par la médecine officielle, considérées par eux comme néfastes, voire responsables des manifestations pathologiques de la maladie. Ainsi le docteur Miesch interdisait aux patients tout autre traitement que ses prescriptions très personnelles, censées négativer les tests sanguins. Il s’agissait en fait d’un puissant anti-inflammatoire, capable en effet de négativer un temps les tests, mais en aucun cas d’éliminer le virus et sa capacité à se multiplier. Quoi qu’il en soit, il paraît pour le moins imprudent de priver des patients de médications, certes imparfaites puisque pour l’instant, la guérison ne peut raisonnablement en être attendue, mais aux effets favorables largement reconnus.
L’affaire Beljanski est une bonne illustration de ces difficultés. Cet ancien chercheur avait été évincé de l’institut Pasteur par son patron, Jacques Monod, pour un désaccord scientifique. Entretemps, Beljanski avait poursuivi des recherches personnelles qui avaient notamment abouti à la mise au point de substances que le chercheur considérait comme actives contre le SIDA. Désireux à la fois de diffuser ses traitements et d’être reconnu par la communauté scientifique internationale, Beljanski a mené un double combat. Il s’appuyait d’un côté sur une association aux méthodes commerciales discutables pour distribuer ses produits, de l’autre s’efforçait désespérément d’obtenir l’évaluation scientifique de ses produits. Les résultats des premiers travaux, finalement engagés, ne sont d’ailleurs pas très encourageants. Mais on ne peut que se féliciter de tous les efforts entrepris pour essayer d’évaluer des traitements parallèles largement répandus malgré leur efficacité incertaine.