placebo et les d'amères pilules
Le goût amer ou l’odeur nauséabonde de telle ou telle préparation ont été largement exploités en phytothérapie, même si le sujet a été peu étudié objectivement. Les plus âgés parmi les lecteurs se souviennent probablement de l’abominable huile de foie de morue que des générations d’enfants supposés malingres ou prérachitiques, ont dû ingurgiter de gré ou de force. « C’est mauvais mais – c’est pour cette raison que – ça fait du bien. » Bourreaux d’enfants !
Aujourd’hui, la voie d’administration la plus fréquemment utilisée en Occident est la forme orale – comprimés, gouttes, sirop ou gélules. Pendant quelque temps, la forme sublinguale a été très à la mode dans les services d’urgence et autres SOS médecins. Laisser fondre le comprimé dans la bouche permettait théoriquement un passage direct « de la papille au neurone ». Bien que n’ayant jamais fait l’objet de la moindre mention dans le Vidal, les promoteurs n’hésitaient pas à en faire état, suboralement bien entendu.
Il y a quelques années, j’avais donc été contacté par l’une des firmes en question afin de vérifier cliniquement la réalité de l’intérêt de la fameuse forme sub-linguale. Le protocole que j’avais alors mis en place, avec le concours de SOS Lyon-Médecins, était simple. Lorsque le praticien des urgences était appelé pour une crise d’angoisse, il prescrivait, en double aveugle, soit un comprimé placebo à avaler plus un comprimé actif à sucer, soit le contraire, c’est- à-dire sucer un placebo et avaler un comprimé actif. Puis, muni d’un chronomètre, le médecin s’installait tranquillement à côté du patient et attendait, montre en main, que l’angoisse s’apaise. Les résultats déçurent fort le laboratoire aussi bien que les médecins de SOS. Aucune différence ne fut constatée entre les deux formes de traitement, l’angoisse disparaissant en un temps record de cinq à dix minutes, plus vite encore que ne pouvait le laisser prévoir la pharmaco- cinétique. Dans un contexte d’urgence, le fait de rester assis tranquillement à côté de l’anxieux et, forcément, pour meubler, de bavarder un peu, au lieu de foncer vers l’appel suivant, possède en soi un effet puissamment anxiolytique.
Ne pas avaler tout de suite le comprimé, le sentir dans la bouche qui fond peu à peu, tout comme les délicieux bonbons de notre enfance et vite oublier l’angoisse grâce à l’attention portée au bonbon- comprimé et au gentil et rassurant Papa-Docteur qui n’hésite pas à prendre sur son précieux temps, tout cela a probablement favorisé un effet placebo majeur. Qu’importe ! Finalement, seul compte le résultat. Les
comprimés anxiolytiques sublinguaux ont encore de beaux jours devant eux et qui s’en plaindra? Mais pourquoi ne pas tenir compte de ce type de données et former les cow-boys de SOS médecins à prendre un peu plus de temps, à s’arrêter un peu plus longtemps au chevet de leurs malades anxieux? Très probablement, le simple fait de prolonger, même légèrement, le temps consacré à chaque intervention médicale dans ce type de pathologies pourrait souvent contribuer à augmenter l’efficacité du traitement et à réduire d’autant la consommation de psychotropes.
Le fait de percevoir, de ressentir, d’une façon ou d’une autre, le passage du produit joue dans l’efficacité du traitement. Dans beaucoup de services hospitaliers et de cliniques, lorsqu’un patient arrive très déprimé, il est habituel de lui proposer de recevoir l’antidépresseur en perfusion, « pour accélérer la guérison ». Un auteur savoyard, Jean-Paul Chabannes, a décidé de vérifier cette assertion par la méthode du double aveugle contre placebo. Les patients, tous déprimés, ont été répartis en quatre groupes tirés au sort. Le premier groupe recevait une perfusion d’antidépresseur; le deuxième groupe recevait exactement la même dose d’antidépresseur, mais en comprimé ; le troisième groupe recevait une perfusion de placebo et le quatrième groupe des comprimés placebo. Bien entendu, ni l’investigateur, ni le malade déprimé endogène ne connaissait la nature exacte du traitement reçu. Au bout de douze jours – ce qui est une période très courte pour évaluer un effet antidépresseur « vrai », mais suffisante pour évaluer un effet placebo sur la dépression – sur vingt-huit patients traités, neuf étaient guéris, trois étaient améliorés, quatre avaient vu leur symptomatologie « positivement modifiée ». Les douze patients guéris et améliorés (soit près de 43 % du total) furent regroupés : quatre appartenaient au groupe perfusion active, quatre, au groupe comprimés actifs, deux au groupe perfusion placebo et deux au groupe comprimés placebo. Conclusions ? Un peu plus de 57 % des patients recevant l’antidépresseur vrai avaient bénéficié du traitement, alors que le score n’atteignait que 28,5 % sous placebo. Dans les limites de cette étude (faible nombre de sujets inclus, faible durée des investigations), l’antidépresseur était bien supérieur au placebo. En revanche, aucune différence d’efficacité ou de rapidité n’existait entre la forme perfusion et la forme comprimé, que l’on utilise du produit actif ou du placebo.
Est-il dès lors éthique de continuer à proposer des perfusions d’antidépresseurs puisque cette voie d’administration comporte un risque mineur mais réel (septicémie, lymphangite…) et entraîne une douleur lors de sa mise en place? La réponse doit pourtant être prudente, car le fait d’être perfusé, quel que soit le contenu de la perfusion, amène une reconnaissance officielle de la maladie et lui donne un label de sérieux. La dépression, aux yeux du déprimé et de son entourage, n’est plus un état d’âme, la création d’un esprit névrosé ou sans volonté, mais un processus pathologique grave, traité sérieusement par des procédés proches de ce que l’on voit en services de réanimation. La perfusion permet également au patient de « se laisser aller », de s’abandonner aux soins, de régresser même. Elle amène les infirmières à s’intéresser de plus près au malade, à le materner un peu plus, à établir un contact non verbal avec ces patients souvent mutiques. Enfin, par sa sophistication, la perfusion semble susceptible de redonner un espoir supplémentaire au patient et par là même d’augmenter les chances de guérison. Rien de rationnel donc dans les perfusions d’antidépresseurs, mais un moyen de prise en charge psychothérapique. L’invocation de cette technique reste l’un des seuls arguments, pour le médecin qui
adresse le malade comme pour l’institution psychiatrique qui l’accueille, permettant de justifier l’hospitalisation : « Je vais vous adresser dans un service (moderne) où l’on vous posera des perfusions. » Reste à savoir si, en cas d’accident et de procès, les juges seraient sensibles à cette argumentation non pharma- cologique et dangereusement impressionniste. De fait, dans certains pays comme les États-Unis ou l’Australie, cette technique, jugée inutile et dangereuse, a pratiquement été abandonnée.
Pour des raisons similaires s’est développée dans de nombreux centres de prise en charge de l’alcoolisme toute une mythologie de la « piqûre chauffante », technique qui consiste à injecter par voie intraveineuse du sulfate de magnésie. Ce produit a pour particularité de donner une impression de chaleur, le long du trajet de la veine. En l’absence de toute preuve attestant un quelconque effet pharmacologique spécifique, il est plus que probable que c’est uniquement cette sensation rassurante de réchauffement qui aide les patients à ne plus prendre d’alcool. Le même principe semble également fonctionner dans la spasmophilie avec les injections intraveineuses de calcium ou de magnésium. Dans le même registre, mais en plus sadique, il arrive que, dans certains cas, le patient supposé hystérique ou « mauvaise tête », puisqu’il « refuse » de guérir, finisse par indisposer l’équipe soignante dont la toute-puissance thérapeutique se trouve remise en cause. La décision consciente de « placebothérapie- sanction » est alors prise au moyen d’injections intramusculaires d’eau distillée, douloureuses bien qu’en principe inoffensives. L’eau distillée est, en règle générale, préférée au sérum physiologique, pratiquement indolore, de façon à ce que le malade « sente bien » à quel point l’on s’occupe de lui!
Cela nous amène à la question des effets secondaires. Si, par exemple dans la dépression, est prescrit un produit comme l’atropine, théoriquement déni’., d’effet antidépresseur mais provoquant des efi« secondaires comparables à ceux des antidépresse1″ ‘ les plus courants, l’effet thérapeutique du place! >o atropine sera supérieur à l’effet antidépresseur d’un placebo pur dénué d’effets latéraux. Il est d’ailleurs clair, au moins dans un premier temps, que, le plus souvent, médecins et malades jugent l’efficacité d’un médicament davantage à ses effets dits secondaires qu’à son action pharmacologique.
Tout récemment, j’ai été amené à étudier un médicament V., stabilisateur de l’humeur, produit ancien et particulièrement bien toléré. Le protocole effectué en double aveugle prévoyait quatre périodes successives d’un mois, placées dans un ordre aléatoire : deux périodes sous placebo, deux sous V. À la fin de chaque période, en fonction de leur état jugé sur le mois qui venait de s’écouler, les malades devaient parier et indiquer s’ils pensaient avoir reçu du placebo ou du V. au cours de la période écoulée. L’expérience a montré qu’au moment du pari, la possibilité (une chance sur deux) d’avoir été sous placebo était régulièrement oubliée, refoulée par les intéressés. Nous nous sommes vite aperçus qu’il fallait souvent la leur rappeler. Tout aussi régulièrement, les mêmes sujets ont parié en se fiant principalement aux effets secondaires qu’ils avaient ressentis ou pensé ressentir : ils se sont donc trompés systématiquement en raison de la très bonne tolérance du produit actif. Peu d’entre eux, avant de parier, ont pensé tout simplement à se demander si, au cours du mois écoulé, ils allaient bien ou non.
Vidéo : placebo et les d’amères pilules
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : placebo et les d’amères pilules
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