L'industrie pharmaceutique : L'arrogance des risque-tout des biotechnologies
On a cru en effet résoudre la contradiction en continuant à fusionner les grands groupes tout en finançant des petites sociétés de biotechnologies, dont l’intérêt bien compris était de reprendre ce refrain. Pour les groupes, passer un accord avec une petite société de biotechnologie, c’est aussi un moyen de faire partager les risques avec les autres actionnaires de celle-ci et de ne plus rester seul à l’assumer (ce qui ne compte pas pour rien…). Les patrons des grandes firmes pharmaceutiques sont
devenus fous d’admiration pour ces petits entrepreneurs dynamiques, arrogants et risque-tout, qui s’habillent comme des étudiants et qui ont, eux, le droit de faire ce qui leur est interdit, qui représentent la forme la plus dynamique et la plus libérale d’un capitalisme de rêve.
Les dirigeants des petites sociétés de biotechnologies, ayant souvent un passé de chercheur académique, présentent un profil particulier. En dehors du fait que ne pas porter de cravate va vite devenir le signe distinctif de cette nouvelle génération de chercheurs-entrepreneurs (comme le nœud papillon marque la profession de chirurgien), ils croient pouvoir refonder toute la procédure de mise au point des médicaments sur un processus d’invention rationnelle et ils se vivent comme des génies. Ils sont complètement passés de l’autre côté de la barrière et n’ont plus que mépris pour leurs anciens collègues restés à l’université ou pour ceux qui travaillent dans les centres de recherche des grands groupes, et ils se remarquent souvent par une certaine avidité pour les gains les plus rapides.
Stock-options pour les chercheurs, durés de la journée de travail sans limites, aux dépens de toute vie familiale : ces entreprises sont de véritables ogres. Leurs dirigeants se situent vite à l’extrême droite du libéralisme le plus décousu. Toutes les obligations auxquelles ils sont soumis, en tant que chefs d’entreprise, leur apparaissent comme une injustice ; ils ont l’impression de vivre dans un étau de contraintes (durée de travail, congés payés, charges sociales…) qui bride stupidement la concrétisation de leurs idées géniales. Ils n’ont rien à voir avec les patrons des petites entreprises pharmaceutiques inventives des années 1960, qui se préoccupaient d’offrir à l’ensemble de leurs salariés des conditions de travail toujours très supérieures aux normes sociales en vigueur. Le résultat en était une cohérence de ces petits laboratoires bien différente de ce qu’on observe aujourd’hui dans les sociétés de biotechnologies Leur échec n’est jamais le leur, mais celui d’un
environnement défavorable. Cela n’est pas propre à la France, comme on veut parfois le faire croire. Aux États-Unis aussi, les petits patrons se plaignent de la même manière (ils ont été les plus déchaînés contre les projets, pourtant bien mous, du président Clinton pour étendre la Sécurité sociale).
L’objectif de ces nouvelles petites entreprises est de devenir les grands laboratoires pharmaceutiques de demain. Les laboratoires actuels sont nés soit de la chimie lourde, soit de l’officine pharmaceutique. Eux rêvent de créer une troisième voie à partir de la recherche académique. Paradoxalement, ils veulent tenir ce pari en se faisant financer par les mastodontes envers lesquels ils n’ont pourtant que du mépris, car ils les tiennent pour responsables du déclin commencé en 1975 et auquel ils pensent pouvoir mettre fin.
Pourtant, si les laboratoires pharmaceutiques de taille moyenne de l’époque Justin-Besançon ont bien été relativement inventifs avant leur absorption ou leur quasi-disparition, on ne sait encore rien de ce que produiront les petites sociétés de biotechnologies qui ont déjà englouti des milliards de dollars en surfant sur l’angoisse des grands industriels qui ne savent plus à quel saint se vouer pour trouver de nouveaux produits. Il faudrait d’ailleurs plutôt parler de celles qui restent, tant la fragilité du secteur est grande : en France, les deux plus grandes (Transgène et Genset) ont déjà disparu. Les patrons des laboratoires pharmaceutiques ont néanmoins été conquis et ils ont massivement investi, « même s’ils ne comprenaient pas complètement ce qu’ils achetaient2 ».
Pour mesurer la nature et la portée de cet engouement, il faut lire le récit de la visite du P-DG du laboratoire japonais Chugai dans les locaux de la société américaine de biotechnologie Vertex à Boston, que rapporte Barry Werth3. Toute une mise en scène a été soigneusement organisée : on a mis des colorants dans les tubes à essais pour rendre les paillasses plus attractives, tous les détails ont été étudiés, y compris le costume des chercheurs… Manifestement, le président japonais ne
comprend rien à ce qu’on lui montre, mais il est sous le charme : ainsi mis en confiance, il déboursera des dizaines de millions de dollars.
Vidéo : L’industrie pharmaceutique : L’arrogance des risque-tout des biotechnologies
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