Pour situer l’anorexie mentale
Quand tout allait si bien…
L’apparition de la symptomatologie de l’anorexie est pour bien des familles comme le coup de tonnerre dans un ciel serein. Vraiment rien ne laissait présager la survenue d’une conduite aussi bizarre, aussi entêtée, absurde : jusque-là, « tout était parfait ».
C’était une enfant sage, raisonnable, apparemment autonome, travaillant bien en classe, investissant dans une activité, un sport. Et ce monde sans conflits, tournant comme une horloge suisse, va s’emballer, s’accélérer comme si quelque force démoniaque s’était emparée du mécanisme.
Action traumatique de la puberté :
Cette « force démoniaque » résulte de l’action conjuguée de forces internes et externes excitées par le bouleversement physiologique et psychique de la puberté.
L’âge de survenue de l’anorexie mentale se situe majoritairement de façon péripubertaire, exprimant bien l’impasse devant les remaniements et repositionnements de l’adolescence, mais aussi du même coup soulignant les défauts de la construction antérieure, celle qui semblait si parfaite. Cette perfection, idéalisée par les anorexiques et en relation avec les attentes inconscientes des parents, va se trouver menacée par les débordements du corps : « Quand j’ai eu mes premières règles, j’ai eu très peur. J’étais seule. J’étais chez ma grand- mère. De toute façon, je ne pouvais pas en parler à ma mère. Je pensais qu’elle ne pouvait pas comprendre ».
Je ne comprends pas, je pense que ma mère ne peut pas comprendre : le sang qui coule et qui appelle un sens qui ne vient pas. Avec le sang, c’est un voile qui se déchire, celui de l’Eden d’avant la chute, celui de l’amour céleste, aérien, divin, où la fillette se plaisait à incarner cette enfant parfaite, objet du désir parental.
Puberté et féminité en question :
Ouverture et gonflement sont les deux caractéristiques de la féminité qui se manifestent à Travers les transformations pubertaires, et la potentialité d’une sexualité génitale. Cette ouverture du corps à l’autre interroge, particulièrement chez la femme, la qualité de son fonctionnement narcissique.
Car la puberté pour une fille, c’est le corps qui s’ouvre ou se rouvre, à en saigner. Les défenses narcissiques en réaction à des angoisses archaïques sont mobilisées. Est-ce que la pénétration peut être envisagée psychiquement sans qu’elle résonne inconsciemment d’un trop grand risque d’éclatement, d’éviscération voire de morcellement ? Est-ce qu’elle peut être vécue autrement qu’une effraction qui peut faire vaciller les limites de ce qui est moi ou non-moi ?
Défenses contre l’angoisse :
Le contrôle :
L’anorexique va donc se défendre comme elle le peut, en tentant un contrôle généralisé : il ne faut surtout pas se laisser surprendre, déborder. Le moindre imprévu est une brèche inquiétante qu’il faut colmater au plus vite : tâche sans fin.
L’hyperactivité et le contrôle de type obsessionnel : rituels et compulsions, notamment à compter, organiser sans cesse, travailler sans cesse, sont destinés à maintenir une activité constante de la pensée pour tenir à distance toute effraction possible, toute représentation susceptible d’être gênante.
Mais cette tentative de refouler toute représentation ou fantaisie à caractère sexuel échoue, d’autant que plus elle contrôle et plus la relation à l’aliment se colore sexuellement, renforcée dans la relation aux parents qui rejouent le : « une cuillère, pour l’amour… de Papa ou de Maman ».
L’anorexique peut alors se trouver assiégée, en proie aux tentations intimes, à des représentations orgiaques obsédantes, compulsives. Elle cherche à fermer toutes les portes, et elle s’isole de plus en plus. Le repli est sa seule issue de secours.
Le déni :
Nous évoquions deux aspects de la féminité et si nous avons surtout insisté sur l’ouverture et le risque potentiel que celle-ci fait peser chez l’anorexique, c’est que l’autre aspect, le gonflement, est articulé à celui-ci et y renvoie comme potentialité.
Ses formes naissantes et les regards qu’elle sent s’y poser deviennent dangereux : c’est pourquoi elle est encore et toujours trop grosse, même quand elle est famélique.
C’est le point où s’origine le déni de son image du corps. Car se trouvant toujours « trop grosse », elle continue à travers le déni de son corps squelettique à dénier son corps toujours trop gros de désirs, de pulsions et de sang. C’est celui-là qu’elle continue à voir dans le miroir.