Psychologie du vieillissement : Le deuil
Brel, dans sa chanson Les vieux a écrit que «celui des deux qui reste se retrouve en enfer». Le deuil est un processus complexe qui n’est pas dépourvu de sentiments paradoxaux.
Dans le film Le chat, Signoret et Gabin jouent le rôle d’un vieux couple haineux et dépendant l’un envers l’autre. La mort de la femme entraîne pourtant immédiatement le suicide de son conjoint. Mais le veuf ou la veuve peut aussi être joyeux(se) et éprouver un sentiment de libération, particulièrement dans le cas où le conjoint décédé était despotique. Dans de nombreux pays, les traditions religieuses veulent que la veuve ou le veuf porte des signes ostentatoires de chagrin feint ou sincère. Par exemple, la femme après la perte de son époux peut porter des vêtements noirs jusqu’à la fin de ses jours. Ces traditions ont tendance à disparaître actuellement dans les pays industriels. Enfin, si le veuvage est ambigu, le deuil d’un enfant est la plupart du temps vécu par les parents comme une profonde injustice. Il n’est pas rare d’observer un état de deuil indépassable.
Selon Pincus (1976), le processus de deuil peut être divisé en trois phases principales : phase initiale, phase intermédiaire et phase de dépassement ou de récupération.
La phase initiale
Elle correspond aux semaines qui suivent le trépas. La personne est choquée et ressent des sentiments confus où se mélangent la solitude, le chagrin et l’incrédulité. Elle est dans un état dépressif ou semi-dépressif, la tristesse et les pleurs dominent le tableau clinique.
Kalish (1984, 1985, 1987) a réalisé toute une série d’écrits sur la question des sentiments éprouvés lors de cette phase du deuil. Le plus fréquent est celui de profonde tristesse et de mélancolie qui est observé dans 80 % des cas. Le deuxième, observé chez un tiers des personnes, est l’incrédulité. Dans 25 % des situations, le déni est présent. La personne se comporte comme si le trépassé était encore vivant. Elle peut prétendre qu’on lui ment. Sous sa forme la plus aiguë, le déni se manifeste par une perte totale de lucidité qui peut faire craindre l’apparition d’un tableau psychiatrique grave. Mais, dans la plupart des cas, il est protecteur voire salvateur car, quand le chagrin est trop fort, des comportements suicidaires peuvent apparaître.
La phase intermédiaire
Quelques semaines après le trépas, le survivant présente un pattern psychologique possédant trois caractéristiques et témoignant qu’il est rentré dans la deuxième phase de son deuil, la phase intermédiaire. Tout d’abord la personne ressent un besoin de «marchander» avec la mort à travers des sentiments de culpabilité et de responsabilité. «Me suis-je bien comporté ?», «N’ai-je pas hâté son trépas ?», «Ai-je pris les bonnes décisions ?», telles sont les questions. Elles sont particulièrement cruelles dans le cas où le trépassé s’est suicidé. Dans environ 15 % des cas, le sentiment de culpabilité prend un aspect obsessionnel. Deuxième caractéristique, la personne essaye de comprendre pourquoi son proche est mort. Il s’agit d’un travail psychologique dont la finalité est de donner du sens et de contextualiser l’événement dramatique. Enfin, la troisième caractéristique est la recherche du défunt. On ressent sa présence, on l’entend, on lui met son couvert. Certaines périodes de l’année sont propices à la réémergence de sentiments paroxystiques tels qu’une profonde tristesse. Ce sont des périodes où le souvenir du disparu est particulièrement vivace. Les anniversaires et les fêtes déclenchent particulièrement cet état. De la disparition de ces sentiments dépend l’issue du deuil, c’est-à-dire l’entrée dans la phase de dépassement.
La personne ressent alors le besoin de poursuivre sa vie et de faire des projets. Elle peut ressentir une impression d’épanouissement et il n’est pas rare qu’elle se sente psychologiquement plus forte, en particulier vis-à-vis des événements dramatiques. La personne sort alors de son deuil libérée et disponible pour une nouvelle vie.
La phase de dépassement ou de récupération
L’accompagnement et le soutien aux personnes endeuillées ont pour finalité de les amener dans la troisième phase. Il est observé assez souvent que la personne âgée endeuillée ne parvient pas à réaliser ce travail de deuil. Si les sentiments que nous avons décrits perdurent au-delà de deux à trois ans, la personne peut alors présenter un tableau de deuil pathologique. Le symptôme le plus fréquent est un sentiment de culpabilité démesuré et obsessionnel. Des troubles de l’appétit, du sommeil et du jugement apparaissent. L’estime de soi est très dégradée et la fuite dans la solitude est considérée comme le seul remède à un profond sentiment de honte. Le devenir de ces personnes est en général très inquiétant. On peut dire qu’elles se laissent mourir de chagrin.