Peut-on encore sentir un membre que l'on a perdu ?
Des jours, des semaines, des mois, parfois des années après leur opération, les amputés affirment sentir le membre qu’ils ont perdu. Beaucoup en souffrent À l’appui de cette sensation, certains invoquent la météo ou le cycle des saisons, d’autres leur moral du moment. Étudiés depuis peu, les « membres fantômes » révèlent un fonctionnement du cerveau que l’on était loin d’imaginer il y a vingt ans à peine.
Par membres amputés, on entend bien sûr les bras, les mains, les pieds et les jambes, mais aussi les seins, les viscères, la langue, le pénis et les testicules. Il arrive même que des tétraplégiques sentent leurs membres inertes. Les personnes paralysées des bras ou des mains en raison d’une « avulsion du plexus brachialis » (un écrasement du réseau nerveux innervant les bras, situé sous chaque clavicule) – pathologie typique des accidents de la route – ressentent également leurs membres, qui ne délivrent pourtant aucune sensation, ni dans un sens (afférent, vers le cerveau) ni dans l’autre (efférent, du cerveau vers les membres).
Plus étonnant encore, il semble que les personnes qui ont dû être amputées, suite à un accident, sont plus sujettes au phénomène du « membre fantôme » que celles dont l’amputation a été programmée médicalement. Par ailleurs, tous ces témoignages font état d’une vive sensation du membre fantôme. Le bras, la jambe, la main ou le pied est « vu » comme avant, avec ses déformations, ses fractures, ses ulcères, ses démangeaisons, ses problèmes de peau, ses zones douloureuses et, le plus souvent, dans la position qu’il ou elle occupait avant l’opération ou l’accident. En se concentrant, les amputés parviennent à animer leurs fantômes: non seulement leurs membres amputés « renaissent », mais ils sont de nouveau opérationnels, la main disparue pouvant saisir une clé, et le pied amputé chausser un soulier. De même, les alliances ou les bagues sont perçues à leur place exacte…
Toutes ces observations donnent à penser que le cerveau est abusé. En effet, la sensation d’un membre est renforcée par sa vision, qui affine ses contrôles moteurs. Privé de la vision du membre auquel il est néanmoins connecté, le cerveau compenserait en sollicitant plus intensément les nerfs du moignon, afin de susciter la représentation spatiale du membre absent. Sachant que la douleur est plus vivement éprouvée quand on sollicite électriquement le moignon, cette hypothèse a un temps prévalu. Elle est pourtant fausse.
La sensation de membre fantôme ne provient pas du membre lui-même, via les terminaisons nerveuses, mais des régions du cerveau qui commandent les membres. Complexe, la perception de la position de nos bras et jambes est élaborée par un faisceau d’informations tactiles et visuelles, qui prennent en compte la position des membres dans l’espace, ainsi que leurs mouvements (proprioception). S’y ajoutent d’autres informations qui, elles, proviennent des zones motrices du cerveau. Ces zones forment le cortex sensorimoteur primaire, l’une des régions les plus plastiques du cerveau , dans laquelle les terminaisons nerveuses de chaque membre aboutissent à des endroits bien différenciés. Cela donne au cerveau une carte sensorielle du corps qui est sans doute innée, c’est-à-dire génétiquement fixée.
Ainsi, alors qu’un membre physiquement présent active le cortex sensori-moteur primaire, un membre fantôme excite le cortex prémoteur controlatéral, une région voisine. Si l’on montre à des personnes ressentant douloureusement une amputation une image de leur membre absent effectuant un mouvement simulé, c’est le cortex « normal », moteur, quelles sollicitent. L’origine du membre fantôme serait donc une mauvaise orientation de l’information transmise par ce qui reste du membre amputé. Sa position sur la carte est toujours là, dans le cortex moteur, mais la carte n’est plus actualisée. La dissonance entre l’image de soi que fabrique le cerveau et la réalité du corps qu’il perçoit générerait des membres virtuels pour combler ce vide… dont la nature, c’est bien connu, a une sainte horreur! Quant à la douleur, elle serait due à l’« annexion » des terminaisons nerveuses du membre sectionné, dans le cortex moteur, par celles d’autres membres fonctionnels. La plasticité du cerveau se retournerait donc contre l’amputé…
Vidéo : Peut-on encore sentir un membre que l’on a perdu ?
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